Ils ne seraient donc que 35% des électeurs inscrits à s’être déplacés aux urnes ce dimanche. Si l’on pouvait compter le total des électeurs potentiels, ce chiffre tomberait encore plus bas. A Tunis 1, c’est l’un des taux de participation le plus faible à l’échelle nationale avec 26%. Dans un pays où les citoyens qui ne participent pas aux élections sont rabaissés au statut de « citoyens manqués », mal-informés, voire « ignorants », nous avons voulu questionner les causes de l’abstention mais aussi, parfois, les causes du vote. Nous nous sommes donc dirigées, à dessein, vers des lieux où, fait plutôt rare, la municipalité a pris l’initiative d’un changement visant le bien être des habitants. Nous nous sommes donc rendues Place Halfaouine à Bab Souika et Place de la Monnaie au centre-ville pour discuter avec les passants.
A la recherche de la confiance perdue
La place Halfaouine est en travaux depuis décembre dernier. Des pavés, quelques colonnes, ont remplacé les carrés d’espace vert. Un lifting comme on en fait très peu sur les places de Tunis. Sur la place où s’achève le marché, l’on se souvient encore des larmes que Béji Caïd Essebsi a essuyé à la vue du couffin vide d’une femme souffrant de l’inflation. Depuis cette mise en scène électorale, le taux d’inflation s’est élevé de 22%. C’est donc sans surprise que l’on écoute l’amertume se glisser dans les rires de ceux qui racontent la scène. « C’était une farce », nous dit en cœur un groupe d’hommes âgés, assis dans le coin de la place, autour de réchauds à thé. Tous sont chômeurs. Sur une dizaine, il n’y en a qu’un qui semble vouloir voter : « Je veux le vélo, on m’a dit que c’était le vélo qui arrangerait la situation ». Le vélo, c’est le symbole du Courant Démocratique alias Attayar. Ce parti a fini 3ème dans cette circonscription, derrière Ennahdha et Nida Tounes avec 12,38% des voix. Pour les autres, c’est sans hésitations qu’ils s’abstiendront de porter leurs voix aux urnes. Lorsqu’on leur fait remarquer que la place a été réaménagée grâce au travail de la municipalité, l’un d’eux nous enjoint d’aller voir de nous-mêmes la plaque qui annonce les travaux. « Il y avait écrit 329 mille dinars et ils ont effacé pour mettre 170 mille dinars, si ça ce n’est pas suspect… », s’indigne-t-il. Un autre, la cinquantaine, se fait plus cinglant et répond : « Ces pierres ne vont pas nous nourrir », ajoutant : « je n’arrive même plus à fumer. J’ai mis 2 heures à trouver un paquet de Cristal à 2,2 dinars ».
Les prix, le chômage, des préoccupations éloignées des enjeux d’une élection locale et pourtant, c’est ce qui revient sur toutes les bouches. « On nous parle de municipales alors que l’on voit des gens mourir de faim autour de nous. J’en connais dans le quartier qui ne mangent plus qu’aux repas que l’on sort pour les morts », tonne Bilel, salarié dans une agence de voyage, que l’on croise au café. Lorsqu’on évoque les travaux, il fait preuve de méfiance : « Ce sont ces travaux qui m’ont convaincu de ne pas voter. Déjà, il y a le timing, à quelques mois de l’élection municipale, ils décident de faire quelque chose à Halfaouine. Ensuite, il y a le prix, un réaménagement pareil ça coute pas plus de 60 ou 70 mille dinars, pas 170 ». Hosni, tout juste retraité, nuance « Il est certain qu’il y a de la corruption et de la mauvaise gestion, mais cela n’empêche pas de voter ». Face aux doutes de son ami par rapport au coût réel des travaux, il ajoute « Ce qu’il nous faut en Tunisie, c’est une révolution de la confiance ».
