« Hors-jeu ». C’est un petit mot qui ne mange pas de pain. S’il reprenait du service, on dirait qu’il devient flagrant. Mais Hors-jeu flagrant, d’ailleurs bien joué, ne se voit pas traité avec des pattes d’ours. Ce court-métrage de Sami Tlili semble ne prétendre à rien. Fair-play, il ne ressemble à rien sinon à lui-même. Mais il s’élève gentiment au-dessus des autres. Son atout ? Le dépli d’une parenthèse carburant à la tension sèche. Sans casser des briques, le récit s’efforce en effet de susciter sur son passage tout ce qui, nécessaire à sa conduite narrative en mineur, peut le retarder ou le distraire. S’il fait plus porter le suspens sur les mobiles de l’action que sur l’action elle-même, il assaisonne l’ensemble d’une mécanique pince sans-rire qui sied au décor. Et d’opter pour une ligne de profil bas qui tire bien plus vers la comédie policée que policière.

Le décor est ici urbain, s’enveloppant d’ombres sorties d’une étrange nuit parallèle, où deux policiers en patrouille, l’un usé et l’autre aux allures d’incurable abruti, se rivent béatement sur la radio de leur véhicule. Motif: là où le calme plat règne en ville, se faire oublier quelques temps en guettant le score d’un match crucial de la sélection nationale, et accessoirement distraire de rares moments pour le regarder. Mais il n’y aurait pas là de quoi fouetter un chat si un montage parallèle ne remettait sur leur route, en distribuant des hasards mi-subis mi-provoqués, un jeune homme gentillet qui n’en sait rien du match. À ces trois personnages, la dramaturgie colle une poisse de déboires. On dira que c’est un vieux calcul. Certes. Mais la zone de douce absurdité dans laquelle évolue le film doit beaucoup à l’unité de temps et de lieu, à ce temps du couvre-feu, servant de prétexte à une satire de la société tunisienne. Avec un découpage relançant l’intrigue, se ménage une ribambelle de quiproquos qui tantôt accélèrent la sortie des rails vers le burlesque, tantôt la décélèrent vers le suspens. Le jeu avec les codes offre un échange de bons procédés, prompt à générer des moments où le système fonctionne à plein.

Nuance, cependant. Si le jeu n’est peut-être qu’un prétexte donné à la fiction, on se rapproche de l’intelligence de ses fins, dont Hors-jeu flagrant a les moyens : la mise en scène est d’abord une mise en situation. En instillant une atmosphère redoutable, dont l’ambiguïté larvée donne aux images la puissance d’un couvre-feu ténu, Tlili met le match au fond, les deux compères au premier plan, et la caméra aux commandes de la balance avec le troisième personnage. Il aura fallu, sans éclats visuels de la mise en scène, supporter le travail d’exténuation de la situation auquel se livrent ici les dialogues. Mais le moins divertissant du lot n’est pas, pour une fois, le jeu des comédiens avec une palette de registres codifiés, ni la manière dont Tlili a mis dans la bouche des deux acolytes piqués au vif d’excellentes réparties. À ce difficile jeu des mélanges, le film excelle, aidé surtout par les convaincantes prestations de Bahri Rahali en tête, qui n’a pas chômé pour remplir son contrat, de Mohamed Grayaâ avec l’air de ne pas y toucher, et de Majd Mastoura avec ses moues inattendues et ses colères d’une seconde.

Si l’indécrottable ordre sociétal en prend pour son grade, Hors-jeu flagrant le transcende en pari de légèreté tout en maintenant ses personnages sous le joug de la norme. Ce sont les dissymétries petites et grandes d’une société arcboutée sur le ballon rond qui en floutent ici la métaphore kafkaïenne et passent comme une lettre à la poste. Les digressions, les décalages qui pouvaient naître, prennent le temps de ménager des respirations, sans être le caprice d’un cinéaste qui pousse dans l’excès de caricature. Résultat des courses ? Avec une lucidité teintée de cynisme, le récit tient sa promesse des bâtons mis dans ses roues, bien que la mise en scène traîne quelques boulets pour rallonger la sauce. Le film de Sami Tlili s’en tire avec les honneurs et se hisse au-delà du divertissement d’un polar de troisième zone à laquelle son pitch semble le prédestiner.