Le premier avril, les médias dominants se sont mis à fantasmer sur la suppression des visas pour les Tunisiens qui se rendent en Europe. La réalité est évidemment toute autre. Une semaine après le leak du protocole d’accord tuniso-allemand concernant le rapatriement accéléré des 1500 demandeurs d’asile déboutés en Allemagne, Nawaat publie une version officielle d’un projet d’accord portant sur la coopération sécuritaire, dont un pilier constitue une réponse « au grand défi » des flux migratoires de l’Afrique vers l’Europe. Signé le 26 septembre 2016 par Hédi Majdoub, ministre de l’Intérieur et son homologue allemand, Thomas de Maizière, ce projet d’accord propose de « prévenir, combattre et élucider » les infractions pénales, notamment le crime organisé, le terrorisme, le trafic de stupéfiants et d’armes ainsi que « la migration illégale et l’introduction clandestine des personnes ». Le Texte de ce projet d’accord a été soumis début mars à la ratification du Bundestag et disponible sur son site. D’après nos sources, ce texte n’aurait pas encore été soumis à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour ratification.

15 articles constituent l’accord entre « parties contractantes » : les ministères tunisiens de l’Intérieur, des Finances, de la Justice et de la Santé et les ministères homologues allemands (y compris l’Office fédéral de police criminelle, l’Office central de la police fédérale, l’Office criminel des douanes).

Une collaboration qui prescrit la mise en œuvre d’« enquêtes opérationnelles par des mesures policières concertées », l’échange d’experts et la coopération au niveau de « la recherche criminalistique et criminologique ». Et d’ « assurer le plus haut niveau de sécurisation des documents de voyage contre la falsification ou la contrefaçon », selon les normes élaborées par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Le texte prévoit la possibilité pour les personnes d’obtenir des informations sur les données existantes les concernant, mais « Une telle information peut être refusée si l’intérêt de l’Etat à ne pas fournir cette information prévaut sur l’intérêt du demandeur ».

« Une maîtrise ordonnée » des flux migratoires

L’Article 2 du texte, qui concerne le crime organisé, la grande criminalité et le terrorisme, évoque « l’introduction clandestine de personnes et la migration illégale » mais c’est principalement l’Article 3 qui traite de la coopération tuniso-allemande en matière de migration. Trois mois avant l’attaque de Berlin et toute la pression exercée par les autorités allemandes sur le gouvernement de Youssef Chahed pour accélérer les expulsions, ce projet d’accord prévoyait déjà le soutien allemand dans « l’élaboration et la mise en œuvre de réglementations légales et de mesures de renforcement des capacités dans la gestion des migrations en vue d’aboutir à une maîtrise ordonnée et coopérative de la migration ».

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A cette fin, le gouvernement allemand s’engage à transmettre son « savoir-faire » lors de formations, y compris de « séminaires spécifiques sur l’identification des documents ou actes officiels falsifiés ou altérés ». D’ailleurs, le texte propose une collaboration avec les Etats de transit, dont la formulation a été reprise quasiment mot à mot dans le protocole conjoint publié par Nawaat la semaine dernière. Ainsi, il s’agit d’ « améliorer et renforcer les contrôles aux frontières », de soutenir « l’introduction de procédés biométriques et la garantie de la sécurité des documents d’identité nationaux », ainsi que de mettre en œuvre des « campagnes de sensibilisation et d’information sur les risques de la migration illégale, de la criminalité liée aux filières d’immigration clandestine et de la traite des êtres humains ».

Ce document apporte une nouvelle preuve du tournant sécuritaire dans la gestion des flux migratoires. Le régime de Ben Ali s’était contenté de jouer le rôle de gardien de la forteresse Europe. Depuis 2015, la militarisation de la Méditerranée, pour endiguer l’arrivée des migrants sur les côtes européennes, évolue aux dépens des droits humains et de la souveraineté nationale.