Comment célébrer la Journée Mondiale du Climat ? Pour Samia Mouelhi, enseignante-chercheuse à l’Institut Supérieur des Sciences Biologiques Appliquées de Tunis (ISSBAT), il s’agit de donner aux étudiants les moyens de devenir acteurs de la lutte contre le réchauffement climatique. En cette matinée du mercredi 7 décembre, les étudiants ont accueilli les invités en leur mesurant leur empreinte écologique, en exposant leur station de tri sélectif et en simulant les négociations de la COP pour souligner les clivages entre les nations du Nord et celles du Sud sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ateliers de sensibilisation animés par les étudiants de l’ISSBAT (image : page facebook de l’ISSBAT)

L’après-midi, place à la réflexion : une conférence-débat pour faire le point sur le réchauffement climatique en Tunisie. Quel est l’impact du changement climatique sur la Tunisie à l’horizon 2050 ? Quels sont les mécanismes mis en œuvre par le gouvernement pour lutter contre cette menace ? Comment la valorisation des déchets peut être un de ces mécanismes ? Quels sont les enjeux de la COP ? On est dans le vif du sujet, bien loin de Labib, alibi-symbole de la « préservation de l’environnement ».

Walim Mardassi, conseiller auprès du ministre de l’Environnement pour la valorisation des déchets, a vivement encouragé les étudiants présents à entreprendre des projets dans ce secteur porteur, promettant que « l’Etat mettra à [leur] disposition les moyens nécessaires pour y parvenir ».

Conférence sur le changement climatqiue à l’amphithéatre de l’ISSBAT (image : page facebook de l’ISSBAT)

Etat des lieux de la valorisation des déchets en Tunisie

Qu’est-ce que la valorisation des déchets ? L’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME, France) l’a définie comme étant « le réemploi, le recyclage ou toute autre action visant à obtenir, à partir des déchets, des matériaux réutilisables ou de l’énergie ».

En Tunisie, chaque citoyen produit en moyenne 0,815 kg de déchets par jour en milieu urbain, selon le rapport de la GIZ sur la Gestion des Déchets Solides en Tunisie publié en 2014. Tandis qu’au niveau national, le pays produit annuellement 6.943.000 tonnes de déchets, parmi lesquels 157.000 tonnes sont classés dangereux (7.000 provenant d’activité de soins et 150.000 provenant de l’activité Industrielle), le reliquat pourrait donc être valorisable.

Bien que le secteur du Bâtiment ait connu une activité croissante ces dernières années, le rapport souligne l’absence d’information sur la production de déchets de démolition et de construction.

Qu’en est-il de la valorisation actuelle de cette quantité de déchets ? « Il y a très peu de valorisation à la fois par rapport à la quantité de déchets mais aussi par rapport à la caractéristique des déchets produits, on fait essentiellement du compostage » reconnait M. Mardassi. En effet, le rapport de la GIZ indique que sur les 2.423.000 tonnes de déchets municipaux collectés, seules 5% sont compostés (alors que matière organique biodégradable représente 68% des déchets Municipaux) et 4% sont recyclées. Et sur les 4.033.000 tonnes de déchets Agricoles & Verts, la production de compost n’a atteint que 1% de la quantité collectée.

Quant à la revalorisation énergétique, la Tunisie dispose d’un potentiel de production de 500 millions de m3/an de biogaz selon les estimations de l’Agence Nationale pour la Gestion de Déchets (ANGeD).  Malheureusement, l’Etat ne dispose que d’une seule unité de production, à Bir El Kassaa. Cette unité fournit de 1.800 m3 de biogaz par jour (soit 0,13% du potentiel national), exploités pour la production d’électricité et d’énergie thermique.

Cette une opportunité manquée par l’Etat, se traduit malheureusement par un manque à gagner qui atteint des millions de dinars si l’on se réfère aux expériences similaires en Europe ou en Amérique du Nord.

Les raisons de cette inefficience sont multiples, mais découlent essentiellement d’une stratégie étatique inadaptée en matière de gestion des déchets ; D’une part, la valorisation des déchets est quasi impossible sans un tri sélectif préalable, et l’Etat  s’est longtemps contenté de la solution de facilité en concentrant ses efforts sur l’enfouissement des déchets. D’ailleurs, l’intervention du marché parallèle dans la phase de collecte via les « barbechas », qui trient manuellement les bennes pour récupérer les déchets recyclables, représente actuellement la première garde en matière de tri sélectif. D’autre part, l’Etat ne dispose pas d’une structure suffisante pour le traitement des déchets. A titre d’exemple, la Tunisie dispose de 10 décharges contrôlées et de 4 décharges semi-contrôlées pour le traitement des déchets municipaux, leur capacité de traitement n’atteint que 76% des déchets produits. C’est également le cas pour le traitement des déchets industriels dangereux (une capacité de 60% de la quantité produite) et les déchets, électriques, électroniques et électroménagers (une capacité de 47% de la quantité produite). Le rapport de la GIZ précise que le recouvrement des taxes municipales atteint moins de 27%, un facteur aggravant du manque de moyens de l’Etat pour la gestion des déchets.

Une autre raison majeure de cette inefficience réside dans le manque d’implication des acteurs privés dans le processus de valorisation des déchets. Ceux-ci sont essentiellement impliqués dans la phase de transfert et d’enfouissement (s’agissant des déchets municipaux) ou bien dans la phase de collecte (s’agissant des déchets d’activité de soins, des déchets industriels non-dangereux et des huiles lubrifiantes). Ceci peut être expliqué par le fait que la phase de valorisation nécessite une technicité plus complexe et un investissement plus important par rapport à la collecte ou l’enfouissement, pour une rentabilité un peu moindre que les circuits commerciaux classiques.

La nouvelle stratégie gouvernementale en matière de valorisation de déchets

Le Ministère de l’Environnement a instauré un système de tri sélectif à travers 3 projets pilotes à El Mourouj II, Djerba et Sidi Bousaid (opérationnel à partir de Janvier 2017). Ces projets suivent le même modèle de partenariat Public-Privé ; la Municipalité se charge du système de tri sélectif et du traitement des déchets organiques pour produire du compost, tandis que l’acteur privé se charge de la collecte et de la valorisation des déchets recyclables. Le Ministère entend dupliquer ce modèle PPP sur l’ensemble du territoire.

Selon M. Mardassi, « cinq à six grandes installations de valorisation de déchets seront implantées dans les grandes villes du pays dans un délai de 2 ans. Nous sommes en train de finaliser les préparatifs des cahiers de charge pour lancer les appels d’offres. »

La Tunisie va-t-elle réussir son entrée dans l’économie verte ?

Le ministère de l’Environnement saura-t-il adapter sa stratégie pour une gestion plus efficace des déchets ? Saura-t-il convaincre le secteur privé de s’impliquer d’avantage dans la valorisation des déchets ? Saura-t-il inciter la population à s’inscrire dans une démarche d’éco-citoyenneté ?

L’enjeu et de taille : permettre à la Tunisie de réussir son entrée dans l’économie verte ! Et les bénéfices en seraient triples ; en premier ce, serait une démarche de dépollution qui nous aidera à aborder les défis climatiques à venir de manière plus sereine. Ensuite, le recyclage se caractérise par le fait d’être une formidable source de création d’emplois (en Californie, le programme « zero waste » va créer 110.000 emplois dans le secteur du recyclage d’ici 2020). Pour finir, ce serait un moyen de renflouer les caisses de l’Etat pour qui le recours à l’endettement semble être la seule solution pour maintenir l’économie sous perfusion.