Portrait de Marwen Mbarki, une victime des événements des tirs à la chevrotine, porté par sa mère

Le tribunal militaire s’est saisi des dossiers des victimes des événements de Siliana, comme de ceux de Baraket Essahel et des blessés et martyrs de la révolution avant la publication de la loi organique du 24 décembre 2013 instaurant la justice transitionnelle. Une fois entrée en vigueur, celle-ci a octroyé la compétence des affaires relatives aux atteintes graves aux droits de l’Homme à des chambres spécialisées au sein des tribunaux de première instance. Elle prévoit de plus, dans son article 48, que la saisine présentée devant la commission d’arbitrage et de réconciliation interrompe « l’examen des litiges soumis aux instances judiciaires et publiées devant elles ». De fait, le tribunal militaire n’est plus compétent, même si les affaires sont déjà en cours devant lui. Pourtant, le procureur général de la direction de la justice militaire a affirmé, le 24 août 2017, que les séances publiques que l’IVD a tenu sur les incidents de Siliana constituent « une violation du principe du secret de l’enquête et une atteinte aux droits des parties concernées ».

Incohérence du tribunal militaire 

Pour Lamia Farhani, avocate en charge du dossier des blessés et martyrs de la révolution, la loi est claire. Quand en 2011, la justice militaire a exigé de récupérer ces dossiers des tribunaux civils, ces derniers ont concédé à sa demande, conformément à l’article 22 de la loi des forces de sécurité intérieures. Le 29 avril 2015, la cour de cassation de la justice militaire en charge des dossiers des martyrs et blessés du Grand Tunis, Thala et Kasserine a déclaré que les affaires devraient être renvoyées devant les chambres spécialisées. Le renvoi devant la justice militaire ne s’est donc pas fait que parce que ces chambres n’étaient toujours pas fonctionnelles. Pourtant, la justice militaire refuse toujours de coopérer avec l’IVD.

Selon Mohamed Ben Salem, vice-président de l’IVD, les chambres spécialisées commenceront à opérer début janvier 2018. La formation des juges, procureurs et avocats débutera ce jeudi. Même déclaration et même délais annoncés en novembre dernier. Pour lui, les moyens ne devraient pas poser problème parce que ces chambres siègent dans les cours d’appel. Questionné sur les raisons du retard, le ministère de la Justice a évoqué un simple problème de logistique, assurant l’imminence de ces juridictions. Néanmoins, Salwa Gantri, chef du bureau tunisien du Centre International pour la Justice Transitionnelle (ICJT), estime que c’est avant tout « une absence de volonté politique pour mettre fin à l’impunité ».

Enjeu politique et opacité de l’IVD

Les victimes sont divisées. Elles ne comprennent plus où en est le processus de justice transitionnelle. L’IVD ne communique presque pas sur le progrès des dossiers. C’est ce qu’explique l’avocate Lamia Farhani qui dit avoir demandé à rencontrer les responsables depuis juillet, sans réponse. Habituellement, la défense a le droit d’accéder aux éléments de l’enquête. L’opacité du travail de l’IVD porte à confusion. Aucun progrès non plus concernant le fonds de dignité et de réhabilitation des victimes de l’oppression créé en 2013. L’avocate ajoute : « Certains dossiers présentés par la commission d’enquête et d’investigation sont incomplets ou carrément vides. De plus, chaque partie doit assumer ses responsabilités. L’IVD doit questionner la responsabilité du tribunal militaire, ainsi que des autres institutions refusant de coopérer avec elle, devant l’Assemblée des Représentants du Peuple. Aucune ne devrait être au-dessus de la loi. L’IVD ne peut pas se contenter de mener des investigations incomplètes en prétextant l’absence de coopération ». Concrètement, le pouvoir législatif n’a que peu de moyens d’agir face à un exécutif récalcitrant. Et les accusations des victimes de tentative de blanchiment de l’image des responsables politiques des événements de Siliana sont un coup de plus porté à un processus déjà mis à mal.

Après le vote de son budget le 5 décembre, l’IVD attaque sa dernière année d’exercice. Sihem Ben Sedrine, sa présidente, a démenti devant l’ARP toute intention de prolonger le mandat d’une année supplémentaire. Les juridictions spécialisées devraient bientôt entamer leurs travaux. Les victimes pourraient ainsi voir leur exigence initiale concrétisée. Pour sa part, le tribunal militaire aura du mal à continuer à légitimer son refus de transférer les dossiers. Le différend politique sous couvert de conflit de compétences, continuera-t-il ?


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