Le projet de loi relatif aux droits des patients et à la responsabilité médicale a été déposé à la commission parlementaire de la santé et des affaires sociales en mai 2019. Après l’avoir soumis en plénière, les nouveaux membres de la commission ont demandé son réexamen. Déposé une deuxième fois en plénière, le 4 mai 2021, le ministère de la Santé a demandé au parlement de renvoyer le projet de loi à la commission spécialisée. Il semble que la version adoptée en commission ne parvient pas à obtenir un consensus. Pourtant, Ayachi Zammel, président de la commission de la santé et des affaires sociales au parlement nous assure qu’«il n’y a pas de différend politique ou sectoriel à ce sujet». Pourquoi donc ce ping-pong entre les professionnels de la santé, le parlement et le ministère de tutelle?
Responsabilité civile ou pénale ?
Le projet de loi sur la responsabilité médicale explicite la nuance entre erreur médicale, accident médical et faute grave. «Une erreur médicale relève d’un faux diagnostic. Par exemple, si les symptômes du Covid ont été confondus à un état grippal ordinaire, là on parle d’une erreur médicale punissable. L’accident médical n’est pas forcément dû à une erreur du diagnostic ou du traitement, mais c’est plutôt des complications indésirables survenues lors du traitement, comme les complications post-chirurgicales», précise Zammel. Par ailleurs, il revient sur la définition de la faute grave, qui peut être passible de poursuites judiciaires : «si un médecin exerce son travail, par exemple, sous l’effet de l’alcool, ou abandonne volontairement son patient, il pourra être poursuivi en justice en vertu des dispositions du Code Pénal».
Pour sa part, le représentant du Syndicat des médecins dentistes conteste le processus judiciaire qui existe encore dans la version actuelle du projet de loi. «Qui peut déterminer la gravité de l’erreur ?», s’est interrogé Bassem Mâater, vice-président du syndicat. Et de contester : «Nous revendiquons des mesures spécifiques pour ne pas détruire la carrière professionnelle des agents de la santé».
Actuellement, les erreurs médicales sont régies par les articles 217 et 225 du Code Pénal, qui prévoient des peines privatives de liberté, soit pour «homicide involontaire commis ou causé par maladresse, imprudence, négligence, inattention ou inobservation des règlements», ou suite à «des lésions corporelles» provoquées involontairement. Selon Mâater, seuls 7% des risques de la santé relèvent des erreurs médicales et 93% sont des accidents.
En dépit des différentes réserves émises, le président de la commission de la santé au parlement estime que «le projet de loi de la responsabilité médicale est révolutionnaire, vu qu’il garantit à la fois les droits du patient et du médecin». Le syndicat des médecins dentistes ne partage pas le même point de vue.
Les points conflictuels
Le projet de loi tel que déposé en plénière prévoit la création d’une commission d’experts qui statue sur les cas d’accidents médicaux déposés par les victimes. Il s’agit d’une structure de médiation composée de trois experts légaux, un médecin légiste et deux médecins spécialistes. Le syndicat des médecins dentistes a fait part de ses réserves quant à l’intégration d’un médecin légiste, et propose à sa place un médecin dentiste, selon le rapport de la commission de la santé (page 10). «La commission prend en charge toutes les dépenses de la victime de l’accident médical. Il s’agit d’une démarche réconciliatrice et non pas d’un processus légal. Si le patient recourt auprès de cette commission, il ne pourra plus poursuivre les professionnels de la santé en justice», nous explique Ayachi Zammel. Et de préciser : «Compte tenu de la constitutionnalité du droit de juridiction, le patient peut porter plainte devant la justice judiciaire ou administrative, selon le statut de l’établissement responsable du préjudice».
Outre la commission, le projet de loi prévoit la création, par loi de finance, d’un fonds d’indemnisation des erreurs médicales, sous la tutelle du ministère des Finances et en concertation avec les corps de métiers concernés. Le fonds est financé principalement par les établissements de la santé publique, les cliniques privées, les laboratoires pharmaceutiques et les différents professionnels de la santé. «Nous avons refusé de contribuer au financement de ce fonds parce qu’on n’a pas de responsabilité directe par rapport aux accidents médicaux. Même les sociétés d’assurance ont refusé d’en indemniser les victimes», affirme Bassem Maater du syndicat des médecins dentistes à Nawaat. Et de rebondir : «Les accidents médicaux sont dus généralement à la précarité de l’infrastructure sanitaire. Il faudrait réformer tout le système de santé pour éviter de tels accidents».
Pour sa part, Ayachi Zammel affirme que les sociétés d’assurance couvrent l’erreur médicale et non pas l’accident médical. «Les préjudices des accidents médicaux sont beaucoup plus graves, et le montant des indemnités varie entre 50 mille et 300 mille dinars. D’où le refus des assurances de subir une telle charge», enchaîne-t-il.
Pour sa part, la fédération tunisienne des sociétés d’assurance a manifesté sa disposition à prendre en charge uniquement les victimes des erreurs médicales. Quant aux accidents, les sociétés d’assurances ne peuvent pas estimer la valeur du préjudice, ce qui pourrait mener à un déséquilibre financier. La fédération appelle l’Etat à prendre en charge les victimes des accidents médicaux à travers «une caisse de solidarité». «La création d’un établissement étatique risque de peser davantage sur les finances publiques», conteste le président de la commission de la santé.
Les réticences des médecins et des sociétés d’assurance à l’égard des modalités de financement du fonds d’indemnisation bloquent l’adoption du projet de loi. Déjà déposé deux fois en plénière, le projet de loi doit encore être examiné par la commission parlementaire.
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