Le 12 novembre 2021, Al Karama Holding a réalisé une opération d’un genre très particulier. Ce jour-là, ce holding chargé de la cession des sociétés -68 au total- ayant fait partie jadis des groupes de Sakhr El Materi (Princess El Materi Holding) et Belhassen Trabelsi (Karthago Group), a conclu le « transfert » de Radio Zitouna -créée en septembre 2007 par Sakher El Materi- à l’Etablissement de la Radio Tunisienne (ERT). Oui, vous avez bien lu : le communiqué d’Al Karama Holding ne parle pas de cession mais de « transfert ».
Du « rattachement » au « transfert »
Ce scénario avait été envisagé pour la première fois par le gouvernement de Habib Essid. C’est Khaled Chouket, ministre auprès du chef du gouvernement chargé des relations avec l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) et porte-parole du gouvernement, qui l’avait évoqué le 22 juin 2016 dans sa réponse à une question du député Riadh Jaidane sur la situation des médias audiovisuels confisqués. Il avait justifié le transfert à l’ERT par le fait que «le discours religieux devait être entre des mains fiables».
Précisons toutefois qu’en évoquant l’avenir de Radio Zitouna en 2016, Khaled Chouket n’avait pas parlé de transfert, comme le fait Al Karama aujourd’hui, mais de son « rattachement » à l’ERT. Pourquoi ce changement de concept ? Peut-être parce que les gouvernements successifs ont été embarrassés par ce dossier et par la manière dont il fallait présenter et justifier cette opération.
Si l’on peut comprendre que l’Etat se soucie –en raison de la sensibilité de la matière religieuse-, d’éviter qu’un instrument aussi sensible qu’une radio coranique tombe entre les mains de personnes ou de groupes d’obédience intégriste, la manière dont cette opération a été réalisée n’en étonne pas moins, puisqu’elle n’a pas de base légale.
Du pareil au même ?
Les décrets-lois n° 2011-13 du 14 Mars 2011 et n° 2011-68 du 14 Juillet 2011, relatifs respectivement à la confiscation d’avoirs et de biens meubles et immeubles et à la création d’une commission nationale de gestion d’avoirs et des fonds objets de confiscation ou de récupération en faveur de l’Etat- ne prévoient que la cession d’une société, d’une propriété ou d’un objet confisqués, mais pas de transfert à organisme public. Et encore moins sans contrepartie.
Ce concept de « transfert » d’une société à un organisme public n’existe pas non plus dans la rubrique dédiée à la « gestion des avoirs et des biens confisquées » sur le site du ministère des Finances. On y précise que la mise en œuvre des décisions de cession –et non de transfert- des participations confisquées dans le capital des sociétés prises par la Commission nationale de gestion est assurée par la société Al Karama Holding, dans le cadre de la convention de gestion conclue à cet effet. Et que « dès qu’elle reçoit la notification de la décision de cession se charge de la réalisation des opérations de cession des sociétés (participations) conformément aux procédures prévues par le manuel des procédures en matière de cession des biens confisqués dont les règles obéissent aux principes de transparence, d’équité et d’égalité des chances ».
Pourtant, Adel Grar, directeur général d’Al Karama Holding, estime que le concept de « récupération au profit de l’Etat » mentionné dans les deux décrets concernant la confiscation, offre une base légale au transfert de Radio Zitouna. Et le patron d’Al Karama Holding va plus loin et affirme que cette opération est en fait une cession puisque l’ERT a repris le fonds de commerce et le personnel de Radio Zitouna et paie une contrepartie puisqu’il « prend en charge la dette de la société obérant cette radio, sur la base d’une évaluation réalisée par un expert ».
Arbitraire étatique
Cette version pose au moins deux problèmes. Le premier est d’ordre linguistique. Quand on parle de récupération, cela signifie qu’on reprend le contrôle de quelque chose dont on était précédemment propriétaire. Ce qui n’est évidemment pas le cas de Radio Zitouna. Le second est d’ordre à la fois légal et éthique. Car le fait de considérer la prise en charge de la dette comme le prix de la cession constitue une forme de ségrégation et d’injustice commise par la Commission Nationale de Gestion d’Avoirs et des Fonds objets de Confiscation ou de Récupération en faveur de l’Etat, qui prend les décisions de vente, et par le gouvernement qui les valident, au détriment des opérateurs privés candidats au rachat d’une entreprise confisquée. En effet, ceux-ci en assument le passif mais paient en plus un montant correspondant au prix de la cession.
Donc, à supposer même qu’on puisse considérer le transfert de Radio Zitouna comme une cession en bonne et due forme, l’ERT aurait dû en principe payer quelque chose en plus de la prise en charge de la dette. C’est du moins ce qu’on peut conclure sur la base de l’article 12 du décret n°68 de 2011, portant création de la Commission de gestion, qui stipule que les recettes des opérations de cession et de récupération sont versées dans un fonds.
D’après un expert-comptable, familier des dossiers de cession de biens confisqués, l’Etat aurait pu éviter le casse-tête auquel il a été confronté dans le dossier de Radio Zitouna en optant tout simplement pour une cession au dinar symbolique.
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