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Dans la première zone du parc de Bou Hedma, la principale source d’eau provient du captage des sources se trouvant dans la partie nord. Pérennes, elles ont un débit important. Leur parcours dans le parc est matérialisé par les palmiers qui poussent sur la bordure du canal acheminant l’eau. Cette conduite à ciel ouvert sert aussi à l’alimentation en eau d’abreuvage des animaux qui vivent dans le parc, tout comme à l’arrosage de la collection de cactus, des eucalyptus et des espèces plantées autour du Bordj (construction coloniale constituant le centre du parc et autour de laquelle se trouvent le reste des bâtiments).

Le long de cette conduite, ont été établis trois bassins (deux nouveaux et un ancien). La création des nouveaux bassins a été faite sur la base de l’observation de l’ancien, localisé au nord du Bordj. Ce premier bassin était assez étendu, mais peu profond. Son fond est tapissé d’une bâche en plastique pour limiter l’infiltration et était continuellement alimenté par la conduite d’eau. La vase charriée par la conduite a permis l’installation d’une végétation aquatique et des Amphibiens qui s’y reproduisaient. Autour de la mare, une végétation luxuriante s’est développée. La création de ce milieu a permis d’attirer des Oiseaux d’eau sur leur passage migratoire et parfois même de s’y reproduire, au moins une année (Blongios nain).

Les nouvelles mares créées étaient très différentes de la première. Plus profondes, mais dont le fond et les bords ont été tapissés de pierres. Leur constructeur semble avoir plus obéi à des considérations esthétiques que de conservation. Elles sont alimentées en eau par des conduites enterrées en PVC. Comme l’eau contient des sédiments en suspension, les conduites ont fini par se colmater et la végétation n’a pas pu s’y développer…

Mare nouvellement créée. Remarquez l’absence de végétation à l’intérieur et aux alentours

La même rigole alimente aussi des bassins situés à l’extérieur du parc et servant à l’abreuvage des troupeaux de bétail des riverains. Il y a quelques années, l’ensemble de la rigole a été cimenté, accroissant ainsi le débit de l’eau qui s’écoule, en réduisant les fuites et l’infiltration. La conséquence du cimentage de la rigole est une mortalité enregistrée de certains palmiers et d’eucalyptus parmi ceux devant le Bordj. La situation a pu être sauvée pour certains de ces derniers après arrosage au cours des derniers mois, mais la situation demeure préoccupante pour les palmiers.

Le paradoxe dans cette situation est que l’eau sort en abondance pour former une zone humide près des bassins situés à l’extérieur, alors qu’elle devrait être utilisée pour l’arrosage des plantes dans le parc et, peut-être aussi, les environs de la rigole, pour aider les annuelles à pousser et terminer leur cycle, ainsi que pour garder une végétation verte à la disposition des herbivores et autres animaux pouvant s’en nourrir et y habiter (les papillons par exemple).

Dans le parc se trouve une autre source, appelée Aïn Ltaief, située au piémont de djebel Bou Hedma. Cette source est captée pour alimenter un bassin qui sert à l’irrigation d’une pépinière qui n’est plus fonctionnelle et des arbres alentours (palmiers, eucalyptus, caroubier et quelques pieds d’Acacias introduits). Dans le bassin, on a introduit quelques poissons. Un abandon de ce système a eu lieu au cours des dernières années. Le bassin est devenu sec et les poissons sont morts. L’arrêt de l’arrosage des arbres dans le site a eu pour conséquence une mortalité massive des caroubiers et un arrêt de fructification des palmiers (les fruits étaient consommés par les ouvriers du parc sans oublier les Oiseaux frugivores). Ce n’est que dernièrement que le système est redevenu fonctionnel, permettant à certains caroubiers de reprendre vie, alors que certains pieds n’ont malheureusement pas pu se régénérer.

A Haddaj (zone 3), la situation est plus dramatique. L’eau dans cette zone provient du captage de la source du même nom, située à quelques kilomètres plus au nord. L’eau de la source était utilisée pour l’arrosage d’une plantation d’oliviers, de pistachier et de cactus inerme dans cette zone ainsi que pour l’abreuvage des animaux. Comme la sécheresse a affecté le couvert végétal, l’eau est utilisée surtout pour l’arrosage des arbres fruitiers. A se demander pourquoi des arbres fruitiers ont été plantés dans un parc national, et quelle est leur utilité en matière de conservation !

Comme le volume d’eau disponible est insuffisant pour assurer le développement de la végétation naturelle (particulièrement les annuelles et les ligneux bas) de laquelle se nourrissent les herbivores de cette zone (addax, oryx et gazelle dorcas), les gestionnaires de cette zone (qui fonctionne pratiquement indépendamment du parc à laquelle elle est rattachée !) ont été contraints de laisser les herbivores consommer les cactus plantés, surtout que cette année, les annuelles n’ont pratiquement pas poussé à Haddej et les ligneux bas sont secs.

