La HAICA estime par ailleurs que « la diffusion sans autorisation légale est une forme de corruption qu’il faut combattre par tous les moyens possibles », et que « le financement suspect de certains médias menace le processus démocratique ». Le communiqué revient également sur les « suspicions de corruption » autour de ces médias qui ont poussé l’autorité de régulation à déposer des dossiers auprès de l’INLUCC. A part sa transgression fondamentale du cadre légal, Nessma est également épinglée pour publicité politique et incitation à la haine. Quant à Zitouna TV, la chaîne est accusée d’opacité financière. Pour sa part, la radio Quran Karim est poursuivie pour son piratage des ondes et son discours discriminatoire.

Rappelons que les équipements de Zitouna TV et de la radio Quran Karim ont été saisis le 13 juillet 2015, mais les deux médias poursuivent la diffusion de leurs programmes. Dans un deuxième temps, la HAICA a procédé à la saisie de l’émetteur de la radio Quran Karim, le 27 janvier 2017, mais ce média a récupéré ses équipements après avoir recouru au Tribunal de première instance de Ben Arous. Quant à Nessma TV, la HAICA a émis un ordre à son encontre relatif à la saisie de ses équipements datant du 25 avril 2019. Mais le représentant légal de la chaîne s’est réuni avec le conseil de la HAICA et a demandé le réexamen du dossier pour poursuivre les procédures de régularisation. La chaine a finalement repris la diffusion de ses programmes.

Cafouillage autour de la régie de Nessma lors de la saisie de ses équipements, 25 avril 2019

Obstination à transgresser la loi

« Nous faisons confiance à l’INLUCC. C’est son mandat. En plus, les procédures légales compliquées nous ont amenés à porter plainte auprès de cette instance et de ne pas recourir à la Justice. Nous avons déjà déposé le dossier d’Hannibal TV à l’INLUCC et nous attendons les résultats. Nous sommes certains de l’efficacité de cette instance », affirme Hichem Snoussi, membre du conseil de la HAICA. « Nous avons également sollicité l’Instance Nationale d’Accès à l’Information (INAI) pour avoir les transactions des médias suspects de financement étranger. La Banque centrale a refusé de nous donner les documents financiers des médias concernés. Nous vivons dans un contexte d’opacité financière », dénonce-t-il.

Snoussi n’a pas caché ses réserves par rapport au traitement judiciaire des dossiers des chaînes illégales. Il s’insurge contre la décision du Tribunal administratif, en vertu de laquelle Said Jaziri, le propriétaire de la radio Quran Karim, a récupéré son siège au parlement. « La radio Quran Karim a hacké les fréquences de diffusion et utilise un émetteur piraté pour capter les ondes. Elle exploite par ailleurs un poteau téléphonique de la société Tunisie Télécom implanté sur un terrain domanial à Zaghouan. Malgré toutes ces infractions, le détenteur de la chaîne a récupéré son siège après avoir recouru au Tribunal administratif. Parfois, on ne comprend pas comment les choses fonctionnent au niveau de la justice », explique Hichem Snoussi. « Si cette radio n’existait pas, il n’y aura certainement pas de députés des listes Errahma élus dans ses périmètres de diffusion », martèle Snoussi.

D’après le rapport de la HAICA relatif au monitoring des médias en période électorale datant d’octobre 2019, l’instance a infligé une amende de 320 mille dinars à Nessma TV pour publicité politique en faveur du candidat Nabil Karoui. Zitouna TV a écopé, à son tour, de deux amendes de 50 mille dinars pour publicité politique en faveur d’Ennahdha et pour diffusion des résultats de sondage. Quant à la radio Quran Karim, elle a été sanctionnée d’une amende de 10 mille dinars pour infraction au silence électoral.

Said Jaziri, fondateur du Parti Errahma, élu de la circonscription de Ben Arous lors des Législatives de 2019

ISIE et HAICA : collaboration technique, discordes politiques

En période électorale, les instances publiques indépendantes ont collaboré et ont soumis leurs rapports à l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE). L’INLUCC a relevé dans un rapport préliminaire des infractions relatives à la violation du silence électoral et des tentatives de manipulations des électeurs le jour du scrutin. La HAICA a présenté à son tour dans son rapport une liste détaillée des infractions des médias et des abus des acteurs politiques qui exploitent les chaînes pour faire de la propagande en leur faveur.

Contacté par Nawaat, Mohamed Tlili Mnasri de l’ISIE affirme que l’instance « ne sanctionne pas les médias », mais plutôt les acteurs politiques qui instrumentalisent les chaînes en période électorale. « L’Instance reçoit les rapports d’observation des instances indépendantes, en l’occurrence la HAICA et l’INLUCC. Chaque partie accomplit sa mission et le conseil de l’ISIE statue. Notre intervention est limitée dans le temps. On n’intervient qu’en période des élections. Après, c’est la HAICA qui rapporte les infractions et c’est à elle d’adresser les amendes et autres sanctions », précise le membre du conseil de l’instance constitutionnelle. « L’ISIE a sanctionné le candidat Said Jaziri mais le tribunal administratif lui a rendu le siège », rappelle-t-il.

Toutefois, Hichem Snoussi de la HAICA a critiqué la conduite de l’ISIE en période électorale. « Les élections sont techniquement transparentes, et politiquement non intègres. Comment admettre le fonctionnement ordinaire de trois médias illégaux qui font de la propagande politique ? », dénonce-t-il. Pour lui, l’ISIE a essayé par tous les moyens de se mettre à l’abri des confrontations et des polémiques. « L’ISIE a fait la sourde-oreille quant aux observations de la HAICA pendant la campagne électorale. La collaboration était très faible et le silence de l’ISIE quant à l’instrumentalisation des médias est flagrant », regrette Snoussi. D’un autre côté, Snoussi conteste les modalités de désignation des membres de l’ISIE. « Il faut réviser la loi organique de l’ISIE et élire ses membres en dehors de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Il faut que l’élection se fasse par d’autres structures démocratiques. L’élection directe des membres soumet cette instance à la volonté des partis politiques. Il faut que les instances garantissent le processus démocratique, et ne se limitent pas à la conformité aux standards techniques », conclut-il.