Plus aucun domaine ne leur échappe. Que vous soyez cadre dans une entreprise, jeune chômeur, étudiant, ou encore parent en devenir, ils sont nombreux à vous proposer de vous « coacher » dans votre vie, à la fois professionnelle et privée. « Comment vaincre ses peurs ? », « La communication au profit de la gestion du stress », « Apprendre à apprendre avec la PNL », « Et si j’étais victime de manipulation affective ? »… Sous la forme d’ateliers, de livres, de vidéos, ou de séances individuelles, ces sujets passionnent. Si bien qu’ils interrogent : comment est né ce phénomène social ? Que dit-il de notre société ? A quels besoins vient-il répondre ?

L’ère du coaching

En anglais, le terme de « coach » est associé à une notion de mouvement, de conduite et d’objectif à atteindre. Il reflète l’idée d’accompagnement et de préparation face à un défi qui peut être professionnel, mais aussi personnel. L’idée étant d’exploiter au mieux le potentiel d’une personne ou d’un groupe en vue d’un résultat précis et mesurable. Il comprend un ensemble de techni­ques qui s’appuie sur des concepts issus des thérapies apparues dans les ­années 1950 aux Etats-Unis, comme l’analyse transactionnelle d’Eric Berne, la Gestalt thérapie de Fritz Perls, l’hypnose de Milton Erickson ou, plus récemment, la très renommée PNL (programmation neuro-linguistique), développée par Richard Bandler et John Grinder. En effet, le coaching s’appuie sur différentes approches qui sont essentiellement empruntées à la psychologie, à la psychothérapie et au management. Né en Californie dans les années 1960, le coaching a fait son apparition en Tunisie au début des années 2000. Mais en vingt ans, et malgré son développement, il n’a toujours pas de cadre légal.

« Il n’y a aucune obligation d’être affilié à une association ou fédération et de ce fait, il n’y a aucune réglementation ou supervision officielle dans la pratique du métier de coach », regrette la coach Zhaira Bennani. « Il est important de voir apparaître une association principale qui puisse contrôler et protéger le métier, proposant une déontologie et une éthique sur laquelle les coachs certifiés de Tunisie s’engagent », poursuit-elle. Une nécessité d’autant plus forte vu le développement de ce métier et l’intérêt que les Tunisiens y portent. Un intérêt qui trouve ses raisons dans un contexte où le culte de la performance et l’individualisation de la société se font de plus en plus grands. « L’hyper-stimulation épuise notre volonté, la société nous pousse à vouloir tout obtenir, tout de suite, à aspirer à être parfait, à se comparer aux autres en se focalisant sur ce qui nous manque. Tout cela crée une énorme frustration et une insatisfaction grandissantes. Souvent, les personnes qui s’adressent à un coach, trouvent difficile de passer de leur état présent à ce qu’ils désirent.  En consultant un coach, ils peuvent s’écouter, sonder leurs besoins et aspirations, gérer leur frustration, ré-ajuster leurs objectifs et plans d’action », explique Zhaira Bennani.

De l’humanisme à l’utilitarisme ?

C’est dans un cadre professionnel que Mounir, qui travaille dans le milieu pharmaceutique, a eu droit à trois formations, toutes centrées sur le développement de ses capacités à manager une équipe. «  Les séances de coaching m’ont permis de mieux me connaitre et d’adopter un style managérial cohérent avec ma personnalité », se réjouit-il. « Grâce aux conseils du coach nous avons même pu régler des conflits au sein de l’équipe ». Pour lui, cette expérience a eu des effets positifs sur sa personnalité : « mon coaching m’a rendu plus humain et plus empathique ». C’est précisément cette dialectique entre utilitarisme gestionnaire (recherche de la performance et développement des compétences) et humanisme que le coach cherche à mettre en place. Défi pas toujours facile à relever. Pour Monia, cadre dans une multinationale, on ne peut pas dire que l’expérience du coaching a été un succès. « J’avais un poste difficile, dans un contexte difficile. C’était après la Révolution et il y a eu des restructurations à répétition. Notre manager pensait bien faire en nous proposant des séances de coaching. Or, j’ai vite compris que l’objectif n’était certainement pas notre bien-être, mais l’optimisation des profits. Nous, salariés, n’étions que des outils qu’il fallait rentabiliser ». Monia va même plus loin. Elle a eu le sentiment que le salarié était considéré comme le seul responsable de sa réussite ou de son échec professionnel. « Or, l’entreprise a elle aussi sa part de responsabilité ! », s’indigne-t-elle. Cette jeune chef de projet pose là un des problèmes du coaching professionnel : sert-il l’entreprise ou le salarié ? De nombreux témoignages viennent confirmer l’idée selon laquelle le coaching veille à parer toutes les faiblesses de l’individu qui entraverait le bon développement économique de l’entreprise.

