Le premier ministre Youssef Chahed était censé se rendre à Washington le weekend du 21 avril, à l’occasion des Réunions de printemps de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI). Une occasion pour la nouvelle présidence allemande du G20 et les banques de développement pour promouvoir une « nouvelle stratégie de sauvetage économique de l’Afrique ». D’après Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand, la Tunisie compte parmi les cinq premiers pays qui auraient montré leur intérêt pour y adhérer.
Depuis décembre, l’implication du gouvernement allemand en Tunisie —que ce soit en matière de migration, de sécurité ou de finances, ne cesse de s’affirmer. Si la focalisation sur le rapatriement accéléré des Tunisiens en situation irrégulière en Allemagne a fait suite à l’attentat terroriste à Berlin du 19 décembre 2016, la présence de la première puissance européenne en Tunisie coïncide avec sa présidence du G20, à partir du 1 décembre 2016. Depuis, l’Allemagne a annoncé une nouvelle stratégie économique pour 2017, dont l’une des pièces maîtresses serait « le développement économique de l’Afrique ». Ainsi son “Plan Marshall avec l’Afrique” annoncé le 18 janvier 2017, dispose d’un remède miracle : l’investissement privé. Et pour commencer avec des pays, élèves modèles diplomatiquement dénommés « en voie de réformes » [reform-oriented countries], qui ont fait savoir leur volonté d’y adhérer, à l’instar de la Tunisie.
Allemagne: « grand donateur » pour la Tunisie ?
Entre 2011 et 2015, la Tunisie a bénéficié de 935 millions d’euros en provenance de l’Allemagne, sous forme de dons (200 million euros) et de crédits (735 millions d’euros), l’un des pays les plus « généreux » en termes de soutien financière pour la « jeune démocratie ». Au niveau mondial, l’Allemagne est classée parmi les grands donateurs [top donors] d’aide publique au développement (ADP) selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
En avril 2017, de nouveaux chiffres publié par l’OCDE montrent que le taux d’aide au développement s’est élevé à 0,7% du revenu national brut allemand en 2016, à égalité avec la Grande Bretagne, mais plus que la France (0,38%) et loin derrière la Norvège n classée en tête de liste (1,11%). Selon le ministère fédéral de la Coopération et du Développement Economiques (BMZ), « l’augmentation des dépenses pour le développement est le résultat de l’augmentation de l’APD allemande à l’étranger ainsi que les dépenses dédiées aux réfugiés résidant en Allemagne. »
Un remake du Plan Marshall
L’implication de plus en plus importante de l’Allemagne dans l’assistance au développement, et plus largement son rôle grandissant parmi les premières puissances mondiales, s’expliquent, selon certains observateurs, par la période de restructuration des économies européennes après la deuxième guerre mondiale.
Depuis janvier, l’Allemagne à la tête du G20 met en avant sa propre version de sauvetage économique, un Plan Marshall avec l’Afrique. Le « nouveau partenariat » Europe-Afrique aurait pour but le « développement des conditions stables pour l’investissement et l’infrastructure » sur le continent africain. D’après Wolfgang Schäuble, qui était présent à Washington pour les Réunions de printemps, cinq pays ont confirmé leur participation : la Côte d’ivoire, le Maroc, le Rwanda, le Sénégal et la Tunisie.
Encore de l’aide… pour l’investissement privé
Alors que le BMZ tente de se démarquer des programmes de développement qui ont été menés depuis les indépendances, son approche totalisante et le discours stéréotypé ne sont pas nouveaux. Le BMZ couvre les grandes lignes de sa « nouvelle » stratégie en dix points et 33 pages. « L’Afrique a besoin de solutions africaines », précise l’autorité allemande, et de poursuivre, « L’appropriation [ownership] africaine doit être renforcée et les temps de “l’aide’” et des “donateurs et de bénéficiaires”», ainsi que le « paternalisme » et l’ « exploitation » sont révolus. Ainsi le document revient sur les travers d’une approche européenne, guidée par des intérêts économiques, à qui manquaient « une politique régulière, ciblée et coordonnée et la structure nécessaire pour sa mise en place ». Plutôt qu’une approche généralisée [« blanket approach »], le BMZ propose « des partenariats de réformes basés sur les incitations » [incentive-based reform partnerships] avec les « champions des réformes des états africains » tels que l’Algérie, le Bénin, le Botswana, l’Egypte, le Ghana, la Mauritanie, le Maroc, le Namibie, le Sénégal, l’Afrique du sud, le Togo et la Tunisie.
Le premier défi, selon le BMZ, sera de créer 20 millions de nouveaux emplois en Afrique chaque année pour satisfaire les demandes d’une population en croissance (le nombre de personnes sur le continent devrait doubler d’ici 2050), dont la majorité est constituée de jeunes (l’âge moyen est 18 ans). Il vise également une stratégie qui « permet » la migration légale tout en « combattant » la migration irrégulière et le trafic humain.
Côté finances, l’investissement privé serait la panacée. D’après le BMZ, l’aide au développement ne peut pas fournir toutes les solutions mais « devrait plutôt servir à faciliter et promouvoir l’investissement privé ». En 2015, 50 milliards d’euros d’aide au développement ont ciblé l’Afrique. Il en faudrait davantage, d’après la présidence du G20 : « Si l’Allemagne et d’autres donateurs, ainsi que les banques multilatérales de développement, soutiennent les fonds durables, cela se traduira par une réduction importante des risques auxquels les investisseurs font face. De cette manière, les fonds publics pourront se servir afin de booster directement l’investissement privé en Afrique ».
Lors des Réunions de printemps à Washington, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a remercié « le soutien du gouvernement allemand pour nos efforts de renforcement des capacités en Afrique ». Un soutien scellé par un pacte de 15 millions d’euros, signé par Lagarde et Wolfgang Schäuble, durant le weekend du 22-23 avril. Même si l’Allemagne est peu disposée à se mettre sous les feux des projecteurs de la scène politique internationale, le gouvernement fédéral reste fidèle aux politiques des institutions financières multilatérales. Sa proposition de ne plus considérer l’Afrique comme simple « continent de matières premiers » et bénéficiaire d’assistance étrangère, n’empêche pas que, dans ce nouveau Plan Marshall, l’aide au développement prenne des allures de remake, même si on préfère parler de « incentive-based » crédits, dont la Tunisie se dope depuis cinq ans, et peut-être depuis bien longtemps.
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