A Kerkennah, Djerba et au golfe de Hammamet, certaines parties du littoral risquent d’être englouties sous l’effet de la montée de l’eau de mer conjuguée à la hausse de sa température. Dans quelques décennies, 4500 hectares du golf de Hammamet comme des îles de Kerkennah (soit 30% de la surface de l’île) seraient submergés par la mer. 3400 hectares de l’île de Djerba connaîtraient le même sort. Et ce ne sont que les premiers d’une longue liste de zones exposées au péril de l’érosion avec des risques de salinisation et de submersion. Ce scénario ne relève pas de la science-fiction mais il s’agit des estimations officielles du ministère de l’Environnement.
« Il a été démontré qu’en cas d’augmentation globale de la température moyenne de 2°C, cette région, à laquelle appartient la Tunisie, subirait un réchauffement de 1°C à 3°C. Ce réchauffement serait plus prononcé dans la zone continentale que côtière et prendra place pendant la saison estivale, essentiellement, sous forme de vagues de chaleur surtout dans le sud de la Méditerranée », avance le rapport dudit ministère intitulé « Evaluation de la vulnérabilité, des impacts du changement climatique et des mesures d’adaptation en Tunisie » à l’horizon 2020-2050. Outre les vagues de chaleur, les inondations ou la sécheresse, la Tunisie fait face à la hausse du niveau de la mer qui atteindrait 50 cm d’ici la fin de ce siècle, selon le ministère de l’Environnement.
Elévation accélérée du niveau de la mer
Les quatre zones dont les plages sont les plus exposées ? Le golfe de Hammamet (40% des plages), Tunis (30% des plages), Kerkennah (14% des plages) et Djerba (24% des plages), selon le rapport évoqué. Le processus est enclenché et la menace est déjà palpable : 127 km des plages ont déjà subi une érosion. Le retrait du rivage est estimé entre 0,5 et 1,5m/an. Ce taux peut atteindre une valeur extrême de 5 m/an dans certaines zones fragilisées par toutes sortes de constructions. Ghar el Melh (Bizerte), Djerba Aghir (Médenine), Soliman (Nabeul) et Ezzahra (Ben Arous) sont résolument touchés par ce phénomène. Le document officiel du ministère de l’Environnement avance le chiffre de 40% des plages et des côtes basses estimées « de moyennement vulnérables à très vulnérables ».
« La fonte des glaces du Groenland a provoqué une montée du niveau de la mer à peu près partout sur la surface du globe », explique Manel Ben Ismail, présidente de l’association Notre Grand bleu. Et de poursuivre : « Certains phénomènes comme la montée d’eau de mer, auraient pu être des cycliques et tout à fait normaux mais leur accélération les a rendus préoccupants », ajoute-t-elle. Et elle affirme observer ce même phénomène à Monastir et à Sousse.
Ces risques sont d’autant plus inquiétants en Tunisie puisqu’ils sont liés à la localisation des nappes phréatiques essentiellement sur le littoral. La montée de l’eau de mer épuiserait les nappes profondes sollicitées pour remédier au manque d’eau dans les zones à forte densité de population, également concentration de plusieurs activités économiques. « Une intrusion marine entraînerait la perte de 53% des réserves actuelles des nappes phréatiques littorales », souligne le rapport du ministère de l’Environnement. Les secteurs de l’agriculture et du tourisme seront durement affectés et environ 35000 emplois (soit 1% de la population active) disparaîtraient, prédit le rapport.
Ecosystème marin bouleversé
La hausse de la température de l’air et de l’eau de mer n’est pas sans répercussions sur l’écosystème marin. Prolifération de certaines espèces, disparition d’autres, poissons morts échoués sur les plages ou algues rouges couvrant d’autres, autant d’indicateurs préoccupants. Selon Ben Ismail, les changements de la salinité de la mer et du niveau d’oxygène causés par la hausse de la température font apparaitre certaines espèces et fuir d’autres. « Des espèces invasives, en provenance de la mer rouge via le canal de Suez ou du détroit de Gibraltar comme le poisson Lapin ou le poisson Lion, arrivent en méditerranée », souligne-t-elle.
Autre manifestation du déséquilibre de l’écosystème, l’apparition massive ces dernières années des crabes bleus. Prédateur marin venu de l’océan Indien, le crabe bleu se nourrit des seiches, crevettes ou poissons fins. Surnommé « Daech » par les pêcheurs kerkenniens, cette espèce est devenue la proie de ces derniers, prisée désormais pour l’importation, après avoir causé de grands dégâts sur la faune maritime et même les filets de pêche. La prolifération de ces espèces est notamment liée à la diminution du nombre d’autres comme le phoque moine de Méditerranée (en voie d’extinction), le thon ou encore les tortues, d’après la représentante de l’association Notre Grand Bleu. Ben Ismail explique les conséquences désastreuses de la hausse de la température de la mer défavorable aux mâles d’où un déséquilibre affectant grandement le système de reproduction des tortues de mer. Un danger qui motive le lancement par l’association d’un projet de mise en place de capteurs en mer ayant pour but de surveiller la température de l’eau.
Nidhal Attia spécialisé en biologie marine et chargé de la question environnementale au sein de la Fondation Heinrich-Böll, évoque également l’accroissement d’espèces gélatineuses comme les méduses et les vélelles. A la recherche de leur nourriture, les méduses se rapprochent de en plus des côtes avec le réchauffement des eaux. D’autres phénomènes attirent l’attention comme les algues rouges et la quantité importante de poissons morts rejetés par la mer, comme récemment à Sidi Mansour à Sfax. « Ces algues marines microscopiques apparaissent en cas de pics de chaleurs et de manque d’oxygène dans l’eau », explique Attia.
Malgré le caractère cyclique de certains de ces phénomènes, Attia et Ben Ismail insistent sur le fait que leur accélération est alarmante surtout face à l’absence de moyens d’adaptation et la persistance de la pollution et de la surpêche.
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