La coupe de 400 chênes zeen dans la localité d’Ain Sallam à Aïn Draham a provoqué beaucoup d’émois et de réactions de la part du public. Ces réactions sont-elles liées au fait que les abattages d’arbres ont eu lieu en période de confinement, ou dénotent-elles un sursaut pour l’amour de la nature ? Il est vrai que l’abattage d’un tel nombre d’arbres n’est pas commun, et que de telles informations ne sont pas courantes chez nous, notamment de la Kroumirie qui comprend les forêts les plus étendues du pays. Des images qui circulent, il est clair que la coupe s’est faite à la tronçonneuse, et qu’elle ne peut avoir lieu que le jour, car l’abattage nocturne –il existe hélas- se fait souvent à la hache. Dire que personne n’est au courant est un non-sens, surtout que le coin est isolé et n’est peut-être pas connu par les habitants de la région. Nous espérons que cet intérêt pour la nature perdure, et que la couverture végétale naturelle prenne de l’envol en Tunisie, surtout que les coupes d’arbres et la destruction de la nature ont pris ces dernières années une ampleur jamais égalée, au moins au cours de l’histoire récente du pays. Il est aussi vrai que le Code forestier se base surtout sur la répression, et l’image du forestier parmi la population est souvent associée à celle d’un agent de répression, plutôt que celle d’un fonctionnaire agissant pour la préservation de la nature pour l’intérêt de la société et les besoins des générations futures. Alors pourquoi les coupes ont-elles pris cette ampleur ?
S’il est certain que l’arbre en question (chêne zeen) a été utilisé pendant la période coloniale pour la confection des traverses des chemins de fer, cette pratique a cessé depuis. Les artisans de la région et travaillant le bois n’utilisent pas celui du chêne zeen. Dans les forêts fréquentées par les bergers en particulier, les tiges de chêne zeen sont coupées pour donner à manger au bétail les feuilles qu’elles portent. Le bois de l’arbre n’a pas d’utilisation, mais il est coupé pour le chauffage et le charbonnage.
La réponse à cette question n’est pas évidente, mais il y a une piste : les délits constatés en forêt en terme de défrichement, de coupe d’arbres ou même d’incendies n’ont pas été suffisamment réprimés pour dissuader les malfaiteurs. Par conséquent, un sentiment d’impunité prévaut parmi ceux qui commettent ce genre de délit. Nous ne disposons pas de données accessibles sur les délits commis en forêt au cours des dernières années et des suites qui leurs ont été données. Pour l’occasion, nous appelons l’administration forestière à rendre publiques les données dont elle dispose. Les coupes de grande envergure ont eu lieu en 2011 en particulier, puis elles se sont atténuées par la suite. Les incendies criminels de 2017 sont passés sans que personne parmi les pyromanes n’ait été poursuivi. Les techniques d’investigation adoptées se doivent d’être développées, afin de limiter l’étendue des dégâts provoqués par les uns ou les autres dans le milieu forestier.
A remarquer que ces coupes ne sont pas les premières, mais espérons qu’elles sont les dernières ! En effet, des coupes de grande ampleur ont concerné le pin pignon, mais aussi d’autres arbres qui semblent avoir été sélectionnés par les bûcherons. Des coupes sélectives de grands arbres d’oléastre (olivier spontané) ont eu lieu dans certains secteurs, des coupes de chênes dans d’autres secteurs. Les coupes sélectives concernent certaines espèces dont le laurier sauce qui a pratiquement disparu, l’aulne, le frêne et l’orme qui ont tendance à se raréfier. Ces dernières espèces sont surtout utilisées par les artisans qui en fabriquent des objets destinés à la vente sur le marché local aux visiteurs de la région. On le voit surtout aux environs des hameaux où les habitants défrichent pour s’étendre aux dépens de la forêt. Parallèlement à cela, les efforts de reboisement ont clairement fléchi au cours des dernières années. Si la société civile s’est engagée à reboiser certains secteurs (Siliana, Ghardimaou et probablement d’autres régions), il est clair que ces reboisements ne compensent ni les coupes ni les incendies. Cet effort doit être démultiplié pour inverser la donne et reverdir le pays.
A remarquer que les agressions contre le milieu naturel ne visent pas uniquement les arbres. Pour ne se limiter qu’à la Kroumirie, citons le braconnage, ou la chasse en dehors de la période légale. Cette pratique a décimé certaines espèces, notamment le lièvre et la perdrix gambra, sans parler d’autres espèces sous pression constante (Porc-épic, cerf, pigeon ramier…), la pollution des zones humides et les déchets qui enlaidissent les paysages un peu partout. Les cas les plus à décrier sont les gros dépôts de déchets dont certains aboutissent dans les retenues de quelques barrages. Ce dernier problème est épineux, du moment où aucune stratégie de gestion des déchets ou de leur limitation –à défaut de leur valorisation- n’est encore envisageable.
L’intérêt porté par la société civile à notre patrimoine vivant (associations d’environnement et nouveaux acteurs, les randonneurs responsables) peuvent aider à améliorer la situation dans le sens du maintien d’une pression constante sur les autorités pour adopter des politiques visant à inverser la dégradation continue de nos espaces naturels. Et l’actualité brûlante nous rappelle que l’appétit insatiable des humains a rendu possible le passage de virus des animaux vivant en forêt à l’homme. Cet épisode ne sera pas le dernier si nous ne changeons pas d’attitude vis-à-vis du milieu naturel.
Comme nous l’avons souligné plus haut, l’administration chargée de la gestion des forêts en Tunisie est appelée non seulement à veiller à leur conservation, à lutter efficacement contre les contrevenants, mais aussi à évoluer dans le sens d’une meilleure communication avec les différents usagers et acteurs de l’espace forestier. Elle doit également veiller à la formation continue des forestiers pour l’adoption de nouvelles démarches et techniques de travail. Cette hostilité des habitants des forêts à l’encontre des forestiers se doit d’être atténuée.
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