Mis en examen suite à une accusation de harcèlement sexuel portée par une lycéenne de Dar Chaabane El Fehri (Nabeul), élu sur la liste de Qalb Tounes, Zouhair Makhlouf n’a pas encore été condamné par la justice, environ deux ans après le déroulement des faits. L’association Aswat Nissa, fustige « les atermoiements » de la justice ayant causé « des ajournements successifs du procès et la suspension à ce jour de l’affaire », déclare à Nawaat Sarah Ben Said, directrice exécutive de l’ONG.
Atermoiements suspects
Un constat confirmé par l’Association des magistrats tunisiens (AMT) dans son communiqué publié le 2 septembre. Réagissant au dernier mouvement dans le corps de la magistrature décidé par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), l’AMT a pointé du doigt « l’absence d’une vision réformiste » du secteur. L’organisation syndicale a pris comme l’exemple le cas du procureur de la République de la Cour d’appel de Nabeul qui serait intervenu dans l’affaire de Zouhair Makhlouf ainsi que dans celles concernant certains hommes d’affaires.
Le procureur en question est accusé d’être derrière la lenteur des procédures dans cette affaire. Ainsi, les instructions ont trainé durant une année après les faits avant d’être clôturées. « Ceci déroge des procédures habituelles dans des affaires comparables. Pour les délits graves tel que le harcèlement sexuel, l’inculpé devrait être mis en garde à vue. Le jugement devrait être également rendu dans des délais raisonnables. Ceci aurait pu avoir lieu dans l’affaire Makhlouf bien avant qu’il ne devienne député et qu’il ne s’abrite derrière son immunité », a affirmé Lamia Mejri, membre du bureau de l’AMT, à Nawaat. Les atermoiements ayant marqué le début de l’enquête sont ainsi suspects, selon la représentante de l’AMT : « On a sciemment attendu que l’accusé soit élu pour qu’il puisse s’abriter derrière son immunité. Ceci a prolongé davantage les procédures », fustige-t-elle. Rappelant que dans ce procès, la plaignante a appuyé sa plainte par des photos, ce qui laisse peu de place à de telles tergiversations.
Harcèlement sexuel ou atteinte aux bonnes mœurs ?
L’affaire, déclenchée en octobre 2019, a connu depuis de multiples rebondissements. En premier lieu, les faits ont été qualifiés par le ministère public de « harcèlement sexuel ». L’inculpé a contesté cette qualification auprès de la chambre d’accusation. Les faits ont été requalifiés. Makhlouf est devenu ainsi accusé non pas de « harcèlement sexuel » mais d’ « atteinte aux bonnes mœurs » et d’ « outrage public à la pudeur ». A son tour, la partie civile a interjeté appel devant la chambre d’accusation qui lui a donné gain de cause en requalifiant l’affaire de harcèlement sexuel.
Bien que les deux délits soient punis d’une peine d’emprisonnement et d’une amende, la loi tunisienne sanctionne plus sévèrement le harcèlement sexuel. Ainsi, la loi intégrale relative à la lutte contre les violences faites aux femmes prévoit une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de cinq mille dinars pour celui qui commet un harcèlement sexuel. Alors qu’en vertu de l’article 226 bis du Code pénal, l’atteinte aux bonnes mœurs et l’outrage public à la pudeur est puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de mille dinars. « D’où l’importance de la qualification des faits. Il ne risquerait pas de purger une peine de prison s’il avait été accusé d’attentats aux bonnes mœurs », souligne la directrice exécutive d’Aswat Nissa.
Responsabilité du procureur de la Cour d’appel de Nabeul
Après le marathon de la qualification des faits, l’affaire a finalement été renvoyée devant le tribunal de première instance en attendant que le jugement soit rendu, a indiqué Sarah Ben Said. Entre-temps, la chambre ayant statué en faveur de la plaignante en requalifiant les faits de harcèlement sexuel a été dissoute par le procureur de la République de la Cour d’appel de Nabeul, qui est aussi membre du Conseil de la magistrature judiciaire. « Les magistrats composant cette chambre ont récemment été arbitrairement démis de leurs fonctions », dénonce Lamia Mejri.
L’ATM a relevé que le procureur de la République de la Cour d’appel de Nabeul fait l’objet de plusieurs plaintes auprès du CSM, dont celle émanant du collectif défendant la jeune fille dans l’affaire de Zouhair Makhlouf. Une information confirmée par une source au sein du ministère de la Justice à Nawaat. « Pourtant le CSM n’a pas réagi et a maintenu ce procureurà son poste et n’a pas décidé de mesures disciplinaires à son encontre. Ce procureur use de son influence au sein du Conseil de la magistrature judiciaire pour bénéficier d’une impunité totale », regrette la représentante de l’ATM. Et de poursuivre : « Le CSM ne peut pas prétendre assainir le secteur sans entamer les mesures disciplinaires nécessaires. On ne peut concevoir de véritables réformes avec des individus suspects », assène-t-elle.
En attendant, le député gelé Zouhair Makhlouf a été assigné à résidence surveillée, a-t-il lui-même annoncé le 16 août dans les médias. D’après lui, cette mesure intervient suite à ses publications critiquant les mesures annoncées par le président de la République le 25 juillet. Elle serait, selon lui, sans rapport avec l’affaire de harcèlement sexuel dont il est accusé.
Face à tous ces agissements, la plaignante, devenue actuellement étudiante en droit, traine en silence sa souffrance depuis le début de l’affaire. « Elle ne s’est pas encore remise de son agression. Elle bénéficie d’un soutien psychologique mais la lenteur des procédures n’a fait que remuer le couteau dans la plaie », se désole Sarah Ben Said.
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