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Le gommier est un arbre qui pousse naturellement dans les régions arides. Il couvrait, à la fin du 19ème siècle, une étendue de 30 mille hectares. Son aire de distribution historique s’étendait entre Kairouan et Gabès. Cette aire s’est progressivement réduite pour se limiter à Bled Talh, entre les gouvernorats de Sidi Bouzid et Gafsa, même si des pieds isolés existent encore dans le gouvernorat de Gabès (Menzel Lahbib). La présence de l’espèce dans les régions de Kairouan et de Sfax semble être un lointain souvenir. L’essentiel des terrains actuellement couverts de gommier se trouve entre Bou Hedma et Haddej, une localité attenante à Bou Hedma et dans laquelle se situe la troisième zone de protection intégrale du parc. Le gommier apparaît souvent sous forme isolée, mais parfois des formations denses peuvent se constituer, à la faveur des terrains sur lesquels il pousse. Cette zone, pratiquement isolée du parc, fonctionne indépendamment de lui. Notamment depuis la destruction par les populations locales de la clôture de la seconde zone, et l’installation des corridors pour relier les trois parties du parc.

Pied majestueux de gommier, Bou Hedma

Les agressions visibles contre le gommier ont eu lieu en particulier en 2011 et 2012. L’arrachage a surtout ciblé les arbres qui se trouvaient dans les terres cultivées et à proximité des habitations. Par la suite, un nouveau phénomène est apparu, à savoir le défrichement de la steppe pour la transformer en terres de culture, après installation de sondages pour l’irrigation. Des étendues entières se sont vues perdre toute végétation naturelle. Ne sont parfois laissés que les gros pieds ou ceux qui se trouvent sur les bordures des zones mises en culture ou déjà cultivées. Par la suite, les gommiers se trouvant dans les terres défrichées ont été arrachés. Il en est résulté des zones entièrement dépourvues d’arbres et une distribution morcelée de cette espèce.

En 2012, les arbres coupés étaient destinés à finir en charbon de bois, comme si les contrevenants voulaient effacer toute trace de leurs infractions. Le bois résultant des défrichements semble avoir la même destination. Nous avons récemment observé de nouvelles charbonnières, preuve que le processus de défrichement est toujours en cours. Le plus préoccupant, c’est que rien ne semble inquiéter les défricheurs. Et l’administration ne se soucie que des espaces érigés en parcs et réserves naturelles. Le reste de l’espace, même s’il fait partie du domaine public, est laissé à l’abandon.

Formation dense de gommier, Haddej

Par ailleurs, les nouveaux modes d’exploitation de la terre ne sont pas durables. En effet, Bled Talh se caractérise par une pluviométrie annuelle faible (moins de 200 mm/an). Et vu la structure géologique des terrains, l’eau est souvent salée. Les cultures sont de nature intensive (maraîchage saisonnier et oléiculture irriguée). De nombreux sondages sont équipés d’installations d’énergie solaire. Par conséquent, les exploitants ont tendance à gaspiller l’eau et à sur-irriguer leurs cultures. Étant donné que la plupart des exploitants n’ont pas de tradition agricole, ils pensent que l’irrigation intense des cultures améliore les rendements…

Dans les faits, ce mode de culture n’est rentable qu’à court terme. Puisque les volumes pompés dépassent de loin le seuil de renouvellement, on assistera à une salinisation progressive de l’eau et des sols qui finiront par ne plus être rentables. A cela s’ajoute un autre phénomène, encore largement méconnu, à savoir que la production de l’olivier est compromise dans les régions chaudes à cause des changements climatiques (l’olivier a besoin de froid pour fleurir, condition qui ne peut pas être satisfaite à cause du réchauffement du climat).

Malgré le statut du parc de Bou Hedma de réserve de la biosphère (qui se base sur la compatibilité de la conservation des aires protégées avec les activités humaines), peu d’efforts ont été fournis pour garantir la conservation à long terme du gommier dans son milieu naturel en dehors des aires protégées. Par ailleurs, on a constaté au cours des dernières années, un relâchement de l’effort de suivi et de contrôle des populations de gommier. Cela revient tout simplement à ne considérer la conservation que dans les limites des aires protégées. Pourtant, l’essentiel des populations se trouve en dehors du parc.

L’antagonisme entre les objectifs de conservation et les agissements humains s’explique au moins partiellement par les mesures que l’administration forestière a imposées aux populations. Pour imposer la conservation du gommier en dehors du parc, l’administration a en effet a en effet ordonné des sanctions, en interdisant par exemple l’arrachage des arbres dans les terres de culture.

Il est un point important à soulever, celui de la gestion des parcours. En effet, les zones où pousse le gommier sont utilisées comme terrains de parcours extensifs pour le bétail. Comme les terres disponibles se rétrécissent au fil du temps, les effectifs du bétail, même si on les considère stables, accroissent leur pression sur le couvert végétal naturel. Il en résulte une dégradation continue de la qualité des parcours. D’autant plus que la végétation n’est plus soutenue, et que les rotations ne s’effectuent au mieux qu’épisodiquement.

Cependant, la régénération naturelle du gommier ne pose pas de problème particulier : de jeunes pousses apparaissent un peu partout. Mais le facteur limitant leur maintien et leur extension est l’intervention humaine, comme détaillé plus haut.

En conclusion, tous les indicateurs convergent dans le sens de la diminution progressive du nombre d’arbres et de leur aire de distribution. Dans les secteurs où le gommier a disparu et où les terrains fragiles ont subi de profondes transformations (labour, pâturage excessif…), la diversité du couvert végétal rétrécit. En outre, on relève dans ces zones, la prédominance d’espèces non palatables (astragale, peganum…) et la quasi disparition des essences consommées par le bétail (Rantherium).Les stades plus avancés de dégradation se traduisent par la disparition du sol et parfois son ensablement, comme constaté actuellement dans les environs de Menzel Lahbib.

Dans les terrains dégradés, il serait peut-être opportun que la société civile soit chargée de mettre en place des pratiques à même de régénérer le couvert végétal, maintenir le gommier dans son aire naturelle, afin d’inverser les tendances à la désertification. Des objectifs d’autant plus urgents que ces territoires risquent de perdre leurs habitants, une fois les ressources locales épuisées.