Photo : CEDRIC FERRER / VISUAL Press Agency

Trop de confusions suite à la publication de la lettre ouverte de la campagne tunisienne du boycott et de l’opposition à la normalisation avec l’entité sioniste, proche du mouvement international BDS. Appelant à l’annulation du spectacle de Michel Boujenah au Festival de Carthage, elle a appuyé sa revendication par plusieurs sorties médiatiques de l’humoriste franco-tunisien où il a clairement exprimé son adhésion au sionisme et sa sympathie pour Israël. Une vive polémique a aussitôt éclaté où les partisans d’une normalisation avec le sionisme ont fait recours à une rhétorique malsaine exprimant leur profonde ignorance. Et ce, quand ce n’est pas l’expression d’une terrible malhonnêteté intellectuelle.

Première réaction : la diffamation et la diabolisation. Les revendicateurs de l’annulation du spectacle se sont retrouvés traités de « partisans de Daesh » et d’« islamistes ». Nawaat qui a publié leur lettre ouverte adressée au ministre de la Culture et au directeur du Festival de Carthage n’a pas été épargné du même type d’attaques. Veulent-ils confisquer au collectif anti-sioniste sa liberté d’expression et à Nawaat sa liberté d’édition ? Carrément, oui, surtout quand les moins créatifs parmi les défenseurs de Boujenah tombent dans un terrible mimétisme de leurs relais occidentaux en qualifiant leurs détracteurs d’« antisémites » et en les accusant de racisme et de judéophobie. Sur les réseaux sociaux, on atteint rapidement le point Godwin. Or, par ignorance ou par lâcheté, ils omettent que l’opposition au sionisme, c’est le refus de l’apartheid, des actes génocidaires et des pratiques discriminatoires de l’Etat fruit de cette pensée extrémiste ségrégationniste. Abstraction faite des obsessions panarabistes et religieuses, l’humanisme est la valeur motrice de l’opposition au sionisme. Il n’y a pas que la grille identitaire pour penser la politique et la condition humaine.

Par ailleurs, l’un des fondements de leur rhétorique est identitaire. « Michel Boujenah est juif. C’ets normal pour lui de soutenir Israel et le sionisme », disent-ils. Or, être juif et être sioniste, ce sont bien évidemment deux choses distinctes. Il y a une grande différence entre une foi et une idéologie politique. En témoigne le combat de certains juifs tunisiens contre le sionisme dont Georges Adda et Gisèle Halimi. « Michel Boujenah est Tunisien avant tout », disent-ils. Est-ce que le fait qu’il soit un concitoyen rend ses positions pro-sionistes plus politiquement correctes ? Même en nous contentant de la grille nationaliste, la programmation de Michel Boujenah s’avère encore plus problématique. Et pour cause, l’adhésion au sionisme et la sympathie pour Israël sont contradictoires avec sa loyauté à la Tunisie. Sommes-nous amnésiques ? Israël est un pays ennemi de la Tunisie qui l’a bombardé le 1er octobre 1985. 68 victimes ont trouvé la mort lors de ce raid aérien sur Hammam Chott qui a fait une centaine de blessés. Une autre opération du Mossad et du Tsahal a fait trois victimes tunisiennes, lors de l’assassinat du leader palestinien Abou Jihad le 16 avril 1988 à Sidi Bou Saïd. Rien que ces deux exemples, non-exhaustifs, pourraient rafraîchir les mémoires confortablement réfugiées dans l’oubli.

Qu’ils le veuillent ou pas, l’appel au boycott est un type d’actions politiques tout à fait légitime et qui a précédemment montré son efficacité dans les luttes anti-ségrégationnistes. Mais dans cette affaire, un aspect majeur n’a presque pas été évoqué, ou pas comme il devrait l’être. Pourquoi le ministère de la Culture tient-il tant à la programmation de ce spectacle de Michel Boujenah, un humoriste has been dont les valeurs sont en porte-à-faux avec la Constitution Tunisienne qui affirme dès son préambule l’engagement anticolonial de la Tunisie, notamment son soutien à la cause palestinienne ? Ce choix, serait-il un geste de gratitude après son appel à voter pour Caïd Essebsi lors des élections de 2014 ?