La rhétorique qui sous-tend le coaching serait donc l’expression de l’idéologie ultralibérale de notre temps ? « Je ne suis ni philosophe, ni sociologue, mais les deux expériences de coaching que j’ai eu m’ont mis très mal à l’aise », conclut Monia. Pour Roland Gori et Pierre Le Coz, auteurs du livre L’Empire des coachs : une nouvelle forme de contrôle social, le constat est sans appel : « par une heureuse coïncidence, le coaché accomplit sa volonté la plus profonde en se soumettant aux nécessités du marché. Il trouve son bien-être en se révélant à lui-même sous l’aspect d’un stock de ressources biopsychiques à exploiter. Il apprend à se rapporter à lui-même sur le mode d’une micro-entreprise à gérer qui définit l’essence même de son être. Le sujet éthique de cette culture se modèle sur l’homo-economicus ». Car le coaching ne se limite pas à conseiller, il touche jusqu’au plus intime de nous-même. Zhaira Bennani s’en défend : « le coach a la responsabilité de co-piloter un projet avec son client, mais le volant reste entre les mains de ce dernier », mais reconnait que « nous ne sommes pas à l’abri de dérives ».

Déviances et abus

Asma garde un souvenir amer du coaching. Il y a quelques années, lorsqu’elle apprend le cancer de sa mère, elle se jette sur tout ce qui peut l’aider à guérir. C’est ainsi qu’elle l’encourage à assister à des séances de coaching. « On nous rabattait à longueur de temps qu’il fallait lâcher prise, reprendre confiance en soi, s’écouter, prendre du temps pour soi, rien d’exceptionnel en somme», se souvient Asma. « Puis on nous a encouragé à assister à d’autres activités organisées par les mêmes coachs, comme le yoga du rire ». La mère d’Asma semble convaincue et les séances lui font du bien. « Je ne comptais plus l’argent que je m’étais pour ces séances, une fois j’ai claqué 1500 DT en trois jours ». Mais tant que cela aidait sa mère, la jeune femme ne s’autorisait aucun regard critique. Jusqu’au jour où la coach leur parle d’un « super business », « de vente d’abonnements téléphoniques », « de système de parrainage ».

C’est alors qu’Asma fait quelques recherches et se rend compte que les coachs en question profitaient de la faiblesse de leurs clients pour les entraîner dans une arnaque pyramidale. Plusieurs plaintes ont été déposées depuis. Mais Asma n’a gardé contact avec personne. « Ma mère a rechuté dans la maladie et ne voulait plus entendre parler de coaching. Mais je mentirais si je disais que ça ne l’a pas aidé. La méditation et le yoga du rire lui faisait beaucoup de bien », reconnait-elle. Une histoire parmi tant d’autres qui, sans jeter le bébé avec l’eau du bain, appelle à la vigilance. Zhaira Bennani en a conscience : « sans déontologie, sans éthique, sans responsabilité personnelle et avec les outils dont il dispose, un coach peut créer des situations stressantes et déstabilisantes chez ses clients. Un de nos formateurs avait pour habitude d’assimiler nos outils de coaching à un couteau de cuisine, indispensable à faire de bons petits plats, mais capable aussi de menacer, soumettre, blesser, d’ôter une vie ». Supercherie pour les uns, méthodes efficaces pour les autres, ce qui est sûr c’est que le coaching a encore le vent en poupe.