Décidément, l’art bande mou à Carthage. Au moment de la piqûre de rappel de la Fête des Martyrs en son 79ème anniversaire, la Présidence de la République met les bouchées doubles pour trompeter ténacité et résistance du peuple tunisien au cours de l’histoire. Organisée en collaboration avec les ministères de la Culture et celui de l’Education, Résistances se veut une exposition itinérante qui sillonnera toutes les régions du pays jusqu’à la fin du mois d’avril 2019. On aura beau tourner sa langue mille fois dans sa bouche, on a beau fouiner dans son vocabulaire, il n’y a pas d’autre mot pour qualifier cette initiative poussiéreuse d’une expo qui ne l’est pas moins : nulle.
Voilà bien, au Palais Edhiafa, ce qu’on a vu : une dizaine de toiles contemporaines de facture modeste, corvéables à merci, tanguant entre le symbolique, l’abstraction et sa petite sœur la figuration, pour virer sur des œuvres un peu fleur bleu, avant de propulser les adeptes clandestins de l’art contemporain dans la photo et l’installation faussement critiques. Quant aux peintures des maîtres, qu’on ne se pâmera pas pour autant de voir, elles sont de la même cuvée : 1er juin de Zoubeir Turki, 9 avril d’Ammar Farhat et l’inédit Martyr, longtemps oublié, du jeune Jalal Ben Abdallah, une œuvre réalisée suite aux événements d’avril 1938. Le résultat est un fourre-tout, drapant les résistances d’un linceul visuel à coups d’épée dans l’eau. Ne regardons donc pas dans les coins.
Cette exposition organise la rencontre, en vase clos, entre deux gestes : des bras qui se lèvent et des voix qui se soulèvent. Avec le même port d’attache : un récit national que tapissent des résistances passées et présentes où viennent léviter les spectres de la colonisation, de la dictature et du terrorisme. Entre peintures, collages, photos, sculptures et installations, Résistances savonne la planche du patriotisme en livrant, dans la même fournée visuelle, toutes les gorges chaudes, tous les cris d’orfraie. Le paradoxe vient du fait que cette expo est symptomatique d’une vision d’État qui veut maçonner un nouveau pan dans l’histoire, mais à laquelle l’art n’aura servi que de mastic.
Goût du paradoxe mis à part, le bazar de Résistances est loin d’être un bazar de luxe. En trois pas, on s’y balade sans s’y perdre : dans un parfait dédain de la scénographie d’exposition, aucune ligne directrice n’oriente ici le parcours. Le plus étrange sourd d’un accrochage qui tourne au pensum : ça tâtonne dans tous les sens. Aucun réglage de la lumière sur les œuvres. Quant à l’indispensable signalétique, bien sûr qu’on s’en fiche. Et les cartels ? Que nenni : à part le titre et le nom de l’artiste, on n’y trouve ni les dimensions de l’œuvre, ni sa date de réalisation. Et quand les techniques employées y sont indiquées, c’est soit partiellement soit par erreur. Le bipède curieux revenant sur son chemin, est bien en droit de se payer d’un long bâillement.
C’est qu’il y a tromperie sur la marchandise. Faite pour des gogos prêts à tout ravaler, Résistances coupe un vieux costume dans une étoffe qu’on connaît trop. La manière dont elle rembobine l’histoire des luttes, en fait moins une bouée de sauvetage qu’un segment de calendrier. Sommées d’incarner le recours d’un État se voulant aujourd’hui « pédagogue » après s’être reconnu avant-hier comme « démagogue », les œuvres exposées n’ouvrent ni lucarnes ni persiennes sur la mémoire du présent. Car non seulement Résistances fait l’honneur des cimaises à des œuvres flasques, dont la platitude est on ne peut plus criarde ; mais elle a surtout trop de goût pour les greffes d’idéal. Par les temps incléments qui courent, on aurait en tout et pour tout une exposition des plus médiocres, comme on n’en aurait jamais vues. On ferait mieux de dire : un pur et simple fiasco qui veut faire rebondir la menue mémoire en grande histoire. Circulez, il n’y a rien à voir.
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