Entre les débats autour du projet du Code des collectivités locales, le manque de ressources évident, les tensions au sein de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) et les calculs politiques des blocs majoritaires à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), beaucoup en sont venus à douter de la tenue même de ces élections. Et désormais, près d’une dizaine de partis politiques revendiquent le report à une date indéfinie.
Toujours pas de tribunaux administratifs régionaux
La mise en place de tribunaux administratifs régionaux, prévue pour septembre 2017, n’a quasiment pas du tout avancé. Pourtant, leur fonction est essentielle pour garantir l’intégrité du scrutin. Ils ont pour mission de statuer sur les litiges des candidatures aux élections municipales. Or, le tribunal administratif croule sous la charge des affaires encore non réglées des élections de 2011 et 2014, sans parler des litiges auxquels donneront lieu les prochaines élections qui se tiendront dans 350 municipalités, comme a déclaré Lotfi Khaldi, secrétaire général du tribunal administratif lors d’un débat organisé par le Réseau Alternatif des Jeunes (RAJ) le 23 juin 2017.
Une solution provisoire a depuis été retenue: l’aménagement de salles au sein des tribunaux d’appel. S’ajoute à cela la polémique soulevée par l’Union des Magistrats Administratifs quant à la transparence du processus de recrutement des nouveaux magistrats. De plus, le manque d’investissement clair dans les ressources financières et humaines de la justice pose problème. En effet, l’Association des Magistrats Tunisiens s’est indignée du budget consacré au tribunal administratif qui, bien qu’ayant connu une hausse de 8,41% entre 2016 et 2017, ne prend pas en considération le volume du travail quotidien ni les litiges auxquels donneront lieu les élections municipales de 2017. Cela n’est guère étonnant quand on sait que seulement 1,67% du budget total de l’Etat pour l’année 2017 a été consacré au ministère de la justice, passant ainsi de 491.315 mille dinars en 2016 à 542.005 mille dinars en 2017. A noter qu’uniquement 43,2% de ce budget est dédié à l’appareil judiciaire, ce qui équivaut à 21 dinars par an et par citoyen pour les procédures juridictionnelles.
Le Code des collectivités locales… ça traine aussi
Le projet du Code des collectivités locales, contenant 386 articles, n’a même pas encore été lu en entier par la commission chargée au sein de l’ARP de l’examiner et d’y apporter de possibles amendements. Un retard qui met en péril la mise en application de la constitution, surtout que certaines voix appellent, sans complexes, à maintenir la loi organique des communes du 14 mai 1975 pour les élections de décembre. C’est ce qu’a déclaré Riadh Mouakher, ministre des Affaires locales et de l’Environnement dans la matinale d’Express fm du mercredi 22 août. Une loi datant d’une époque où l’idée de décentralisation était inexistante en Tunisie.
L’indépendance financière et décisionnelle des collectivités locales, censée être organisée dans le projet du code de ces collectivités, est donc relayée au second plan. En effet, si ce principe est inscrit dans la constitution de janvier 2014, les mécanismes pour garantir cette indépendance manquent selon plusieurs observateurs de la société civile. La dernière version du code permet une moindre marge de manouvre aux collectivités que les versions précédentes en y réinsérant insidieusement le contrôle a priori du pouvoir central dans plusieurs de ses articles. Par exemple, la possibilité pour le pouvoir central d’exercer les prérogatives d’une collectivité quand celle-ci fait preuve de « négligence » dans l’exercice de ses obligations envers les citoyens, sans définir précisément ce qui peut constituer cette négligence, peut être un terrain glissant octroyant un pouvoir discrétionnaire large au pouvoir central.