Rangée de caroubiers morts, Aïn Ltaief, première zone du parc

A partir des constats évoqués ci-dessus, il est impératif de :

  • A Bou Hedma, permettre à l’eau de la rigole d’irriguer les arbres et arbustes qui se trouvent le long de son parcours (palmiers, joncs…), en provoquant des ouvertures latérales des joints en ciment.

On pourrait également permettre à l’eau de déborder la rigole pour arroser la végétation aux alentours et garantir ainsi la poussée des herbacées annuelles. Nous avons d’ailleurs constaté la présence de quelques espèces de papillons uniquement dans les espaces où se trouvaient des annuelles en fleurs et qui ont poussé suite au débordement de la rigole. L’absence de fleurs pendant la phase d’émergence des papillons condamnerait ces derniers à une mort certaine.

Remarquons par l’occasion que ce genre d’action n’empêcherait pas l’eau d’atteindre les bassins situés en dehors du parc et d’assurer l’abreuvage du bétail. Cette raison a été invoquée pour justifier la non-intervention sur le système d’écoulement de l’eau vers l’extérieur du parc.

  • Pour ce qui est des mares créées le long de la conduite, il serait judicieux de réaménager celles nouvellement créées, sur le modèle de l’ancienne et assurer dans cette dernière un courant d’eau continu, car elle semble avoir été condamnée après l’édification des nouvelles mares !
  • De même, pour la première zone, l’entretien continu du captage de Aïn Ltaief et l’arrosage des arbres autour permet de garder ces arbres en vie et d’assurer une verdure qui égaie le paysage dans ce site.
  • Pour ce qui est de la zone de Haddej, la création d’un point d’eau est une nécessité, et de nouveaux aménagements spécifiques à cette zone devraient être mis en place, après étude minutieuse de ses spécificités (amélioration pastorale, amélioration de la couverture du gommier, par des reboisements dans les zones où il y a une faible densité d’arbres.

Actions à envisager

La gestion des aires protégées est un travail quotidien nécessitant beaucoup d’observations, afin de détecter les actions indispensables, envisageables sur le court comme sur le moyen et long termes.

Le nombre de pistes dans la première zone de Bou Hedma a tendance à s’accroître, avec les conséquences prévisibles de leur extension (ravinement des pistes le long des pentes, destruction de la végétation naturelle sur toute leur longueur). Comme il n’existe pas de normes en la matière, il est important de fixer les pistes dans cette zone et de les entretenir au lieu de créer de nouvelles chaque fois que le ravinement emporte une partie d’elles. La circulation du tracteur dans le parc devrait être limitée aux pistes à substrat stable, car le tracteur érode le fond des pistes facilitant ainsi leur ravinement par les eaux pluviales.

Des travaux de conservation des eaux et du sol sont indispensables, surtout dans la partie sud du parc, là où l’action de l’eau a creusé des anciennes pistes les transformant en ravins assez profonds dans certaines zones. Recourir à des techniques douces et peu coûteuses devrait être envisagé pour arrêter l’érosion de ces terrains fragiles.

Comme réalisé dans le parc de Dghoumes (Tozeur), la création de retenues d’eau dans quelques petits bassins versants localisés au nord du parc (à la base de djebel Bou Hedma) est envisageable, en vue de réduire la vitesse des eaux des crues et l’intensité de l’érosion. La création de petites retenues ne pourrait être que bénéfique pour le parc. La même action pourrait être étendue à la seconde zone, après son rétablissement.

Le rétablissement de la seconde zone et des corridors qui la relient aux première et troisième zones du parc est une urgence, surtout que les tensions avec les riverains du parc ont tendance à se calmer et que les populations riveraines appellent à son rétablissement. Cependant, la mise en place des corridors reliant les trois zones devrait être négociée avec les populations locales, du moins celles qui ont besoin d’accéder au djebel pour faire paître leur bétail.

Il a été constaté une importante mortalité de gommier dans la première zone du parc. Cette mortalité serait probablement liée à un manque d’eau et à l’étendue de la sécheresse. D’autres espèces enregistrent une mortalité, de moindre étendue. Il s’agit en particulier du retam et du périploque. Or les arbres et arbustes morts sont détruits, surtout le retam et le gommier, parfois complètement dessouchés. Comme cette biomasse constitue un habitat et une source de vie pour de nombreuses espèces, sa destruction devrait être complètement bannie du parc.

Des actions de reboisement, pour au moins remplacer les arbres et arbustes morts devraient être programmées à l’avance, pour garder au moins un couvert végétal dans les zones où cette mortalité a lieu.

Tuer dans une aire protégée ?

La question ne semble pas avoir un sens, puisque toutes les espèces présentes dans une aire protégée sont censées y vivre librement sans risque d’être tuées. Pourtant, certaines espèces continuent à être tuées à Bou Hedma par exemple, comme probablement dans d’autres parcs nationaux de Tunisie.

