Il est 15h. Une petite foule commence à se rassembler autour de la tombe du martyr Fadhel Sassi, au cimetière Djellaz à Tunis. A tour de rôle, ses anciens amis et camarades de lutte racontent des anecdotes à son sujet, avant de se remémorer plus longuement le jour où il a perdu la vie, alors que les Emeutes du Pain venaient d’atteindre la capitale, il y a 34 ans. S’ils n’étaient pas à ses côtés au moment fatidique, la plupart d’entre eux avaient passé la matinée avec lui, à organiser le soutien estudiantin aux manifestants.
« Le 3 janvier, vers 10h30, nous avons fait une réunion à la faculté de droit et nous avons décidé d’aller du campus jusqu’à Jbel Lahmar. Les étudiants de la faculté de lettres prévoyaient de partir de Bab Saadoun et nous allions nous rejoindre sur l’avenue Bourguiba », raconte Jamel Mkadmi, ami proche de Fadhel Sassi.
« Beaucoup d’habitants de Jbel Lahmar nous ont rejoints. […] Nous sommes ensuite passés par Bourguiba School car un autre groupe d’étudiants et militants du Watad nous y attendait », se souvient-il. « Notre groupe a été frappé par des balles en caoutchouc les cartouches. Ensuite, les policiers ont commencé à tirer sur nous à balles réelles », poursuit le sexagénaire. Jamel explique que le groupe dont faisait partie Fadhel se trouvait alors près du jardin Habib Thameur. Le groupe de manifestants a finalement pris l’avenue de Paris en direction de l’avenue Bourguiba avec la volonté ferme de manifester devant le ministère de l’Intérieur. Au niveau de l’hôtel International (hôtel Hana), Fadhel est touché par un sniper. La cartouche qui vient se loger à 3 centimètres du cœur lui a été fatale.
Larbi Bahri était leader de ce mouvement estudiantin. C’est lui qui avait donné le mot d’ordre, le matin-même. « Trois heures après [être partis des campus pour manifester], une fille est venue nous voir. Nous étions dans un appartement habité par Samir Laabidi et Hakim Ben Hammouda. Elle avait le portefeuille de Fadhel Sassi. C’est là qu’on a appris que Fadhel était mort », se souvient Larbi.
Lorsqu’on lui demande quel souvenir garder de Fadhel Sassi, il nous raconte avec fougue le respect et l’estime qu’il porte encore aujourd’hui au martyr, qui était à l’époque leader de l’UGET et du Watad. « Il a tout donné de lui-même ! Lorsque partout les émeutes éclataient, il a choisi d’aller soutenir les manifestants au centre-ville. Il s’est donné sans arrière-pensées. Trente ans après, nous ne sommes rien à côté de lui. Lui, il était un lion », se confie Larbi Bahri.
« C’était un vrai révolutionnaire », renchérit Faysel Boufaden, un ami d’enfance de Fadhel. Et d’ajouter : « Nous construisions un mouvement progressiste, pour une société ouverte et équitable. […] Nous aimions le pays, nous aimions la patrie ».
34 ans après l’assassinat de Fadhel Sassi, l’Etat n’a toujours pas reconnu sa responsabilité. « Même le nombre de victimes [du 3 janvier 1984] n’est pas encore déterminé », déplore Jamel Mkadmi, avant d’ajouter que « ce sont des pages oubliées de l’histoire de la Tunisie. […] Beaucoup de familles avaient peur, et n’ont pas parlé de leurs enfants qui sont morts lors de ces événements. Il y a aussi ceux qui subissaient des pressions de l’Etat et de la police et qui devaient dire que leurs enfants avaient eu un accident [alors qu’ils ont été tués] ».
« Il faut que l’Etat présente ses excuses », clame l’un des proches de Fadhel venu à la commémoration. La petite foule réunie autour de la tombe approuve. En attendant, seul leur rassemblement chaque 3 janvier permet de perpétuer la mémoire du martyr Fadhel Sassi.
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