Crédit photo : Kerim Bouzouita

Mises à part des mesures de discrimination positive et de parité homme-femme contenues dans des lois organiques, donc relatives à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics, l’unique acquis réel depuis 2014 est le vote récent de la loi n°60-2016 relative aux violences faites aux femmes. Cette loi entrera en vigueur 6 mois après sa publication dans le Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT). Ce nouveau dispositif légal répond à une urgence. Les chiffres d’une étude du Centre de Recherches, d’Etudes, de Documentation et d’Information sur la Femme (CREDIF) datant de mars 2016 l’attestent : 78.1% des femmes en Tunisie disent avoir subi une violence psychologique dans l’espace public, tandis que 41.2% ont été victimes de violences physiques et 75.4% de violences sexuelles. Une autre enquête menée par le CREDIF et également publiée en 2016 relève que le chômage en Tunisie concerne 11,4% des hommes et 22% des femmes, soit le double. Parmi les diplômés, le chômage touche 50% les femmes et 21,7% les hommes.

Aucune mesure concrète n’a été amorcée

Néanmoins, les mesures ambitieuses prévues par le texte, notamment dans ses articles 7, 8, 9, 10 et 11, n’ont pas été suivies d’une réelle volonté politique pour préparer le terrain de leur implantation, au vu de l’urgence de la situation et la longue durée de leur exécution. Les programmes éducatifs et culturels, l’éducation sexuelle prévue dans les programmes scolaires ainsi que la formation des professeurs et instituteurs à l’égalité, la non-discrimination et la lutte contre la violence dans les milieux scolaires et universitaires, autant de mesures prévues par la loi relative aux violences faites aux femmes mais aucun chantier n’a été entamé pour en faire une réalité.

D’autres mesures comme l’organisation d’ateliers de formation pour les personnes travaillant dans la protection des droits de la femme, la lutte contre l’abandon scolaire chez les filles et la création de cellules d’écoute et de prise en charge, également prévues à l’article 7, pourraient être rapidement mises en œuvre au cas où un budget « sensible au genre » serait mis en place. Néanmoins, le débat sur la question en est encore à ses prémisses. Or, l’adoption d’un budget « sensible au genre » devrait rendre l’identification des inégalités de traitement entre les femmes et les hommes systématique. Il pourrait rééquilibrer ainsi la répartition des crédits budgétaires entre les sexes. Cette approche a pourtant été prévue dans le budget du ministère des Affaires de la femme et de la famille pour l’année 2017.

Peu de ressources financières mobilisées

La question de la non-faisabilité de certaines mesures pour manque de ressources financières et humaines est également cruciale. Par exemple, les dispositions de l’article 23 concernant la mise en place d’espaces indépendants au sein des tribunaux de première instance pour les juges spécialisés dans les affaires des violences faites aux femmes ne semblent pas réalisables dans le futur proche. La grève des magistrats du 27 au 29 mars dernier à la suite des décisions du conseil ministériel du 18 mars jugées incomplètes et ayant omis le volet financier ne présage rien de bon. De plus, le budget du ministère des Affaires de la femme et de la famille n’a augmenté que de 1,89 millions de dinars, soit 53,9%, passant ainsi à 5,4 millions de dinars. Progression, certes, mais insuffisante vu les besoins conséquents surtout qu’une infime partie du financement des projets provient du budget de l’Etat, la majorité émanant de financements directs, c’est-à-dire externes à l’Etat et donc dépendants de la volonté des parties qui financent.

Comme souvent, ce n’est donc pas le cadre légal qui fait défaut aux grandes réformes sociétales mais bien la volonté politique de mettre en place des mesures réfléchies et immédiates. Les avancées sociales devront encore attendre, entre temps, le sur-place est en passe de devenir un sport national.