Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Il est difficile de lutter contre la corruption, pour plusieurs raisons, dont notamment l’absence d’une véritable volonté politique et une complaisance de la société envers certaines pratiques devenues des phénomènes culturels. Ce fléau a atteint un stade “épidémique”, s’est alarmé le chef de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, Chawki Tabib.

En effet, on le trouve à tous les niveaux. Les gens le condamnent quand ils en sont les victimes, mais la majorité d’entre eux y participent quand il s’agit de leurs propres intérêts.

L’ONG « I-Watch », spécialisée dans le combat anticorruption, a proposé de protéger juridiquement les témoins de cas de corruption, considérant que le silence autour de la corruption s’expliquerait par la peur des représailles.

Le silence sur la corruption dépasse de loin la simple peur des représailles. Prenant le cas de l’administration : le silence est soit considéré comme une clé de réussite, car les « soumis » sont plus facilement promus, soit il est alternatif se basant sur la règle : « je te regarde faire un abus et je me tais, et quand viendra mon tour d’en faire tu ne diras rien ». Par ailleurs, les corrompus réussissent dans le sens populaire de ces structures ; imités, ils deviennent majoritaires. Celui qui dit NON à une de leurs pratiques est diffamé, harcelé et traité de tous les noms. Ces corrompus ne sont pas assez naïfs pour croire qu’il est facile de les dénoncer. Ils commettent des abus qu’ils maquillent dans les règles de l’art. Par ailleurs, à qui les dénoncer ? À un responsable ? Soit celui-ci est de mèche avec eux, soit il craint pour son poste et préfère alors « étouffer l’affaire » au nom de la paix sociale. Ses supérieurs risqueraient de l’accuser de ne pas savoir faire régner « la paix » dans l’unité qu’il dirige.

Le pire est que certains actes de corruption sont tellement banalisés qu’ils perdent le statut de malhonnêteté. Ainsi, dans une institution nationale de formation, il est devenu banal de faire réussir un stagiaire qui ne le mérite pas mais qui est recommandé par un X. Tout le monde le sait, très peu disent non à cette pratique. Par conséquent, ceux qui refusent cette anomalie deviennent « anormaux » en respectant la norme, puisque le normal est devenu anormal.

Le dossier du stagiaire recommandé est « construit » en respectant formellement la loi et signé par les « raisonnables », en écartant ceux qui s’y opposent c’est-à-dire « les emmerdeurs ».

Sartre disait, pour décrire ce type d’actes : « J’admire comme on peut mentir en mettant la raison de son côté ».

Phrase mythique, vérifiée ici comme ailleurs, hier comme aujourd’hui. Partant du grand mensonge de Bush et de son histoire d’armes chimiques en Iraq ; en passant par le vote utile de notre président, jusqu’à la mise en scène d’une séance de soutenance de projet de fin d’étude pour faire réussir une nullarde et faire plaisir à son père.

La fille ayant échoué à sa soutenance car elle ne pouvait expliquer aucun des concepts utilisés dans son rapport, on lui a organisé une autre séance de soutenance quelques jours plus tard, où elle s’est vraisemblablement avérée excellente. Celle qui avait dit non au changement de sa première note étant absente à cette mise en scène, elle s’est passée entre gens raisonnables sans aucun incident.

Et voilà comment on peut mentir en se donnant toutes les raisons possibles et inimaginables ; juridiques, pédagogiques, sociales, morales, et même religieuses ! En effet, le bon Dieu est clément ; ils pourraient toujours demander son pardon à leurs prochaines prières. .

J’ai eu l’occasion, plusieurs fois dans ma carrière, d’admirer ces hâbleurs en train de disserter sur le savoir vivre, la sociabilité, l’honnêteté, la discipline, l’exigence envers les apprenants, les bonnes pratiques pédagogiques, et surtout la droiture envers Dieu et ses créatures. Au début, cela me révoltait et m’amusait en même temps. Actuellement cela me révolte encore, mais ne m’amuse plus…

Non seulement ces gens trichent en respectant la forme, mais en plus ils font la peau de ceux qui s’opposent à leurs pratiques. Leur arme préférée, c’est la diffamation. Après tout, l’intégrité n’est que l’arme des perdants complexés et ratés.

Leur tactique est classique. Elle a été utilisée à l’échelle nationale pour salir tous les opposants à Ben Ali et pour blanchir les vrais corrompus.

Une tactique qu’Alphonse Esquiros (L’esprit des anglais, 1856) a très bien résumé par cette phrase :

Un menteur commence par faire que le mensonge paraisse une vérité, et il finit par faire que la vérité semble un mensonge.

Dénoncer la corruption n’est pas une tâche facile dans une société complaisante où les corrompus ayant réussi sont nombreux, dans tous les domaines et à tous les niveaux.

La majorité veut suivre leur exemple. En effet, il est naturel d’être du côté des « gagnants », surtout quand on n’a ni vision ni valeurs à défendre.

C’est déjà un exploit de ne pas suivre le troupeau et demeurer fidèle à soi malgré tout…

La lutte contre la corruption reste un vœu pieux tant qu’on raisonne à court terme, tant qu’on fonctionne en dehors de toutes valeurs, tant qu’on accepte d’être lâche et de trahir sa conscience pour quelques avantages.

Au final, tout est question d’éthique, mais quelle est l’éthique d’un formateur qui fait réussir un stagiaire médiocre suite à un coup de fil ? De quoi serait-il capable par ailleurs ?

Quelle est l’éthique d’un papa qui se sert de son pouvoir pour faire réussir son rejeton ?

Quelle éthique aurait cette petite merdeuse qui fête, tranquille, une réussite non méritée ?

Vous me direz, ces petites délinquances constituent des détails négligeables par rapport à la grande corruption. Oui, des détails, mais des détails révélateurs de la décadence d’une nation. Car quand on arrive à acheter des formateurs même après une révolution, plus aucun espoir pour un avenir meilleur ne peut se lever à l’horizon pour ce pays.