Jeudi 27 juillet, l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) a débattu l’approbation d’un nouvel accord de prêt avec l’Union Européenne (UE), à hauteur de 500 millions d’euros, s’inscrivant dans le cadre de l’appui direct au budget de l’Etat. Lors de son audition, le ministre des Finances, Fadhel Abdelkefi, a procédé à un diagnostic pour justifier le recours à ce crédit. La situation budgétaire est critique, le ministre l’a souligné à plusieurs reprises :

On vient aujourd’hui devant vous afin de mobiliser des ressources pour le déficit budgétaire […] le premier chapitre du budget de l’Etat a besoin de financement : on n’est plus capables de faire face aux salaires, aux subventions, aux dépenses courantes de l’Etat et au remboursement de la dette, uniquement grâce au recours à l’endettement […] Je veux dire en toute clarté : on aimerait obtenir ces 500 millions d’euros avant les vacances parlementaires pour pouvoir payer les salaires [ndlr : pour les mois d’août et de septembre].

Avant l’intervention du ministre, plusieurs députés ont tiré la sonnette d’alarme face aux dérives du surendettement, les mesures d’austérité conditionnées par les bailleurs de fonds et leur impact sur la vie des Tunisiens. Fadhel Abdelkefi l’a reconnu, l’endettement de l’Etat tunisien a atteint aujourd’hui plus de 75% du PIB (alors qu’il était de 40% en 2010), un chiffre alarmant. Malgré cela, tout son argumentaire a tourné autour du fait que l’endettement constitue l’unique levier disponible pour faire face à la crise. « Quand le budget de l’Etat augmente de 18 à 32 milliards de dinars, que les moteurs de l’économie sont à l’arrêt, et que le budget exige des ressources supplémentaires allant jusqu’à 12 milliards de dinars, qu’est-ce qu’on fait alors ? Donnez-nous l’alternative ! Celui qui a une alternative à cela [ndlr : à l’endettement], qu’il me la présente », a lancé Abdelkefi aux députés. Le ministre a d’ailleurs tenu à féliciter son équipe pour avoir réussi à négocier des conditions de crédit préférentielles, en termes de taux et de durée.

Que la situation économique soit critique, d’aucun ne peut le contester. Mais de là à prétendre qu’à part l’endettement il n’existe aucune autre solution à la crise, cela pose un problème de crédibilité à plusieurs égards : d’abord en rapport avec les mesures prévues par le plan de développement 2016-2020 du gouvernement, ensuite au niveau de la confiance des bailleurs de fonds quant à la capacité de création de richesses de l’Etat tunisien. Contrairement aux propos de Fadhel Abdelkefi, les alternatives préconisées par les économistes tunisiens ont été multiples et variées. Il y a tout d’abord l’audit de la dette, en vue d’annuler la dette odieuse héritée de la dictature. Le projet de loi sur l’audit de la dette traine dans les coulisses de l’ARP depuis juin 2016. Il y a ensuite la lutte contre l’évasion fiscale, la Banque Mondiale avait estimé qu’elle a engendré un manque à gagner de 1,2 milliard de dollars, uniquement par la voie de la fraude douanière. A cela, viennent s’ajouter les cas concrets des scandales Swissleaks, PanamaPapers et NessmaLeaks… Concernant la lutte contre la fraude fiscale et la fraude à la sécurité sociale, le renforcement du dispositif de contrôle et de recouvrement des taxes permettrait de multiplier les recettes. Quant à la bureaucratie, elle a été à l’origine de l’échec d’une moyenne de 600 grands projets de création d’entreprise par an, entre 2005 et 2015, causant un manque à gagner de 4 milliards d’euros totalisant 236.000 emplois.

Ainsi, ce ne sont pas les alternatives qui manquent, c’est plutôt la volonté politique qui fait défaut. A elle seule, la lutte contre la corruption pourrait engendrer des ressources telles qu’elle nous éviterait le recours à l’endettement. Mais le dispositif de lutte contre la corruption est limité, et les proches du pouvoir semblent jusqu’à ce jour jouir de l’impunité. En témoignent les scandales de la BFT ou de Marina Gammarth.