Nawaat : Dans un premier temps, vous avez été interpelé à l’hôtel et convoqué au commissariat. Est-ce que les agents en charge vous ont dévoilé le motif de votre convocation au commissariat ? Ont-ils spécifié à quel corps sécuritaire ils appartiennent ?

Hicham Alaoui : Je tiens à préciser que je n’ai pas été arrêté. Au début, c’est à l’hôtel où des policiers, accompagnés par le directeur de l’hôtel, m’ont approché. Ils ont précisé qu’ils appartiennent à la sécurité de l’aéroport (la police postée à l’aéroport), et ont décliné leur identité quand j’ai demandé de voir leurs badges. Ils n’ont pas précisé pour quelle raison on m’approchait, mais ils m’ont dit qu’il y avait un problème à résoudre concernant la douane. J’ai répondu que si c’était un problème de douane, il faudrait inspecter ma chambre et mes affaires. Pendant la fouille qui a suivi, j’ai insisté à ce que le directeur de l’hôtel soit présent afin d’être témoin de tout ce que les officiers de police présents pourraient découvrir, et ce afin d’éviter l’éventuel placement de matériaux suspects dans la chambre ou parmi mes affaires. En sortant de l’hôtel, les policiers s’attendaient à ce que je les accompagne à l’aéroport dans un véhicule fourni par l’hôtel. Mais j’ai demandé de monter avec les policiers dans leur véhicule officiel puisque je voulais qu’il soit clair que j’étais officiellement sous leur responsabilité en cas de n’importe quel risque pour ma vie.

Comment et à quel moment avez-vous été informé de la décision de l’expulsion ? Avez-vous demandé des explications et quelle est la réponse qui vous a été fournie ?

Les policiers m’ont emmené directement à l’aéroport. Une fois arrivé, le directeur d’Air France m’a informé qu’on lui avait demandé de me réserver une place pour le vol en partance vers Paris. A ce moment, je me suis adressé aux policiers pour dire que c’était une expulsion forcée et qu’il faudrait donc une explication. J’ai demandé une documentation officielle confirmant cette déportation et ses raisons légales. La police a donc reconnu que tant que je n’ai commis aucun crime ou délit, ils ne pouvaient pas fournir de documents officiels.  J’ai insisté pour qu’ils attestent de l’expulsion au moins avec un cachet officiel apposé dans mon passeport. Mais les policiers m’ont répondu en affirmant qu’en tant qu’Etat souverain, ils ont le droit de prendre une décision souveraine. Je leur ai répondu en expliquant que je respectais leur position mais que je suis un homme libre et je peux prendre des décisions libres. Je leur ai dit qu’en l’absence de documentation officielle, ils devraient me mettre des menottes pour me faire monter à bord de l’avion. C’était le cachet ou les menottes. Après 45 minutes d’attente, ils ont cédé et ont tamponné le passeport. La dernière demande que j’ai faite, c’était que les policiers affirment verbalement qu’on me déportait alors que je n’avais pas commis de crime, et ce, en mettant le haut-parleur pendant que je communiquais avec trois parties externes. Pendant ces conversations téléphoniques, le directeur d’Air France a aussi corroboré le fait qu’on me déportait sans commettre un crime. A ce moment, ils m’ont accompagné à l’avion, et je suis parti à Paris.

Avez-vous une idée sur l’implication des autorités marocaines dans cette expulsion ? Avez-vous sollicité l’ambassade du Maroc afin d’en savoir plus sur votre situation ?

Je ne me suis pas adressé aux autorités marocaines pour savoir davantage sur ma situation, et je n’ai aucune idée concernant leur implication. Je n’ai pas envie de spéculer.

Certains observateurs suggèrent un lien entre votre expulsion et des pressions saoudiennes et/ou émiraties, les diplomaties de ces monarchies étant gênées par le thème du symposium et par la teneur de vos réflexions sur cette thématique. A quel point accordez-vous du crédit à une telle hypothèse ?

Mon intervention dans ce symposium académique, sponsorisé par l’Université de Stanford, allait proposer une perspective comparative sur la transition politique tunisienne, et les défis de la consolidation de la démocratie. Je n’ai aucune idée sur l’interférence saoudienne ou émiratie dans ces affaires académiques, et encore une fois, je n’ai pas envie de spéculer.

Quelle est l’effet de cette expulsion sur votre regard sur la Tunisie postrévolutionnaire et la situation de la liberté d’expression et des libertés académiques dans notre pays ?

Mes points de vue sur la politique tunisienne postrévolutionnaire n’ont pas changé. La Tunisie, ayant abouti à une transition démocratique, reste le seul point lumineux du Printemps Arabe. Toutefois, ces premiers pas doivent à se consolider pleinement. Par « consolider », je veux dire un Etat démocratique, conscient de ses choix et responsable de ses actes, basé sur les principes de l’Etat de droit avec des balises et des contrepoids. Dans mon cas, je crois qu’il y a eu une grande faille comme c’était le résultat d’une décision exécutive qui a contourné les contrôles judiciaire et parlementaire. La transition démocratique en Tunisie est dans une phase critique, et pour franchir ce palier, il faut plus d’engagement et de participation citoyenne.