Le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo a publié dimanche 11 octobre 2020, sur le site officiel du Département d’Etat, des emails émis par l’ancienne ministre Hillary Clinton à l’époque où elle dirigeait la diplomatie de son pays. Les utilisateurs de Twitter ont lancé des hashtags (voir ici et ici)  qui ont été largement partagés, faisant état de l’ingérence des Etats-Unis dans la politique interne de certains pays arabes, dont l’Egypte, le Yémen, la Libye, le Qatar et l’Irak.

Clinton a utilisé sa messagerie personnelle pour échanger des informations avec ses conseillers, lorsqu’elle était secrétaire d’Etat, alors que le serveur n’était pas sécurisé, ce qui faciliterait la fuite d’informations confidentielles et menacerait la politique étrangère américaine.

Echourouk, Moez Joudi et la théorie du complot

Du côté tunisien, la question a suscité une large polémique sur les réseaux sociaux, et les médias locaux, notamment le journal quotidien arabophone Echourouk. Moez Joudi, présenté en tant qu’« expert en économie », a publié sur sa page Facebook un statut relevant que « les supposées “révolutions arabes” ont été bien manigancées et préparées en étroite collaboration avec le Qatar et la secte des frères musulmans ». Il fait allusion ainsi au soulèvement des pays arabes, tout en mentionnant la Tunisie, comme étant un des pays qui se sont conformés à la stratégie des Frères musulmans pour arriver au pouvoir. Qu’en est- il vraiment ?

Le 11 octobre 2020, Moez Joudi a publié un post Facebook relatant la « levée du secret sur les correspondances électroniques d’Hillary Clinton au temps où elle a été à la tête du département d’État américain de 2009 jusqu’à 2013 », sous le mandat de Barak Obama. Il a conclu son post par une déclaration mettant en doute le processus de la révolution en Tunisie : « Voilà pour ceux qui croient encore que ce qui s’est passé en Tunisie du 17 décembre 2010 jusqu’au 14 janvier 2011 est une révolution spontanée ! »

Le vrai contenu des mails de Feltman

La Tunisie figure dans les échanges de mails fuités publiés par les autorités américaines. Les informations les plus importantes concernent le départ de Ben Ali. Le sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires du Proche-Orient Jeffrey Feltman, dont le nom figure dans la plupart des courriers échangés, recommande la publication d’un communiqué de soutien au peuple tunisien après la fuite de Ben Ali vers l’Arabie Saoudite et de contacter l’ancien ministre des Affaires Etrangères Kamel Morjane. Les correspondances révèlent également que Ben Ali a dû quitter la Tunisie en dépit des concessions manifestées dans son discours du 13 janvier 2011. Le chaos est semé partout et les forces militaires s’apprêtent à prendre les choses en main, peut-on lire dans un mail datant du 15 janvier 2011.

Ben Ali voulait se réfugier en France, jusqu’à ce que la situation se rétablisse. Mais les autorités françaises ont refusé de l’accueillir, pour ne pas perturber les relations bilatérales et ne pas susciter la protestation de la diaspora tunisienne en France. Il a donc changé de destination vers l’Arabie Saoudite. Selon les échanges fuités, les ambassadeurs des Etats-Unis en France, en Arabie Saoudite et en Tunisie étaient en contact, pour s’informer.

Dans ces mails, Feltman qualifie la chute du régime Ben Ali de « changement sismique » et félicite le transfert du pouvoir au premier ministre Mohamed Ghannouchi, qui devait, conformément à la Constitution de 1959, exercer les fonctions du président de la République temporairement.

La fuite évoque également la crainte des autorités américaines de la montée des islamistes au pouvoir. Feltman parle d’un échange avec une personne dont le nom a été supprimé de la version publiée, qui a averti de l’arrivée des islamistes au pouvoir en Tunisie, de la même manière que Khomeini en Iran en 1979, sans recours aux élections.

A noter que les échanges de mails entre les responsables de la diplomatie américaine ont eu lieu après la chute de Ben Ali, en réaction à tous les événements qui se sont déroulés entre le 13 et le 14 janvier 2011. Ce n’était donc en aucun cas une planification préalable des événements qui ont incité Ben Ali à quitter la Tunisie, contrairement à ce que feignent de croire les nostalgiques de l’ancien régime.