Crise institutionnelle à l’ISIE
La démission de trois membres du conseil de l’ISIE le 9 mai dernier, son président Chafik Sarsar, son vice-président Mourad Ben Moula et la magistrate Lamia Zargouni, apparait comme le résultat naturel d’une série de luttes intestines et de suspicions d’infiltration et d’instrumentalisation politique. C’est d’ailleurs à demi-mot l’explication donnée par les démissionnaires. Les accusations de piratage de comptes mail soulèvent des inquiétudes concernant, notamment, la sécurité des données personnelles des membres de l’instance qui, si elle n’est pas garantie pour ses propres membres, présenterait un risque pour les millions d’électeurs enregistrés. Ces accusations seraient lourdes de conséquences quant à l’intégrité et la transparence du processus électoral si jamais elles venaient à être confirmées. L’hypothèse d’un décompte électronique serait, par exemple, une avancée vu le nombre de circonscriptions, ce qui faciliterait l’opération de décompte en soi et accélérerait l’annonce des résultats. Une option, hélas, peu envisageable dans le contexte de doute actuel. Les observateurs pointent également du doigt le rapport rendu le 11 mai dernier par la Cour des Comptes concernant des « défaillances et manquements d’ordre administratif et financier » ou encore le renouvellement du tiers des membres depuis février qui aurait mis les membres démissionnaires dans une situation minoritaire.
Le processus du vote à l’ARP des trois membres remplaçants ceux qui ont démissionné soulève aussi des questions. Farouk Bouasker a été élu au troisième tour dans la catégorie juge judiciaire à 147 voix sur un total de 162 représentants présents alors qu’il n’avait obtenu aucune voix au premier tour, en sachant que le dernier tour des votes fût précédé par une réunion de « négociation ». Cela devrait soulever des questions sur les intérêts partisans en jeu. Al Bawsala a aussi relevé la non-comptabilisation de deux voix pour nulle raison apparente. De plus, le bloc de Nidaa Tounes a quitté l’assemblée pour faire tomber le quorum lorsque leur candidat dans la catégorie juge administratif n’a pas obtenu la majorité absolue. Le vote a ainsi été reporté pour une date non encore définie, retardant encore plus un processus urgent et délicat.
Impact des calculs politiques des partis majoritaires
Les deux blocs majoritaires à l’ARP, Nida Tounes et Ennahdha, ont également joué un rôle majeur dans le ralentissement du processus des élections pour servir leurs propres intérêts. La loi organique du 26 mai 2014 relative aux élections et aux référendums et la loi de 2017 l’ayant modifiée et complétée posent des critères quasi-impossibles à atteindre pour les listes des partis émergents et les listes indépendantes, surtout dans les grandes municipalités. Par exemple, des obligations telles que la représentativité des jeunes, des handicapés, la parité verticale et horizontale (pour les partis présentant des listes dans plus d’une circonscription électorale), l’interdiction pour les personnes ayant des liens apparentés de se présenter dans la même liste, autant de critères cumulatifs et quasi-prohibitifs pour les listes indépendantes et les “petits” partis, bien qu’en apparence, le souci de diversité et de représentativité peut être prétexté. Quand on sait que la loi sur les élections découle d’un consensus entre les deux blocs Ennahdha et Nidaa à l’ARP, il n’est pas difficile d’en déduire leur volonté de maintenir une hégémonie effrontée sur la vie politique.
De plus, le projet de loi du Code des collectivités locales qui devrait, en principe, être discuté et voté avant les élections municipales, et qui est une condition sine qua non de la réussite de la décentralisation dans le pays, parait de moins en moins réalisable avant cette échéance. En effet, il est au centre de conflits d’intérêts multiples. Le ministère des Finances manque de ressources et donne la priorité aux tentatives de résolution de la crise économique d’où le blocage du projet pendant des mois. Le ministère des Affaires locales et de l’Environnement souhaite régler la situation catastrophique des municipalités en Tunisie. Quant aux partis, ils sont focalisés sur les intérêts qui leur garantissent une présence forte lors des élections au détriment de tout, y compris les pouvoirs qui seront conférés à leurs élus après le scrutin.
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