Parce qu’il fait mine de s’arranger avec le réel, Astra est un court-métrage à la fois intriguant et ingrat. Intriguant parce qu’on ne peut pas réagir devant ce film comme on le ferait devant un film modeste. Ingrat parce des libertés qu’il se donne ne sont pas toujours payantes. À la manière d’A Capella, son premier court-métrage réalisé en 2015 où l’intériorité d’un couple se laisse troubler par le dehors, Nidhal Guiga enfonce un peu plus le clou en mettant ici en scène un autre couple aux prises avec le regard inhospitalier des autres. Si la fiction d’Astra se fait moins sibylline, la parabole n’est pas loin : elle s’épanouit dans la volonté de bifurquer vers la terra incognita de la fantaisie.

Histoire de mettre le regard en appétit, Astra cueille par son atmosphère qui laisse le trouble s’installer. La cinéaste a compris qu’il fallait, pour gagner son spectateur, soigner le décor. Cela se joue à des détails, à l’échelle d’un popcorn qui explose ou dans l’alignement symétrique des poupées dont Dali (interprété par Nejib Belkadhi) fignole les têtes. Seule Douja, sa fille trisomique dont il s’occupe à plein temps, fait tache dans ce décor. L’explication ne sera pas donnée mais devinée dans un premier temps, lorsque la caméra sait signifier le malaise qu’étouffe la mère en écrasant sa cigarette contre la porte. On aura compris ensuite que la mère (interprétée par Nidhal Guiga), acceptant mal le syndrome de Douja, refuse qu’elle s’expose aux regards des autres, alors que Dali a décidé de l’emmener au parc d’attraction pour la distraire. Ce refus, le film en tire profit comme d’un ressort scénaristique qui le fait bifurquer, au gré d’un cut, vers une fantaisie un peu surannée, comme s’il se cherchait une profondeur.

C’est le point de vue de la mère qui nous fait passer de la mesure d’un réalisme psychologique à une fantaisie hors mesure. Le choix de situer cette bifurcation dans un parc d’attraction n’est d’ailleurs pas anodin : à l’étrangeté de ce manège vide aux résonances fortement symboliques, et que la mise en scène nocturne vient polir en surface, s’ajoute un cheptel de substituts figuratifs masqués venant mettre du vague à l’âme dans la situation. L’indistinction qui fait se mélanger ici le vrai et le faux, irrigue ce segment qui s’écarte du réel pour signifier davantage. Le désemparement du père, à qui le guichetier du parc refuse de vendre un ticket, maintient cette parenthèse dans une ambiguïté mentale refusant les précautions de la logique : nous ne sommes ni dans la réalité ni dans la fiction, mais dans une sorte d’hypothèse de la réalité où tout signifie plus que soi-même.

S’il trouve une certaine profondeur, Astra la doit à une sobre mise en scène que Nidhal Guiga travaille sans se départir de la part d’opacité qui s’entête à ne pas vouloir lâcher son propos. Le revers de cette profondeur, c’est que le programme sémiologique du film émousse sa vigueur dans un élan tendu entre la solennité psychologisante et la pente théâtreuse, rendant sa deuxième partie moins habile à rebondir sur la première pour filer une parabole sur le refus de la différence. Là où un schéma moins crypté n’aurait pas nui, la cinéaste semble pêcher non pas tant par ses intentions que par la façon qu’elle a de les condamner à tenir le film à distance de ses enjeux. Comme s’il fallait ranimer la flamme du symbolisme, l’opacité du propos finit par ôter son potentiel à un point de vue dont les clefs ne sont pas laissées à l’intelligence du regard. Il aurait peut-être fallu un peu plus de générosité pour offrir au spectateur moins de manières que de matière.