Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
Stérilisation de la pharmacie de nuit de Houmt Souk, Djerba. DR

Malgré leurs faibles capacités matérielles et humaines ainsi que le manque de ressources financières et autres capacités logistiques limitées, les municipalités jouent aujourd’hui un rôle important dans la lutte contre le virus Corona, en raison de leur relation directe avec le citoyen et leur proximité du terrain.

Djerba comme exemple

Cependant, dès l’apparition du premier cas du virus Corona en Tunisie, la société civile a pris le dessus, devançant ainsi le pouvoir local en termes de réactivité et d’initiative. En effet, des campagnes de sensibilisation, de stérilisation et de nettoyage dans les trois communes de l’île de Djerba sont lancées malgré le confinement pour faire barrage à l’avancée rapide du virus.

Action de sensibilisation à Djerba Midoun. DR

Mais avec l’augmentation des cas de contamination dans le pays, les municipalités interviennent d’une manière conséquente pour mettre en œuvre les instructions et les ordres du gouvernement en formant  d’abord, des cellules de crise pour développer une stratégie de lutte contre la pandémie et activer des patrouilles de surveillance intensive pour s’assurer que restaurants, cafés, bains turcs et autre services privés se sont conformés aux ordres des autorités.

Stérilisation du bureau de poste de Djerba Midoun par le Croissant rouge. DR

En d’autres termes, vérifier les conditions dans lesquelles ces espaces privés respectent les servitudes d’hygiène grâce aux patrouilles conjointes entre la municipalité et la police de l’environnement et les agents de sécurité publique. La municipalité de Midoun était, à ce propos, proactive en prenant des mesures avant même l’annonce d’un confinement global, en coordination avec ses homologues d’Ajim et de Houmt Souk.

Patrouille de la police environnementale à Djerba Midoun. DR

D’autres communes sur le continent ont demandé de l’aide à certains hommes d’affaires de la région pour fournir une assistance en nature, ou à certaines organisations telles que le Croissant-Rouge et les Scouts tunisiens qui ont contribué à aider les agents municipaux à stériliser les administrations, les rues et même les magasins de leur territoire communal.

Don de produits médicaux par un homme d’affaires de Ben Guerdane. DR

Litige constitutionnel

Cependant, le litige constitutionnel entre le gouvernement et la collectivité locale suite à la circulaire du chef du gouvernement, qui stipule qu’”aucune disposition ne doit être prise sans consulter impérativement le gouvernement”, n’a fait que saper les deux principes de la subsidiarité et de la libre administration. (Article 132 de la Constitution)

« Il n’y a plus d’autorité de tutelle, depuis l’instauration de la Constitution », a déclaré le maire de Tataouine Boubaker Souid. « Les collectivités locales ont, en effet, le même poids que toutes les institutions de l’Etat ». a-t-il ajouté. Des propos fustigés aussi par Afef Merrakchi, maître de conférences à la Faculté de Droit de Sfax, chargée du cours en droit administratif et droit de l’environnement. « Ne confisquez pas des compétences constitutionnellement attribuées au pouvoir local », a-t-elle expressément demandé au chef du gouvernement.

Une équivoque par ailleurs, rapidement levée par le ministre des Affaires locales, Lotfi Zitoun, qui a annoncé une série de mesures prises au profit des municipalités dans le cadre de la prévention du Coronavirus.

Lors d’une rencontre organisée en visioconférence avec des représentants des médias, le ministre a indiqué que le département avait prévu, précédemment, un montant de 360 mille dinars au profit des conseils municipaux et des municipalités mais qui n’était pas suffisant.

Le département a, aussi, salué les efforts fournis par les gouverneurs, les maires et les agents municipaux qui veillent à la propreté des villes, tout en soulignant la nécessité de prendre les précautions nécessaires pour protéger les éboueurs chargés de la propreté ainsi que les agents qui assurent les services municipaux.

Sur ce point de conflit d’attributions, Ahmed Guidara, directeur des Finances au sein de la municipalité de Sfax, s’est exprimé en ces termes : « Les collectivités locales restent compétentes en matière d’ordre public avec toutes ses composantes (santé, salubrité, sécurité, sûreté) même dans les cas de prérogatives attribuées à des autorités de l’Etat dotées de la police spéciale. Les présidents des communes restent compétents tant que leurs décisions sont temporaires, adaptées aux circonstances et plus sévères que les décisions prises par les autorités dotées de la police spéciale ».

Un autre épisode de ce différend a eu lieu à Hammam Chott où le conseil municipal a publié un communiqué, mercredi 29 janvier 2020 sur sa page Facebook, dans lequel il a dénoncé l’intention des ministères de la Santé et de l’Intérieur de la mise en quarantaine des cas suspectés d’être atteints par le Coronavirus dans un hôtel à Borj Cedria sans consultation du conseil municipal.

Une délégation de la municipalité de Hammam Chott a rencontré le gouverneur de Ben Arous Ali Saïd pour lui faire part du refus catégorique de cette mesure unilatérale. Le conseil municipal de Hammam Chott présentera une démission collective si cette décision est appliquée sans son aval.

Par contre, nos amis allemands donnent à la décentralisation ses lettres de noblesse. Les Länder sont en effet libres de choisir les mesures adéquates pour contrecarrer la crise sans en référer systématiquement au gouvernement fédéral. Chaque Etat fédéral ajuste, en effet, sa politique de gestion de crise selon le contexte sanitaire, social ou politique dans lequel il se trouve. A Berlin, par exemple, l’achat d’un livre dans une boutique est toujours autorisé, mais un pique-nique dans le parc ne l’est pas. Au Bade-Wurtemberg, c’est l’inverse. Les États de l’Est autrefois socialistes, moins gravement touchés par le virus, hésitaient, eux, à fermer leurs écoles.

Partage des rôles

Il résulte de ce qui précède que l’état de crise exige que les municipalités jouent un rôle essentiel dans l’exercice du pouvoir en général et la protection de la santé des citoyens en particulier. Le dérapage vers la centralisation a prouvé son incapacité à sortir des crises,  a entravé sa croissance, marginalisé la population et ouvert la voie à la tyrannie et à la corruption.

Ne serait-il pas préférable que les rôles soient partagés entre l’autorité centrale et les conseils municipaux élus (l’article 18 du CCL), en respectant l’esprit et les objectifs de la Constitution, dont le plus important est les principes de la proximité du centre de décision des citoyens et de la prise de décision participative ? (L’article 134 de la Constitution)

Contrairement aux structures déconcentrées qui n’ont pas de personnalité juridique, ni de libre administration, les municipalités, avec leur pleine responsabilité et capacité de prise de décision, sont les mieux placées pour rassembler des responsables locaux, des organisations, des associations et des  notables pour coordonner les efforts, rassembler les compétences, concevoir des solutions, anticiper les événements, et développer un plan local pour sauver des vies et ce, en harmonie avec les efforts de l’autorité centrale.

Heureusement que la circulaire du 4 avril co-signée par les ministres de l’Intérieur et des Affaires locales tombe à pic pour mettre un bémol à ce que nous disions et calmer un tant soit peu les esprit échauffés après une semaine de tension entre le local et le central.