La guerre des consciences fait rage. Son champ de bataille est l’esprit humain et son objectif est la captation des modes de représentation du monde du plus grand nombre. L’arsenal de ses belligérants se compose de l’ensemble des activités humaines dites « culturelles » (le cultuel en fait partie, n’en déplaise aux bigots). Il est plus que temps de saisir que la culture est loin d’être innocente, c’est une arme de conscientisation et de dé-conscientisation massive. Pour le meilleur comme pour le pire.
Les empires n’ont de pouvoir qu’autant qu’ils ont de l’influence. Tout empire qui prétend régner uniquement par les armes se condamne à disparaître rapidement. La force brute est, certes, une porte d’entrée dans les civilisations que l’on souhaite subjuguer, mais le véritable pouvoir ne provient que de l’influence que l’on exerce sur une civilisation. Et l’influence s’acquiert par le désir de ressemblance et de mimétisme instigué à ceux sur qui l’on veut exercer son pouvoir. Ces principes élémentaires de la philosophie martiale sont vieux comme Sun Tzu, mais il serait peut-être temps de comprendre ce que cela veut dire lorsque l’on parle de la guerre des consciences.
Jamais les pauvres consciences de ce territoire n’ont intéressé tant de monde à la fois. Le moment en cela, s’il ne l’était pas par ailleurs pour d’autres raisons, est historique. Cinquante années de despotismes ont réduit à peau de chagrin les représentations du monde auxquelles ce peuple a pu avoir accès. Au final n’ont pu survivre que deux ou trois visions du monde antagonistes du pouvoir et la version officielle du pouvoir. Voilà, de manière grossière, l’état des consciences actuelles, ici et maintenant.
Depuis le 14 janvier et bien avant, des factions locales s’affrontent pour exercer une domination sur le plus grand nombre de consciences. Ces factions sont soutenues alternativement et/ou simultanément par des factions étrangères ayant chacune des agendas divers, mais reposant tous sur les principes énoncés plus haut. L’un des drames de cette guerre est qu’elle est tenue secrète, dissimulée derrière des écrans de fumée et parée de bonnes intentions. Un autre de ces drames est que tous ces acteurs ne sont pas également conscients de ce qui se joue et du rôle qu’ils y jouent et, encore moins, des alliances qu’ils nouent sans même s’en rendre compte la plupart du temps. Et parce qu’il est toujours plus facile de manipuler à son avantage et, par conséquent à moindre coût, un pion, plutôt que d’avoir à traiter avec un acteur lucide et conscient des enjeux en cours, cela ne risque pas de changer et cela éclaire d’une certaine couleur la nomination de certains responsables publics dans ce secteur spécifique.
Cette semaine, des acteurs de l’une des factions locales ont mené une attaque frontale à l’encontre d’une autre faction. Les attaquants sont de ceux qui savent ce qu’ils font, pourquoi ils le font et avec qui ils le font. Leur faction est également celle qui est la plus consciente de la réalité de cette guerre des consciences. La faction victime est divisée, morcelée, tente de survivre dans un misérabilisme victimaire crasse, perd dans ce triptyque le but de ses actions et reste dans une provocation de façade.
Il convient de noter que les attaquants ont visé avec une justesse d’instinct incroyable leur vis-à-vis direct. En effet, les Imams sont les metteurs en scène et les réalisateurs de la représentation du monde pour laquelle ils se battent, le fait qu’ils considèrent la création artistique comme leur ennemi prouve bien qu’au fond, ils savent, eux, que cette guerre est essentiellement une guerre de vision du monde. Et l’institution visée, le TNT, a à sa tête un homme qui, avant de se trouver à ce poste très politique, ne craignait pas de faire usage de ce type de polémique.
Le titre de l’une des créations visées est, selon une vision du monde reposant sur le sacré, une provocation (profanation ?) textuelle à l’encontre de l’opposition radicale du cultuel et de l’artistique. Quant à l’affiche de l’autre, elle représente un baiser dans l’espace public, ce qui est également un enjeu majeur dans le conflit entre la représentation du monde sacré et la représentation du monde profane.
Nous sommes bien là au cœur de cette guerre des consciences. Sauf que la provocation gratuite et non assumée des uns a amené à une victoire facile des autres. Le tout sous l’arbitrage incroyable d’un ministre de la Culture qui ne défend pas la faction à laquelle sa fonction le lie. Puisqu’il s’agit d’une guerre, il convient d’avoir une stratégie. Or, ceux qui prétendent défendre une vision du monde n’en ont pas et font comme si cela n’était pas important. Ils se comportent avec la légèreté du poseur qui fait son opération de communication, ne saisissant pas l’enjeu terrible derrière son geste. Et saisissant d’autant moins les conséquences fatales pour l’ensemble de la faction à laquelle il est lié qu’entraine son inconséquence.
Nous ne sommes pas là pour attribuer des bons points ou des blâmes. Il s’agit de tenter de comprendre ce qui se joue dans cette histoire. Et, pour reprendre et éclaircir notre titre, la question se pose réellement de savoir qui sont les imbéciles dans cette histoire. Les censeurs ou les censurés ? Les censeurs sont cohérents avec eux-mêmes, ils savent ce qu’ils font et vont jusqu’au bout de leurs idées et de leur vision du monde. Ils ont vu une ouverture et s’y sont engouffré, gagnant du terrain. Les censurés, quant à eux, ne réalisent même pas qu’ils sont censurés, myopes qu’ils sont et convaincus que le monde s’arrête au petit microcosme des relations incestueuses entre faux-maîtres et vrais-disciples et s’accablent mutuellement. Pour eux, il s’agit de ne pas faire de vague, de ne pas être empêché de travailler, de ne pas risquer l’anathème. Il ne s’agit pas d’aller bêtement à la confrontation directe. Mais une fois que nous avons provoqué cette confrontation, ne pas aller à la confrontation est un signe de lâcheté ou d’hypocrisie.
La Culture, au sens large, est un processus de conscientisation collective positif ou négatif. Structurer le secteur de la culture, en tant que faction active et consciente d’elle-même et de son rôle dans cette guerre des consciences, implique aussi de savoir critiquer fermement les errements des uns qui se répercutent sur tous les autres. En cela comme en d’autres choses, il faut apprendre à tenir la ligne.
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