«Alors, cela va être une confrontation?». Quand on lui demandait, à la veille de la 35ème édition des Journées de l’Entreprise (JE, 9-11 décembre 2021), organisées tous les ans par l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE) s’il fallait s’attendre à un «clash» entre les adhérents et les participants, d’un côté, et le président Kais Saïed, de l’autre, en raison de ses positions très tranchées sur le monde de l’entreprise et des hommes d’affaires, un haut responsable du think tank patronal dédramatise : «Ce sera un dialogue», affirme-t-il.
Finalement, ce dialogue n’a pas eu lieu. Car invité pour la deuxième fois aux Journées de l’Entreprise (JE, 9-11 décembre 2021, Sousse), -les JE n’ont pas eu lieu en 2020 à cause de la pandémie du Covid-19-, Saïed a préféré se faire représenter par la cheffe du gouvernement, Najla Bouden comme il l’a été en 2019 par Youssef Chahed.
Et de deux. Deux éditions des Journées de l’Entreprise (JE), organisées par l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises lors de la première dizaine de décembre de chaque année, ont eu lieu depuis l’accession de Kais Saïed à la magistrature suprême, mais il n’a assisté à aucune d’entre elles. Comme il y a trois ans, aucune explication officielle n’a été donnée de son absence à un évènement placé à chaque fois sous son égide. Officieusement, un responsable de l’IACE rappelle que le chef de l’Etat avait été retenu il y a deux ans à Tunis par … la célébration du 63ème anniversaire de la création de la douane.
Cette fois-ci l’empêchement serait la visite en Tunisie du premier ministre algérien Ayman Ben Abderrahmane que le président Saïed -qui devait intervenir le lendemain vendredi 10 décembre en ouverture des JE 2021- a reçu jeudi soir.
Néanmoins, les dirigeants du think tank patronal -conduits par son président Taieb Bayahi- ont eu droit à une compensation sous la forme d’une audience que le locataire du Palais de Carthage leur a accordée mardi 7 décembre. Le sixième président de l’histoire de la Tunisie devient le deuxième président, après Moncef Marzouki, à recevoir des responsables de l’IACE.
Feu Béji Caïd Essebsi demeure à ce jour le seul président à avoir non seulement répondu favorablement à une invitation aux Journées de l’Entreprise de 2015 -où il a improvisé un discours qui lui a valu une standing ovation- mais, surtout, à avoir accepté de se prêter au jeu -périlleux pour d’autres- d’un échange avec les participants.
Mais en guise de compensation, le chef de l’Etat a accordé, mardi 7 décembre, deux jours avant l’ouverture des Journées de l’Entreprise, une audience à une délégation de l’IACE conduite par son président Taieb Bayahi.
Attitude bienveillante. Et pourtant…
Visiblement, la question des relations entre les autorités, et plus particulièrement le président Saïed, et les chefs d’entreprises embarrasse beaucoup les uns et les autres. D’ailleurs, dans son discours, la cheffe du gouvernement a complètement zappé cette problématique et n’a pas donné l’occasion aux chefs d’entreprises de la questionner à ce sujet, car partie immédiatement après la séance d’ouverture pour cause «d’autres engagements».
Une franche explication avec le «peuple» de l’IACE, c’est-à-dire les chefs d’entreprise, était plus que nécessaire, en raison de la mésentente -peu cordiale- qui s’est installée depuis quelques semaines entre les deux parties. Malgré l’attitude plutôt bienveillante des organisations patronales à l’égard du coup de force du 25 juillet.
L’IACE, par exemple, a évoqué dans un communiqué publié deux jours plus tard, le 27 juillet, une «résolution de la crise institutionnelle» qui «devrait permettre à la Tunisie de renforcer les acquis démocratiques, asseoir un système de gouvernance permettant de mener à bien les réformes et politiques publiques nécessaires, renforcer l’état de droit et lutter contre la corruption afin de rétablir la confiance des investisseurs nationaux et internationaux à même de favoriser l’émergence de nouvelles opportunités d’investissement et d’emplois pour une croissance durable et inclusive».
A Sousse, la position de l’IACE était plus nuancée. Le 25 juillet n’est plus une libération mais le jour «où la crise politique et économique aura atteint son paroxysme», même si le think tank patronal reconnait qu’il met fin «au moins provisoirement» à «la terrible tragédie que vivait la Tunisie», selon les mots de Bayahi.
Diabolisation des chefs d’entreprise ?
Allant droit au but, Walid Belhaj Amor, vice-président de cette organisation critique -sans l’imputer au président Saïed- «la diabolisation de l’entreprise et du chef d’entreprise» qui «ne peut servir l’intérêt de l’économie».
Saisissant la balle au rebond, Anis Morai, modérateur d’un panel sur «L’image de l’entreprise et de l’entrepreneur», est plus explicite. «Depuis quelques temps, on assiste à une stigmatisation de l’entrepreneur et de l’entreprise. Et quand ce discours est porté par la plus haute fonction de l’Etat, cela pose problème», souligne l’animateur de Radio Tunis Chaîne Internationale (RTCI).
Le président de l’IACE lui-même s’est fait l’écho de ce malaise lors de la rencontre avec le chef de l’Etat. «J’ai entendu des choses négatives et je voudrais être rassuré», révèle Bayahi avoir dit au président. Avant d’ajouter, dans la même déclaration, avoir été «rassuré» par ce qu’il a entendu de la bouche du chef de l’Etat.
D’après un cadre dirigeant de l’IACE, «le président s’est défendu d’avoir diabolisé les hommes d’affaires. Il affirme avoir été mal compris et se soucier de leur éviter de faire l’objet de chantage de la part des politiques et des juges».
Remous face aux « entreprises civiles »
Mais ce n’est pas seulement la manière dont le chef de l’Etat parle d’eux qui dérange les chefs d’entreprises. Son projet, notamment dans son volet économique, les perturbe aussi. Et plus particulièrement cette «invention» qu’a récemment annoncée le président Saïed : Achariket Al Ahliya (Entreprises civiles, traduction littérale), qui ont fait l’objet d’un exposé de Sabah Malek, membre de l’Initiative «Penser notre Démocratie» et fervente partisane du projet présidentiel. Une présentation qui n’a pas laissé l’assistance indifférente. On n’a pas entendu d’applaudissements mais, témoigne un participant, un remous désapprobateur dans la salle, que semblaient partager Fadhel Abdelkefi et Walid Belhaj Amor.
Le vice-président de l’IACE a semblé très peu convaincu, pour ne pas dire plus, par l’idée des nouvelles sociétés dont le président propose la création. L’ancien ministre considère, lui, que «c’est bien d’avoir de l’inventivité, mais il faut aussi de la raison. La créativité sans la raison, comme on le voit maintenant, cela ne peut pas donner de bons résultats», observe Abdelkefi.
Enfin, Mohamed Salah Frad, directeur général de la société de gestion d’actifs United Gulf Financial Services (UGFS) North Africa, suggère lui aux porteurs de cette idée d’être pragmatiques et prudents : «Il faut, comme dans l’industrie, produire un prototype, c’est-à-dire créer l’une de ces nouvelles sociétés quelque part en Tunisie et faire au bout d’un certain temps le bilan de l’expérience». Avis éclairés et réactions fondées sur l’expertise ou naturelle résistance au changement et volonté de conserver le statu quo ? C’est ce qui reste à voir quand le projet sera entièrement dévoilé.
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