A Bab el Khadra, l’écriteau qui indique le nouveau nom du jardin imite du mieux qu’il peut le style habituel des municipalités. Mais il n’est pas difficile de deviner qu’il n’est pas officiel, quelques petites fautes, un coin qui se décolle, tout autant d’indices pour comprendre que ce n’est pas une initiative de l’Etat tunisien rendant hommage à la mémoire d’une de ses victimes. L’initiative a été portée dès 2011 par des habitants de Bab el Khadra et de Lafayette, sotenus par le bureau local du Conseil de Protection de la Révolution.
Dès le printemps 2011, les habitants ont voulu rebaptiser l’avenue de Lyon au nom de Helmi Manaï. Le lieu est très symbolique puisque c’est là que le jeune homme de 23 ans a été abattu le 13 janvier 2011. Face au refus de la mairie, ils ont décidé de donner son nom au jardin du quartier, ça sera chose faite en décembre 2011. C’est aux frais des habitants, aidés par une association caritative, qu’une stèle en hommage au martyr a été érigée.
Aujourd’hui, le jardin est délaissé. Les ordures et les mauvaises herbes cohabitent, au milieu des passants, des chats et chiens errants. La stèle en hommage au martyr ne fait pas exception. La peinture s’écaille sur le marbre, si bien que les mots « martyr de la révolution » sont devenus invisibles comme si quelqu’un s’était acharné à les effacer.
Lentement, la mémoire s’étiole, dans l’indifférence de tous. Sept ans après la révolution, peu de monuments à la mémoire des martyrs ont vu le jour. Les autorités concernées attendent la liste définitive des martyrs et des blessés de la révolution comme nous l’a expliqué un responsable à la municipalité de Tunis. Mais jusqu’à aujourd’hui, la liste n’a pas été publiée. Quand on lui en parle, Saïda Manaï, la mère de Helmi se met en colère : « La liste des martyrs de la révolution ? Deux ans que le président la retient. Ils ne veulent pas la sortir. Je ne vais plus manifester à l’assemblée, si c’est pour qu’à chaque fois, on nous envoie Mbarka Brahmi, parce qu’elle aussi a perdu un martyr, c’est inutile. Personne ne fait rien pour nous ». Au moins deux instances sont chargées d’établir cette liste finale, l’Instance Vérité et Dignité (IVD) et la Haute Instance des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. Aucune n’a encore rendu publique sa liste, laissant blessés et familles des martyrs amers et découragés.
Cet hommage est pourtant aujourd’hui en danger. Contacté par Nawaat, un responsable de la municipalité de Tunis nous a expliqué que la place Bab el Khadra va être entièrement réaménagée. Le parc risque d’être détruit pour laisser place à un parking souterrain. Toutefois, il nous a assuré que l’entreprise qui construira le parking devra refaire un jardin par-dessus, et l’entretenir elle-même. « Le quartier va totalement changer, il sera beaucoup plus attractif, le terrain vague qui sert de parking à côté va devenir un immeuble à sept étages. Une entreprise koweïtie va le construire », nous annonce-t-il avec enthousiasme. Il y a peu de doutes sur le fait que la stèle en mémoire de Helmi Manaï ne survivra pas à ces travaux.
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