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Dans sa lutte contre la migration irrégulière, l’Union Européenne s’est engagée depuis 2015 dans des opérations militaires. Le ” Service européen pour l’action extérieure” (SEAE) s’apprête à mener ses opérations, non pas uniquement en haute mer, mais à l’intérieur des eaux territoriales libyennes. Fin janvier, le contre-amiral italien et commandant opérationnel Enrico Credendino a adressé un rapport de suivi (« Six Monthly Report ») au Comité politique et de sécurité (COPS) de l’Union Européenne. Le document, classé confidentiel, a été publié sur Wikileaks le 17 février 2016.

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Flux migratoire dans la Méditerranée

Entre janvier et décembre 2015, 929 171 migrants ont traversé la Méditerranéen pour arriver en Europe, selon FRONTEX, l’agence européenne pour le contrôle des frontières. Plus spécifiquement, 771 237 (83%) de ces migrants auraient pris la route méditerranéenne de l’est dont la plupart de nationalité syrienne, 154 725 (16% dont la majorité de nationalité libyenne) la route méditerranéenne centrale, et 3 209 (0,03%) la route méditerranéenne de l’ouest. La majorité de migrants en route vers l’Europe provenaient d’Erythrée, Somalie, Nigéria, Syrie, Gambie, Sénégal, Soudan, Mali, Côte d’Ivoire, Ethiopie, et 15% étaient d’origine inconnue.

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Contrebandiers et trafiquants de migrants

Toujours selon FRONTEX, entre janvier et novembre 2015, plus de 400 contrebandiers ont été arrêtés par les forces de police. Selon le rapport, les Forces de l’EUNAVFOR MED auraient contribué à 43 arrestations effectuées par les autorités italiennes.

En Libye, le trafic des migrants reste une industrie lucrative. Il représentante environ 50% des revenus sur les côtes de la Tripolitaine d’où embarquent la majorité des migrants. Ce trafic dépend de trois facteurs : le flux migratoire par la route méditerranéenne centrale ; la continuité des opérations menacées par la présence de factions rivales et la capacité des contrebandiers à fournir du transport vers l’Europe.

Sur l’évolution de l’approche des contrebandiers, le contre-amiral Credendino remarque l’adaptabilité des « Tactiques, Techniques, et Procédures » (TTP) de ces derniers face à la nouvelle présence des Forces de l’Opération SOPHIA. Il prévoit d’ailleurs que les stratégies des contrebandiers continueront à changer à travers les phases successives de l’Opération.

L’Opération : personnel, phases et activités

Le personnel (y compris les sociétés, les détachements aériens et logistiques des navires) compte plus de 1300 personnes provenant de 22 pays européens. Entre juin et septembre 2015, le déploiement a eu lieu dans une zone appelé le « Lampedusa Triangle » entre les villes côtières de Zouarah et Misrata en Libye et l’île de Lampedusa (Italie). Cette Phase 1 représentait une période de surveillance dont le but était d’établir une présence et de discerner les modes de gestion des trafiquants. Durant cette période les Forces impliquées auraient sauvé 3078 migrants.

La Phase 2 a commencé le 7 Octobre 2015. Pour perturber le modèle de gestion des contrebandiers, l’Opération est censée dépendre d’un cadre légal pour la poursuite judiciaire de ces derniers. Cette Phase s’appuie sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Protocol de Palerme) et constitue un tournant en matière de collecte de renseignements à l’interception des contrebandiers et des trafiquants en haute mer.

Durant la période estivale, de juin à octobre 2015, les troupes ont observé la recrudescence du trafic des migrants. Elles auraient aidé à sauver 8336 migrants et à détruire 67 bateaux. Depuis le 31 décembre 2015, 46 trafiquants ont été détenus par les autorités italiennes.

Communication : institutions, organisations, public

Depuis le début de l’Opération, Credendino s’est adressé aux « très hauts représentants » de 6 pays, 8 organisations de l’Union européenne, et 13 organisations internationales à l’instar des Nations unies, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et le Comité internationale de la croix rouge (CICR). Le 26 novembre 2015, la première réunion du forum SHADE (Shared Awareness and De-confliction) MED a eu lieu à Rome où 80 représentants de 36 organismes internationaux se sont réunis pour coordonner et harmoniser leurs activités dans le cadre de la sécurité en mer.

Fin Septembre 2015 l’EUNAVFOR MED a formalisé sa coordination avec FRONTEX pour l’échange de renseignements opérationnels, un mécanisme de communication, et le déploiement de responsables de FRONTEX dans des structures EUNAVFOR MED. Le rapport cite d’’autres partenaires comme EUROJUST et EUROPOL, les autorités italiennes, et des délégations européennes.

La délégation européenne en Tunisie coopère pour faciliter une communication avec les autorités libyennes. La première réunion du contre-amiral avec les garde-côtes libyens a eu lieu en novembre à Tunis. Par ailleurs le SEAE et le gouvernement tunisien seraient en train de négocier le soutien médical pour les forces engagées dans cette opération dans des hôpitaux à Tunis.

D’un autre côté, Credendino insiste sur une « approche amicale » et des « messages clés » à la fois coercitifs et positifs pour dissuader les gens de traverser la Méditerranée.

La prochaine phase : un nouveau cadre juridique dépend de la Libye

…à la Phase actuelle de l’Opération, comme prévu, il y a d’excellent progrès vers les trois objectifs militaires stratégiques. D’un point de vue militaire, EUNAVFOR MED est prêt à continuer à la phase 2B (« eaux territoriales ») bien que les défis politiques et juridiques restent importants.

Comme le précise le contre-amiral, le cadre juridique actuel pour la poursuite de contrebandiers (en Italie) ne s’appliquera pas dans les eaux territoriales libyennes. Il faudra donc un accord avec les autorités libyennes pour poursuivre les contrebandiers. Sans cela, les Forces seront obligées de relâcher des contrebandiers interceptés dans les eaux territoriales libyennes « avec la perte de crédibilité de l’opération dans les médias et dans l’opinion publique de l’Union européenne ».

Plus précisément, le contre-amiral Credendino plaide pour :

  1. L’invitation de la part du Gouvernement d’union national en Libye aux Forces européennes d’opérer sur le territoire libyen.
  2. Une nouvelle Résolution du Conseil Sécuritaire des Nations Unies.

Pour inciter la coopération des autorités libyennes, Credendino propose un programme de formation pour le renforcement des capacités de la marine et des gardes-côtes libyens.

Un cadre juridique adéquat est absolument fondamental pour le passage à la phase 2B (« eaux territoriales ») car, sans cela, nous ne pouvons pas être efficaces. Un accord avec les autorités libyenne est tout aussi fondamental pour ce passage. Finalement c’est eux qui ont le vote final sur le cadre juridique lequel poussera la transition à phase 2B ainsi que la volonté des pays membres à fournir des actifs. En tant qu’Union Européenne, nous devons appliquer la pression diplomatique pour aboutir au bon résultat.