On ne le dira jamais assez, les comédies bon teint ont, chez Kaouther Ben Hania, la facilité d’un tour de main et la faiblesse d’une occasion ratée. Là où sa Peau de colle fait trébucher de son piédestal l’autorité sous l’intelligence enfantine, Les Pastèques du Cheikh s’inscrit dans une logique de jeux de rôles et du chantage mou. A quelle veine appartient Nuisette sexy et côtes d’agneau ? A celle où la prétention d’offrir une pinte de bon sang vaut moins que ce qu’on pourra en dire. Cramponné à ses marottes, ce troisième court-métrage se frotte à la Sain-Valentin, en se postant une après-midi aux côtés de Hamda, un propriétaire d’abattoir à Tunis qui, peinant à joindre les deux bouts de ses finances battant de l’aile, doit se débrouiller pour réajuster vite le curseur. De la résignation au ras-le-bol, la conséquence sera-t-elle bonne à déjouer l’inertie ?
Non sans causticité, Nuisette sexy et côtes d’agneau s’essaie à la tangente. Entre un coup de fil à sa femme et leur soirée d’amoureux qui se profile à l’horizon, le film cueille Hamda à l’entrée de son abattoir, le cul entre deux chaises, sans latitude à se ménager dans le pétrin qui l’attend comme dans les surcadrages pour obtenir l’effet dramaturgique escompté. Dans la peau de ce maître d’abattoir rattrapé par le compte à rebours, Abdelhamid Bouchnak trouve un personnage à sa mesure, se démenant mal pour débiter in extrémis un chèque. Ce ressort sert à le bouter hors de sa zone de confort, pour mettre en scène un protagoniste à qui tout peut justement arriver. Avec cette recette fictionnelle qui a pour loi un retard à rattraper et pour contrainte une urgence à régler, tout ce que la caméra va dérouler sous nos yeux sera contaminé par ce double bind : quand quelque chose tourne mal, le reste s’ensuit presque automatiquement en une cascade improbable de coups du sort qu’on n’a pas cherchés. C’est au galop que Nuisette sexy et côtes d’agneau enfilera ses chapitres, en une progression qui veille à sérier les problèmes.
Sur ce canevas, bien classique du reste, on a un vague espoir que Kaouther Ben Hania saura mettre en tension tout ce que l’argument du temps compté promet de loufoques glissements et antinomies. Et de fait, tout est là : avec des finances qui battent de l’aile, des impayés pas moins urgents que les salaires en attente de son équipe d’abatteurs, tout est à destiné chez Hamda à devenir kafkaïen. Kafkaïen, certes, mais aussi ubuesque : comique car plus rien n’est épargné au protagoniste dans de telles circonstances ; absurde quand tout est ajourné sans raison à plus tard ; et non moins délirant lorsque les quiproquos se multiplient sur fond de bêtise crasse. Le style désinhibé de cette tornade d’obstacles, réchauffé qu’il est par quelques ingrédients aguicheurs, sera décuplé par une série de contretemps qui précipite le pauvre protagoniste dans une course contre la montre. Mais à tout cela que Nuisette sexy et côtes d’agneau rembobine dans la quasi-unité du temps et de l’action, la loi vient ajouter quelques rappels à l’ordre rose bonbon, en mettant son protagoniste à deux doigts du coup de boules.
C’est donc au spectateur de guetter dès lors les décomptes. Mais rien n’y fait. Car ce qui tient ici du crescendo, se réduit à une série de pâles gags à retournement. S’il joue beaucoup plus sur les comiques de situation et de langage que sur le comique de répétition, le pas-de-côté reste prévisible, réglé sur un montage qui atténue les pistes dramaturgiques d’un retour de manivelle. Même les ruptures de ton, introduites à coups de musique extradiégétique, ne remportent pas pour autant le morceau. On a l’impression que Ben Hania troque les quelques trouvailles de la mise en scène au profit d’une facilité de composition qui pointe à chaque séquence le bout du nez, laissant ses comédiens mariner dans leur jus plutôt qu’elle ne les remet en jeu. Bien qu’appelé à faire passer la pilule de la petite morale, Nuisette sexy et côtes d’agneau accouche d’une souris.
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