Ce soir, 10 mars 2017, l’audience publique de l’Instance vérité et dignité est consacrée aux femmes victimes de la dictature. Six témoignages seront donnés par deux militantes de la société civile, deux femmes des familles d’ex-prisonniers et deux victimes de la circulaire 108, interdisant le port du voile sous le régime de Ben Ali.
Le rétablissement de la vérité est une lutte contre la culture du silence
Ce soir, pour la première fois, deux victimes de la circulaire 108 qui interdisait, sous la dictature, le port du voile dans les établissements publics, prendront la parole. « Cette circulaire a détruit la vie de milliers de femmes ainsi que celle de leurs familles. Les femmes voilées étaient interdites d’études, de travail et même de vie sociale. Une pratique répressive et discriminante qui ouvrait la porte à une série interminable de violations des droits humains » explique Ibtihel Abdelatif. Durant cette audience, des militantes féministes donneront leur témoignage sur le calvaire qu’elles ont enduré durant les décennies de la dictature. Selon Ibtihel Abdelatif « Les femmes militantes étaient doublement exposées à la répression. Si elles ont fait face aux méthodes de torture et de punition généralisées à l’époque, elles encaissent, seules, les souffrances liées aux atteintes à l’honneur et à la réputation. Ce soir, ces femmes auront la parole libre pour rétablir la vérité et dénoncer leur bourreaux ».
Si cette audience est la première consacrée aux femmes, l’approche genre était fort présente durant les six dernières audiences publiques. Sur 31 témoignages, 17 ont été donnés par des femmes. Neuf étaient victimes directes et huit victimes indirectes (épouse, mère, fille ou sœur de la victime directe).
Une surreprésentation par rapport aux dossiers déposés à l’IVD. Sur un total de 62346 plaintes, 14645 concernent des femmes victimes. Ibtihel Abdelatif, présidente de la Commission femmes au sein de l’Instance Vérité et Dignité, nous explique que ce chiffre est respectable par rapport à d’autres expériences de justice transitionnelle dans le monde comme au Maroc ou en Afrique du Sud. « Mais nous sommes loin du nombre réel des femmes victimes de la dictature. La plus grande difficulté que rencontrent les femmes voulant porter plainte à l’IVD est la mentalité conservatrice. Des maris, des frères et des fils refusent d’exposer les femmes de leur familles au public. Ils préfèrent les protéger des jugements moraux » explique Ibtihel Abdelatif.
Une étude effectuée par l’Instance sur des femmes victimes à Tunis et à Sfax, montre que 66 % de victimes à Tunis acceptent de témoigner publiquement tandis que 22 % refusent et 12 % n’ont pas d’avis. À Sfax, 55 % des victimes refusent de faire partie des audiences publiques. 70 % des femmes à Sfax pensent que participer à une audience publique aurait des répercussions négatives sur leurs familles contre 33 % à Tunis. Parmi les autres raisons qui expliquent la réticence des femmes à faire partie des audiences publiques, Ibtihel Abdelatif évoque le regard de la société ( 33 % à Tunis et 40 % à Sfax ), la vengeance des bourreaux ( 11 % à Sfax ) et des appareils de l’État ( 35 % à Tunis et 20 % à Sfax ). « Ceci dit, nous avons constaté chez les femmes victimes de la dictature, un grand courage et une audace impressionnante. Même s’il y a des victimes qui préservent leur droit de rester anonymes, d’autres insistent pour donner l’exemple et révéler au grand public la souffrance qu’elles ont subie. Elles nous disent souvent qu’elles veulent le faire pour la mémoire collective et pour que ça ne se reproduise plus ».
Le témoignage de Basma Balii : vaincre la peur
Parmi les femmes qui ont bravé tous les tabous sociaux, Basma Balii. Le 17 novembre 2017, Basma, 52 ans, originaire de Menzel Bouzelfa, était la cinquième victime à témoigner lors de la deuxième audience publique de l’IVD. Après les témoignages de femmes, mères, sœurs et épouses de martyrs de la révolution ou de militants politiques, Basma est la première militante femme victime directe de dictature à prendre la parole. Si son témoignage reprend plusieurs aspects de la répression policière, la torture arbitraire et les procès iniques, déjà raconté par d’autres témoins, Basma est la première victime qui met à nu les violences faites aux femmes avec leur aspect patriarcal et misogyne durant la dictature.
Issue d’une famille modeste et nombreuse, Basma n’a pas fini ses études et s’est consacré aux activités associatives dans son quartier. Après les élections de 1991, la répression à repris de plus belle. Durant la chasse aux sorcières lancée contre les opposants politiques de Ben Ali, Bassma Bali passe deux mois dans les geôles de la Garde nationale de Nabeul. Bassma était victime de harcèlement et d’attouchements sexuels ainsi que de menaces de viols. « De Tunis à Nabeul, j’étais avec ma sœur, dans une voiture, entourées de policiers qui nous harcelaient sexuellement, qui nous touchaient et nous menaçaient de viol. Ma sœur encore très jeune avait le visage très pâle et n’arrêtait pas de pleurer. Je n’oublierais jamais son regard effrayé ce jour-là … » témoigne Basma qui a assisté à l’assassinat de Fayçal Baraket et Rachid Chammakhi.
Le supplice de Basma a continué durant sept semaines où elle assiste à plusieurs scènes de violences sexuelles dont d’autres femmes étaient victimes. Ces méthodes rarement documentés par les organisations des droits humains et peu visibles dans les médias, sont le plus grand tabou non seulement du régime mais de toute la société. Basma a brisé le silence sur la honte qui a poursuivi sa famille durant des décennies.
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