La CTAF, sous l’égide de la Banque centrale, vient de rendre public un rapport sur « l’évaluation nationale des risques liés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme ». Elle s’est chargée d’établir un diagnostic des principales menaces et défaillances liées au secteur financier tunisien et les secteurs connexes (banques, intermédiaires en bourses, assurances et sociétés de micro-crédit) ainsi qu’à un certain nombre de métiers (avocats, experts comptables, bijoutiers et commerçants de métaux précieux). C’est le premier travail du genre en Tunisie, il a été commandé par la présidence du gouvernement en juin 2014 en vue de renforcer les mécanismes de lutte contre le blanchiment d’argent et le contre-terrorisme en matière financière, dans le cadre de l‘application des recommandations du Groupe d’Action Financière (GAFI).

Carences et incohérences

Bien que la Tunisie soit dotée d’un arsenal juridique et administratif cohérent dans sa lutte contre le blanchiment d’argent, la CTAF a diagnostiqué de nombreuses carences dans la mise en œuvre de ce dispositif, parmi lesquelles : l’efficacité des procédures et des pratiques liés au contrôle, l’application de sanctions administratives par les organes de contrôle et de régulation, la capacité d’analyse et de traitement statistique des crimes financiers de la part des organes d’exécution, les ressources humaines affectées au organes de lutte…

Concernant le secteur immobilier, la CTAF a relevé un certain nombre d’incohérences durant ces dernières années. Il y a tout d’abord l’évolution de l’investissement dans l’immobilier, celui-ci a enregistré une forte croissance depuis la révolution. Une tendance à l’opposé des indicateurs du marché qui révèlent une chute importante de l’investissement global au niveau national et une hausse de l’inflation. En outre, le rythme de construction du parc immobilier a fortement dépassé l’évolution du nombre de nouvelles familles. En 2014, le nombre de nouveaux logements a atteint 80.000 unités par an (il était de 15.000 dans les années 70) pour seulement 58.000 nouvelles familles.

Hausse des prix de 41% entre 2011 et 2013

L’évolution des prix de l’immobilier est aussi surprenante. Entre 2011 et 2013, le prix des appartements neufs a connu une augmentation exceptionnelle de 41%, portant la hausse annuelle des prix à 13,5%. Cela vient une nouvelle fois contrarier les tendances du marché, étant donné que sur l’ensemble de la période 2000-2015, cette augmentation a connu une moyenne de seulement 5,7% par an. Le rapport mentionne à cet effet que « l’évolution de cet indicateur expose un phénomène qui ne peut être expliqué par la loi de l’offre et de la demande, rendant cette tendance haussière des prix injustifiée, spécialement au regard du pouvoir d’achat des clients locaux. Cette situation contribue à la création d’une bulle économique alimentée par la hausse rapide des prix, qui conduirait à la persistance d’un écart important entre les prix du marché et l’évolution des principaux indicateurs économiques ». D’ailleurs, une étude du ministère de l’Equipement, de l’habitat et de l’Aménagement du territoire a mis en lumière l’existence de 100.000 logements vacants qui ne sont disponibles ni à la vente ni à la location et qui n’ont pas vocation à constituer une résidence secondaire.

Analysant les causes de ces carences, incohérences et augmentations exceptionnelles, la CTAF a estimé que le degré élevé des risques liés au blanchiment d’argent dans le secteur immobilier revenait principalement à quatre facteurs : le manque de rigueur des agents immobiliers sur l’importance de rédiger des contrats en vertu des normes liées à la lutte contre blanchiment d’argent, l’absence d’une autorité de contrôle qui veille à ce que les agents immobiliers se conforment aux dispositions légales, l’absence totale des « déclarations des soupçon » et l’importance des transactions en argent liquide.