La liste des espèces tuées comprend surtout des espèces venimeuses ou supposées dangereuses. Elle concerne surtout le cobra d’Egypte, la vipère à cornes, la vipère de Maurétanie, les scorpions et certaines espèces de couleuvres supposées venimeuses. Le fait de tuer ces espèces est devenu un geste conditionné par la peur des animaux et des faits d’envenimations parfois fatales qui ont lieu dans la région.

Il est impératif que ces espèces gardent leur liberté et que l’action de les tuer soit complètement bannie du comportement de tous ceux qui fréquentent le parc, ainsi que des ouvriers. La conservation n’excepte pas des espèces qu’il est permis d’éliminer, en plus du fait qu’elles font partie intégrante des biocénoses du parc.

Extension du parc ?

La proposition n’est pas nouvelle. Elle a été déjà faite depuis 1980[1]. Ces deux auteurs ont parlé de l’extension du parc vers le sud, pour englober les zones sableuses. Nous soutenons la même idée, mais lui ajoutons le versant nord de djebel Bou Hedma et le versant sud de la montagne qui lui fait face, de façon à englober l’ensemble du bassin versant de l’oued Bou Hedma.

Cette proposition est justifiée par les faits suivants :

  • Le versant nord de djebel Bou Hedma présente un couvert végétal bien développé et presque absent du reste du parc (genévrier de Phénicie, oléastre, lentisque) et de nombreuses autres espèces absentes des zones de protection de Bou Hedma.

Le cortège floristique du versant nord est caractéristique des séries du pin d’Alep, et la possibilité de son évolution en forêt de pin d’Alep est possible, moyennant une mise en défens sur le long terme.

Vue partielle du versant nord de djebel Bou Hedma
  • La partie sud du parc englobant les alentours de l’oued Bou Hedma présente un aspect différent des zones protégées. Elle est surtout constituée de zones sableuses sur lesquelles le gommier a tendance à s’étendre. Elle comprend également une faune spécifique caractéristique des formations sableuses. Comme cette zone est utilisée comme terrain de parcours, la végétation naturelle y est peu développée, comprenant des espèces psammophiles, et la dégradation continue de ce couvert végétal la rend particulièrement sensible à l’érosion éolienne. Les accumulations sableuses peuvent, à plus long terme, affecter l’ensemble du paysage si rien n’est fait pour bloquer l’avancée du sable. La zone proposée peut contenir la sebkha d’En Nouail, déversoir naturel de l’oued Bou Hedma.
Vue panoramique montrant le lit de l’oued Bou Hedma et sebkha En Nouail, au fond

Conclusion

La gestion des aires protégées et des espèces qu’elles comprennent n’est pas aisée pour quiconque observe minutieusement leurs composantes, tant physiques que biologiques. L’évolution des concepts en matière de conservation et la maîtrise des différents types d’écosystèmes rendent cette mission de plus en plus délicate et complexe.

L’intervention humaine devrait être justifiée et objective, car elle risque de son côté d’induire des dysfonctionnements auxquels il n’est pas aisé de remédier même si on s’y attelle. Nous nous trouvons dans des espaces qui ont toujours été modelés par l’homme, et les faire évoluer dans le sens qu’on souhaite n’est pas facile. Elle repose surtout sur l’observation détaillée des différentes composantes du milieu objet de gestion, afin de voir leur évolution dans le temps en fonction des contraintes qui leurs sont imposées.

La gestion des aires protégées devrait reposer sur les connaissances acquises de leurs composantes, une fonction assurée surtout par la recherche dans ces espaces.

Le mode actuel de gestion des aires protégées en Tunisie est appelé à évoluer et à tenir compte du rôle dévolu à ces espaces et de leurs composantes biologiques en particulier. Tirer les leçons du passé constitue aussi, tenant compte de l’expérience cumulée, un garant de leur succès.

Pour faire face à ces défis, l’administration chargée de la gestion de ces espaces particuliers doit veiller à assurer une formation de son personnel technique et de tous ceux qui travaillent dans les aires protégées. Ce genre de formation devrait avoir lieu sur le terrain, afin de s’arrêter sur les contraintes auxquelles font face les conservateurs dans leurs missions quotidiennes.

Séparer les fonctions techniques et administratives peut contribuer à décharger les conservateurs d’une fonction qui accapare une bonne partie de leur temps, pour les réserver aux interventions d’ordre technique.

L’ouverture sur le milieu académique est une composante à envisager dans le fonctionnement des aires protégées, afin d’assurer un partage des connaissances des différents sites.

Disposer d’un conseil scientifique indépendant permet de cibler les interventions, afin de les orienter vers une conservation efficiente des espèces et des espaces…

 

[1] Blanc C. P. et Snane M. H., 1980. Les reptiles et les batraciens de la région de Bou Hedma, Bull. Soc. Sci. nat. Tunisie, 15 : 3-10