« Ici, la goutte ne tombe pas »
Dans un autre café, l’on croise quelques jeunes de Bab Souika, Moez est le seul qui se rendra aux urnes dimanche, pour voter blanc. « Je suis observateur pour un parti, mais je ne voterais même pas pour eux, ils sont corrompus », nous confie-t-il. A côté de lui, Mohamed Ali qui travaille dans le design renchérit : « J’imprime les programmes pour les partis, j’en ai lu quelques-uns et je peux vous dire que je ne vais pas voter cette fois-ci. Ils écrivent des programmes sans connaitre la zone. Il y a en a qui proposent la construction d’espaces verts à Bab Souika, mais il n’y a pas un seul espace libre ici, il faudra détruire des maisons pour leurs espaces verts ». La plupart des jeunes de ce groupe se sont impliqués par le passé, ont voté et ont même observé, mais aujourd’hui, ils refusent. « Le problème c’est que personne n’a de projet réel et qu’ils ne travaillent que pour leurs intérêts », regrette Mohamed Ali, « Je me vois voter dans un pays comme l’Allemagne, là où ça change quelque chose, mais pas ici. Je sais bien que là-bas aussi les politiciens n’agissent que pour leur intérêt, mais au moins là-bas, il reste une goutte qui tombe vers les plus faibles. Ici, la goutte ne tombe même pas ».
L’on se rend ensuite place de la Monnaie, au bout de la Rue de la Petite Malte, qui vient tout juste d’être réaménagée. Les deux arbres centenaires qui y font office de toit ont été entourés de fleurs de toute sorte et de rangées de bancs en bois. La place, qui avait déjà fait l’objet de polémiques quant à la quantité d’ordures qui s’y amoncelait a fait peau neuve, sans pour autant soulever l’enthousiasme des passants. L’un d’eux nous livre un diagnostic bien pessimiste : « Revenez dans 6 mois et vous verrez que les fleurs et les bancs auront été arrachées. Quoi qu’ils fassent ici, ça ne sert à rien. Les gens ont un problème de mentalité ». L’on croise aussi un groupe de jeunes, qui eux, vont tous voter : « On a un ami qui se présente sur la liste d’Attayar, c’est un gars sur qui on peut compter, il aide tout le monde dans le quartier, alors on le soutient », lâche l’un d’eux. Quand on leur demande ce qu’ils pensent du réaménagement de la place, un autre fronce les sourcils et nous dit : « En fait, maintenant que vous en parlez, je viens de réaliser que les travaux se sont achevés juste avant les élections, je crois qu’ils font exprès ».
En effet, le calendrier ne semble pas avoir été choisi par hasard, voilà qu’arrivées au bout de la rue Mongi Slim, l’on aperçoit une poignée de bancs en bois installés sur la place Bab Bhar, qui n’étaient pas là il y a encore quelques semaines. Cela donnerait presque envie que la campagne dure encore un peu.
Too much apathy in tunisia
The worst thing you do is still better thsn doing nothing.
At least if you vote to eradicate these pathetics
It will be the start of a change.
Apathy changes nothing
Democracy works for those that take action to keep it alive
Des gens désabusés, des citoyens ayant congédié leur responsabilité par défiance à l’égard des politiciens, et peut-être à l’endroit de la politique.
Dans un pays qui nait à la démocratie, la désertion et le retrait l’emportent sur la volonté de s’impliquer ce qui a pour effet de renforcer le camp de ceux que l’on prétend délégitimer ou dénoncer. Voilà Ennahdha aux commandes avec à peine 10% des inscrits, confirmé en tant que “premier parti du pays”, les laïcs de tous bords affaiblis et la société se donnant un relief plus religieux que de nature.
Il convient de convoquer la responsabilité de tous et pas seulement les islamistes. Des communes vont être gouvernées selon les voeux des partisans d’une socialisé si peu laïque. Il est à craindre que les préoccupations économiques et sociales seront reléguées derrière des stratégies de visibilité politique et que la gestion des modes de vie sera l’objectif premier.
Visiblement, l’apprentissage sera long… pour un peuple trop empressé.
Peut-être les nouvelles municipalités produiront la révolution de la confiance ! Et sûrement le wifi aura un rôle important à jouer ! :) .