Sous le slogan « La révolution gagne sur la médiocrité et l’intégrisme », l’ATFD a tenu son 13ème congrès les 25, 26 et 27 juin. Dans une salle désemplie afin de respecter les mesures sanitaires imposées par le Covid, la présidente sortante de l’organisation, Yosra Frawes, a tenu son ultime discours devant un parterre d’invités de la société civile. «Nous ne sommes pas une partie d’une société civile organique (…) Notre militantisme vise à asseoir un Etat démocratique et social fondé sur l’égalité absolue entre toutes les composantes de la société », a clamé Frawes.
Identité plurielle
Fondée en 1989, l’ATFD représente une des plus anciennes mouvances féministes en Tunisie. Pour la juriste et ancienne présidente de cette association, actuelle présidente de Beity, Sana Ben Achour,
L’ATFD est restée fidèle à des principes proclamés depuis 30 ans. Ces derniers sont d’abord, l’autonomie par rapport aux partis politiques et par rapport aux institutions de l’Etat. Ensuite, le respect du principe de la pluralité. En tant que militantes, on est libres d’avoir différentes orientations politiques et philosophiques. Pour nous, le féminisme n’est pas une idéologie mais une conviction, un projet de société,
affirme-t-elle à Nawaat.
Cette pluralité englobe-t-elle les femmes défendant un modèle islamique ? Pour Sana Ben Achour : « Le féminisme islamique a totalement échoué aujourd’hui. Des figures comme Bchira Ben Mrad n’existent plus actuellement ». Et de s’interroger :« Est-ce que ce féminisme propose une nouvelle lecture de la religion ou vise-t-il à islamiser les causes des femmes ? Pour moi, il a totalement échoué ».
Alors que le contexte post-révolution a permis l’émergence de plusieurs associations adoptant une posture féministe, l’ATFD demeure, pour Ben Achour, une association ayant sa trajectoire unique. « Nous avons une histoire réelle de militantisme pour la construction d’outils communs de lutte. On a ainsi publicisé la question féministe en jetant dans le débat public des thématiques considérées jadis comme d’ordre privé », renchérit-elle.
A l’aune des débats actuels sur les différents courants du féminisme : universaliste, intersectionnel, etc, l’ATFD se positionne comme une association prônant la diversité : « Nous sommes ouvertes et plurielles. Au sein même de l’association, différents courants existent et cohabitent », avance Naila Zoghlami, la présidente nouvellement élue de l’ATFD, à Nawaat.
Une vision appuyée par ses pairs au sein de l’organisation. «Le féminisme n’est pas monopolistique. Il en existe plusieurs expressions à travers le monde », défend l’ancienne présidente de l’ATFD, Sana Ben Achour.
Cette pluralité constitue l’ADN de l’association, estime le fondateur de l’Association de Défense des Libertés Individuelles (ADLI), Wahid Ferchichi :
Dès le début, la lutte féministe en Tunisie était la mère des luttes. C’était un militantisme qui concernait une catégorie majoritaire sur le plan quantitatif mais minorisée sur le plan des droits. Ceci a ouvert la voie vers l’intégration dans cette lutte d’autres catégories sociales marginalisées et discriminées, dont les personnes ayant une orientation sexuelle non normative,
explique-t-il à Nawaat.
C’est donc naturellement que l’ATFD a soutenu les associations tunisiennes de féministes ayant une sexualité non normative, constate Ferchichi. D’après lui, les luttes de l’ADLI, de l’ATFD et de bien d’autres associations défendant l’universalité des droits humains convergent. Il ne s’agit pas d’une lutte féministe stricto sensu mais d’une lutte pour la dignité et l’égalité pour toutes et tous, estime-t-il.
Ce combat est plus que jamais nécessaire, plaide Yosra Frawes. Il est guetté par des menaces agitées de tous bords : des fondamentalistes jusqu’aux populistes.
Une lutte semée embûches
Yosra Frawes a dressé l’image d’une scène politique, post élections de 2019, où « les conservateurs ont cédé leurs places à des nouveaux conservateurs, les corrompus à de nouveaux corrompus et les intégristes à des nouveaux intégristes ». Ce champ politique constitue le premier obstacle à tous les combats pour l’égalité et la liberté, estime la présidente de l’association, Naila Zoghlami :
Pour embrigader d’éventuels électeurs, les politiciens vont caresser dans le sens du poil le peuple en adoptant un discours rétrograde et populiste. On ne s’attend donc pas à des responsables politiques ayant une vision de l’Etat garantissant les droits et les libertés.
Membre du bureau sortant, réélue de nouveau, Samar Shaïk, évoque un autre ennemi des féministes. Il s’agit pour elle, « de ceux et celles prétendant la défense de l’égalité et qui font volte-face lorsqu’il est question d’agir». A ce chaos politique s’ajoute la crise du Covid-19, alerte Zoghlami : «Les femmes en payent le prix les premières comme c’est le cas dans les crises. Elles sont plus objets de licenciements, de violences dans l’espace public et privé, etc ».
La présidente de l’ATFD explique qu’elle poursuivra le chemin balisé par le bureau sortant. « Nous optons pour la continuité. Notre boussole sera toujours la lutte contre toutes les violences envers les femmes et la défense de l’égalité et des libertés individuelles et collectives », en insistant sur la nécessité de se focaliser encore plus sur les droits économiques et sociaux des femmes. L’harmonisation entre la législation nationale et les dispositions de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) sera également parmi les revendications de l’organisation, ajoute-t-elle.
Dépoussiérer le projet de loi sur l’égalité dans l’héritage et le projet du Code des libertés individuelles, enterrés dans les casiers du parlement est aussi une priorité pour l’ATFD, affirme Samar Shaïk. « Nous serons également vigilantes quant à la composition de la Cour constitutionnelle, censée défendre nos droits et libertés », souligne-t-elle.
Les plaidoyers de l’ATFD ne s’adresseront pas qu’envers les autorités. «Le changement des mentalités restent notre but. Pour y parvenir, nous travaillerons avec les acteurs influents en la matière, en l’occurrence, les médias, l’éducation nationale et le milieu culturel », insiste Zoghlami.
Et cette guerre s’annonce rude. « Reconnaitre l’égalité et l’égale dignité des êtres humaines touche au pouvoir symbolique mais aussi économique comme le montre la question épineuse de l’égalité dans l’héritage », estime Sana Ben Achour. Et de déplorer : «10 ans après la révolution, on a cru à un moment qu’on y était avec le rapport de la Colibe, les projets de loi sur l’égalité dans l’héritage et du Code des libertés individuelles. Non seulement, on y ait plus mais on régresse encore », conclut Ben Achour. Pas de quoi désespérer pourtant :
Comme nous avons vaincues la dictature, la révolution féministe vaincra tous les rétrogrades,
lance Yosra Frawes.
Dans cette lancée, l’ATFD continuera la mobilisation des militantes. Après le lancement de ses sections à Sousse, Kairouan et Sfax, d’autres régions suivront pour être au plus près de la population, souligne Naila Zoghlami. D’après Samar Shaïk, la plus jeune membre du bureau exécutif de l’association, le rajeunissement de l’association se poursuivra également à travers la formation de nouvelles militantes.
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