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Difficile à imaginer, dans une zone touristique très fréquentée : quelques petites parcelles de terrain sont encore cultivées. Localement appelées «welja» [1], il s’agit de petites parcelles de terrain à l’arrière plage, dévolues à l’agriculture depuis des décennies, sinon plus. Ces terrains ont été cultivés par de petits paysans de Hammam Sousse, derrière les dunes côtières. Mais comment ce système fonctionne-t-il ?

Les terrains cultivés (larges de 30 à 40m et longs d’une centaine de mètres) sont séparés de la mer par un cordon littoral de dunes fixées et entretenues par les paysans, car la mer peut les défaire en cas de tempête. Du sable est apporté pour les rehausser afin d’isoler l’arrière des dunes des eaux marines salées. Le sable des terrains mis en culture est amendé par des engrais organiques qui assurent la croissance des cultures. Comme la pente est en direction de la mer, l’eau de pluie infiltrée descend par suintement vers la mer. La nappe n’est alors qu’à moins de deux mètres de la surface.

Les paysans l’ont compris et ont alors adopté des techniques adéquates pour cultiver sur un terrain pareil. Surtout pour les cultures d’été, ils creusent des trous profonds dans le sable jusqu’à atteindre un niveau humide où ils placent du fumier et un tuteur pour entraîner l’eau par capillarité. Le trou est par la suite comblé de sable et les cultures sont plantées à faible profondeur, surtout les Cucurbitacées (pastèques, courge…). Par la suite, ils ont creusé des «puits» d’une profondeur de deux à trois mètres, afin de rassembler les eaux de suintement pour arroser les cultures.

Structure d’une welja cultivée. En arrière-plan, des immeubles

Bref, ces zones de culture, étendues entre Chat Mariam et Hammam Sousse, se sont réduites au fil des ans au profit du secteur touristique, pour ne demeurer qu’une petite poignée, encore en activité aujourd’hui ! En effet, la majeure partie des propriétaires, alléchée par les prix des terrains cultivés, s’est résolue à vendre aux opérateurs touristiques. Peu de personnes font exception à cette règle et ont refusé de se plier aux «lois du marché», pour maintenir leurs «weljas» vivantes et en activité. Il s’agit surtout de personnes âgées de plus d’une cinquantaine d’années, mais qui sont résolues à ne pas vendre tant qu’elles sont encore en vie !

Activités agricoles

A l’intérieur, les weljas sont organisées en rectangles contigus bordés de feuilles de palmiers coupées (longues d’environ 60cm) et dressées, probablement pour piéger le sable éolien et pour jouer le rôle de brise-vent contre les embruns marins. Un couloir central ou latéral sépare les deux rangées de carrés.

Les cultures pratiquées dans ces espaces consistent globalement en deux types : les cultures d’hiver et celles d’été. Les premières sont formées de cultures maraîchères (carottes, oignons, persil, pommes de terre…) et de céréales (orge). Les cultures d’été sont surtout formées de courge, melon, pastèque, concombre, piments et tomates. Les weljas visitées au début de cet été ne contenaient pas de tomates ni de piments. Au milieu des petits carrés sont plantés quelques pieds de maïs. Certains ont ajouté des lianes (luffa), plantées à la base de feuilles de palmier dressées, pour servir de support aux plantes grimpantes.

Les cultures sont irriguées en été, mais en raison de l’excès d’eau, des fossés ont été creusés à la limite des weljas, parallèlement à la mer, à la base de la dune de bordure, pour éliminer l’eau en excès et ne pas submerger les racines des cultures. A remarquer que la nappe se trouvait à la fin du mois de juin à uniquement 80cm à un mètre de profondeur, du côté de la plage et à seulement 1,5m vers la partie la plus élevée.

Gros plan sur une portion cultivée de welja

Les cultures sont biologiques, et ne recourent pas aux produit chimiques. Comme les superficies cultivées sont réduites, la production, faible, est destinée surtout à la consommation familiale. Le surplus est parfois vendu sur les marchés locaux, particulièrement les courges et probablement d’autres produits.

Dans chacun de ces mini champs, se trouve une construction en dur (certains en sont dépourvus) où les paysans stockent leurs outils et disposent d’un minimum de commodités pour passer leurs journées ou parfois leurs nuits. Dans ces champs, les arbres sont absents, mais derrière les constructions se trouvent de petits vergers où sont plantés des arbres fruitiers. Nous avons ainsi observé des mûriers, des grenadiers, des oliviers et des figuiers.

Devenir des « weljas »

A terme, ce genre de paysage est voué à disparaître. Peu ou pas de jeunes semblent intéressés à poursuivre les activités de leurs parents. Il n’en reste aujourd’hui que moins d’une dizaine. Les prix des terrains au mètre carré sont très chers pour que ce genre d’activités ait une chance de perdurer.

Peut-on assister impuissants face à cette logique ? Il est vrai que ce type d’activités agricoles spécifiques à cette région n’est pas économiquement rentable pour faire vivre les exploitants qui ont tous d’autres sources de revenus. Néanmoins, il fait partie de notre mémoire collective, et sa disparition constitue une réelle perte pour notre culture.

Welja entourée d’immeubles

Comment agir pour maintenir vivace un paysage entretenu depuis si longtemps par les humains?  La disparition de cette activité voue le littoral à l’action prédatrice d’autres acteurs qui n’ont de souci que l’appât du gain.

 

[1] Nous remercions F. Ayache de la Faculté des Lettres de Sousse pour les discussions autour des weljas et de la visite accompagnée à certaines d’entre-elles.