J’ai eu la chance d’avoir exercé en tant que jeune médecin dans différents hôpitaux publics. Des hôpitaux qui font à la fois la fierté de la Tunisie pour tous les acquis qu’ils représentent, mais aussi un champ de bataille quotidien où patients et professionnels de santé sont confrontés à tellement de défaillances. J’arrivais à tolérer beaucoup de manquements en croyant dur comme fer que nous parviendrons à améliorer les choses. Mais à la corruption qui s’y adonnait de son plus bas à son plus haut degré, je ne pouvais trouver de raisons. Du moins, je refusais d’en assimiler celles communément partagées.
J’ai été, à vrai dire, le témoin désarmé de bon nombre de dérapages. Je pourrai m’amuser à raconter tout ce que j’ai vu. De telles réalités ont souvent été repêchées et utilisées tel un casus belli pour déclarer la guerre contre un adversaire politique, ou faire la une du mainstream médiatique sans pour autant changer grand choses, si ce n’est perdurer la crise et semer l’effroi. Dénoncer est il notre seul moyen d’apporter le changement ?
J’ai alors préféré éviter les anecdotes sporadiques et partir à la recherche de chiffres qui relateraient objectivement la réalité. Qu’est ce qui rend notre système de santé vulnérable à la corruption? Qu’avons-nous fait afin d’y remédier ? Enfin, pour quelles solutions devons nous militer ?
De quelques exemples indicatifs
En parcourant le rapport de 2007 de la Cour des comptes, je retrouve que l’hôpital Hédi Chaker à Sfax a atteint des niveaux si élevé d’amateurisme et de corruption qu’il ne délivre même plus de rapport financier au ministère de tutelle et ce depuis plus de huit ans. On rapporte que les outils de gestion de stock et de budget sont si archaïques qu’il devient très facile d’en abuser.
Le dernier rapport de 2014 mentionne à titre indicatif que pour certaines pharmacies publiques, l’approvisionnement s’effectue sur la base de bons de commandes manuels, ne comportant pas certaines données importantes telles que la consommation mensuelle ou le stock de la fin de mois, représentant ainsi un grand risque d’abus.
Un descriptif interminable nous permet d’avoir une idée sur ce qui rend notre système vulnérable à la corruption. Mais à ma grande surprise, je ne retrouve aucune étude dédiée à la lutte contre la corruption dans le secteur de la santé. Pas d’indicateurs diagnostics disponibles ni de stratégie spécifique. Même en parcourant la nouvelle stratégie nationale de lutte contre la corruption, publiée décembre dernier, je ne retrouve rien de concret sur le secteur de la santé.
En contre partie, je retrouve un rapport exhaustif sur la corruption dans le secteur de la santé au Royaume du Maroc, publié en 2011 par l’Instance Centrale de Prévention de la Corruption. On y retrouve différents indicateurs basés sur l’évidence avec leurs graphes décrivant et l’état des lieux et les mesures spécifiques implémentées. Visiblement, on fait notre révolution et ceux sont les voisins qui récoltent l’inspiration pour aller de l’avant.
Aussi, saviez vous que l’absentéisme est une corruption ? Tout comme dans d’autres secteurs publics tels que l’éducation, l’absentéisme dans le secteur de la santé est endémique. Selon une étude faite par le PNUD, l’absentéisme prolongé entraînerait une baisse du volume des soins, la dégradation de la qualité des soins et l’augmentation des coûts.
Pourtant, l’absentéisme n’est souvent pas perçu comme tel. Il est même justifié par ces innombrables certificats médicaux de complaisance. Certains le perçoivent comme un moyen de survie face à des salaires relativement bas et l’expliquent par l’énorme différence entre les rémunérations du secteur public et privé.
Une étude menée en Mongolie a montré que le niveau élevé de corruption dans le secteur de la santé s’explique principalement par les niveaux relativement bas de salaires des professionnels de santé. Toutefois, l’augmentation des salaires par la suite a été insuffisante pour juguler la corruption. Cela démontre que les raisons de l’absentéisme sont plus complexes. Nous n’avons encore une fois pas trouvé de chiffres relatifs à la Tunisie. Un tel indicateur n’est il pas important à mesurer ? Il est temps de décortiquer sérieusement de telles questions afin d’en déduire les véritables solutions.
Qu’en est-il des autres niveaux de corruption tels que le vol de médicaments et fournitures, les paiements informels, la fraude liée aux appels d’offre, les réglementations des marchés pharmaceutiques et des fournitures médicales en tous genres … Encore une fois, pas de données sur la Tunisie.
Quelles solutions ?
La majorité des hôpitaux soufrent de déficits budgétaires se comptant en milliers de dinars. Il est par conséquent urgent de mettre en place les fondamentaux des bonnes pratiques, de réglementations et de contrôle. Vaincre la corruption c’est non seulement rendre justice mais en plus rationaliser des dépenses exécrables qui au lieu d’être investies dans l’amélioration et la maintenance de nos établissements, partent dans les poches des uns et des autres. Vaincre la corruption diminuerait ce désenchantement qui rend patients et soignants ahuris, démotivés et blasés.
Il n’existe manifestement pas une approche unique pour lutter contre la corruption. C’est pour cette raison que les professionnels de la santé doivent identifier et hiérarchiser les priorités sur lesquelles il est nécessaire d’intervenir.
Il est aussi vain de continuer à être missionnaires et expéditifs, attendant que les hautes sphères de la gouvernance nous annoncent un miracle. Tout le monde doit être impliqué afin d’initier le changement. L’engagement de chacun à rapporter toute transgression est un impératif. Rappelons qu’il existe une plateforme web de déclaration de la corruption. Déclarons chaque délie, aussi minuscule soit-il !
En 1997, la Thaïlande traversait une crise économique et une dévaluation de sa monnaie. Les hôpitaux devaient faire banqueroute dans les deux ans. En 2004, un programme de bonne gouvernance dans le secteur pharmaceutique à été instauré en vue d’accroître la transparence tout en économisant des ressources précieuses. Ainsi, le nombre d’hôpitaux ayant adopté les meilleures pratiques a augmenté. Ils ont même établi des schémas d’achat groupés avec une liste agréée des médicaments et fournisseurs, ce qui a rendu l’approvisionnement plus rentable et moins vulnérable à la fraude. Les lois et règlementations nationales sur les produits pharmaceutiques ont été révisées afin qu’elles puissent refléter les bonnes pratiques. En voilà un bon exemple à suivre.
Pour finir, il incombe à tous de ne plus percevoir la lutte contre la corruption comme un sujet tabou à enterrer à cent mille lieux sous les archives mais comme un moyen d’ascension et d’amélioration vers un avenir meilleur et plus attrayant.
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