Des films qui font leur marché au rayon des « comédies sociales », Woh ! d’Ismahane Lahmar n’est qu’un ratage de plus. Sans vouloir user les méninges, bon sens oblige, la jeune cinéaste pense qu’un peu de légèreté ne peut pas faire de mal à un public lassé. Mais comment s’y prend-elle, pour réconforter les assis des fauteuils ? Comme elle doit aller vite, il lui faut trousser une histoire qui s’expédie en 70 minutes avec répartition équitable, du moins en théorie, entre les clins d’œil et les francs esclaffements.
La baudruche familiale
C’est une comédie familiale qui commence devant les toilettes, avant de passer à table. Et cela nous vaut une galerie de personnages, avec les problèmes de cœur et de cul qu’Ismahane Lahmar distribue dans l’un et l’autre camp. On y retrouve Fatma Ben Saïdane dans le rôle de Zakia, peinturlurée comme une mère autoritaire aux petits soins de son fils préféré Selim. Sans agenda sentimental, ce fils à maman campé par Mohamed Mrad est un modèle de dilettantisme fadasse. Dans la peau de Hmed, le père malentendant et démissionnaire, Hichem Rostom ne pense qu’à son équipe fétiche. Les filles Maya et Layla, respectivement incarnées par Sonia Ben Jemaa et Jamila Chihi, sont deux femmes au foyer, l’une opportuniste et l’autre aux aisselles poilues qui ne jure que par son coach. La cadette Amani, jouée par Nadia Boussetta, se raidit quant à elle à chaque contact avec Selim. Sans oublier Federica, la belle-fille italienne portée par Mariem Ben Chaabane, qui sort ses griffes s’il est question de tromperie. Embarrassés par la paresse de Selim, y compris les beaux-fils, tous veulent se débarrasser de lui : qu’il se case une fois pour toutes.
Voilà pour le hors-d’œuvre. Au menu qui suit, Ismahan Lahmar farcit l’histoire de poil à gratter. Le film trouve le gros de son action quand la matriarche Zakia, faisant peu de cas du mariage imminent d’Amani, annonce au reste de la famille vouloir organiser une gigantesque fête à l’occasion des trente ans de Selim. Les sœurs et le grand frère doivent tous mettre la main à la pâte, et peu importe si cela sème partout la zizanie. Mais pour Amani, qui voit s’effondrer ses espoirs avec son fiancé Kafon, il n’est pas question de laisser cette fête se passer comme prévu. Quitte à ce que les choses virent au vinaigre, un scénario de combines et de complots se profile à l’horizon.
Si tout dans Woh ! se veut foutraque et prétexte à moqueries, la pente que prend le film n’est pas celle des screwballs, comédies loufoques érigées en genre par Hollywood dès l’avènement du parlant. La réalisatrice se saisit de l’anniversaire de Selim comme d’un moment de bascule. C’est une ficelle pour retourner la situation lorsqu’Amani décide, avec la complicité de Federica, de tout mettre en place pour faire croire au reste de la famille que son frère est attiré plutôt par les hommes. Il ne faut d’ailleurs pas plus qu’un vieux boxer et quelques photos de son tailleur italien nu, glissées dans les affaires de Selim, et le tour est joué. Ces indices accablants suffisent pour que Zakia tombe des nues et qu’Amani devienne sa favorite. Là réside, en partie, le problème du film et de son propos. Car, dès que l’homosexualité s’en mêle, c’est un cinéma de la caleçonnade pleutre qui occupe le premier plan.
Les os à ronger
Le bon cinéma comique, faut-il le rappeler, divertit sans faire diversion. Car le véritable rire n’est jamais inoffensif. Sans être exempt d’intentions critiques, Woh ! se développe en clins d’œil forcés, avec des pieds de nez au pisse-froid de l’hypocrisie morale et sociale. Si la réalisatrice n’y va pas avec le dos de la cuillère, encore faut-il savoir éviter guimauve et meringue. Entre mépris de classe, rivalités d’immatures et faux tabous, Ismahane Lahmar étale les clichés comme des os à ronger. Le circuit fermé des situations et le jeu de soupapes entre les personnages, s’avèrent pourtant peu suffisants pour produire l’effet grossissant voulu. Et ce ne sont pas les réparties salaces, par lesquels le film voulait se mettre les spectateurs dans la poche, qui y changeront quelque chose.
Sous ses airs de comédie dégonflant la baudruche familiale, Woh ! cache d’autant plus mal la platitude de son traitement que l’œil n’a rien ici à se mettre sous la dent. On épargnera au lecteur le couplet sur la mécanique grippée du découpage et la mise en scène qui renifle le filon des sitcoms.
Si le montage ne nous consent pas des moments de répit, il n’y a en revanche rien qui fasse événement visuel dans Woh ! Entièrement indexée sur le dialogue et l’adresse au spectateur, la caméra dépense moins sa mobilité pour coller à la fresque que pour coiffer le bavardage. À l’instar de ces vues en plongée qui ne répondent à aucune nécessité dramaturgique, les images pédalent dans le vide. C’est la norme du moindre plan. La mise en scène a beau s’allouer les services du zoom et du travelling avant pour meubler ce vide en offrant le personnage de Selim à la sympathie des spectateurs, tout cela est endimanché comme dans une publicité pour une marque de mozzarella. Mais qui s’en soucie vraiment ?
Il y a gros à parier que les critiques qui ont applaudi Woh ! des deux mains relèvent d’un malentendu. Peu importe le moelleux de la crème ou la qualité de la sauce. La platitude fait ici bas-ventre. Si ce film fera l’affaire pour une certaine catégorie de spectateurs qui ne demandent qu’à s’offrir une pinte de bon sang, seraient-ils mieux servis si ce genre de comédie offrait davantage d’espace à l’intelligence ? Creux, en même temps que poussif, Woh ! l’est parce qu’au fond de sa petite marmite, Ismahan Lahmar touille une vieille recette. Avec ce premier long métrage, elle peine à cuisiner un pétard intelligemment dévastateur. À ce stade, il vaut sans doute mieux revoir ses classiques.
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