Quand le 4 juillet dernier, nous avons pris connaissance du texte de la nouvelle constitution, j’ai exonéré le président Saied d’une telle calamité, imputant la responsabilité aux professeurs de droit constitutionnel qu’il avait choisis. Ceux-ci étaient censés être les sources et la garantie de la constitution voulue par le chef de l’Etat. Après tout, celui-ci nous avait fait croire qu’il leur avait confié la mission solennelle d’écrire un texte civil “sacré” qui garantirait le passage de la Tunisie à une ère de dignité et de décence, en rupture totale avec dix années de gouvernance catastrophique menées par des charognards de la politique, de tous bords.
Il a fallu moins de vingt-quatre heures, pour que nos éminents juristes se désolidarisent de leur commanditaire. Pourtant, il suffisait de regarder les faits et gestes, le langage et les référents de Kais Saied, et surtout son historique académique, pour comprendre combien ils ont été naïfs de croire qu’il pouvait un instant les écouter.
Visiblement, tout le processus n’était qu’un exercice personnel d’un monsieur qui n’a jamais atteint le seul seuil de respectabilité acceptable pour lui: être reconnu par ceux qu’il considérait comme ses pairs, et qui contrairement à lui, avaient les grades administratifs qu’il n’a jamais réussi à atteindre.
La fonction de président de la République est trop prenante et trop complexe pour un esprit aussi simpliste que celui de Kais Saied, lui que ne cesse de pérorer sur le seul sujet qui, à ses yeux, a de l’importance et le valorise : le droit constitutionnel.
S’il a prouvé que le costume ne fait pas le président, il est clair que notre locataire du palais présidentiel de Carthage se serait bien vu en toge de doyen de la faculté de droit ou en robe de président de la Cour constitutionnelle.
Le 25 juillet 2021, quand il a pris la décision de geler le parlement lamentable que la Tunisie traînait comme un boulet, les islamistes et leurs maîtres régionaux sont de suite montés au créneau dans les médias et auprès des cercles de pouvoir occidentaux pour hurler au coup d’Etat. Pour contrebalancer cette offensive extérieure, nous nous sommes tous portés garant de son honnêteté et de son patriotisme et surtout de son manque d’intérêt à être un dictateur. Je suis personnellement intervenu dans une demi-douzaine de médias anglo-saxons pour dire que ce qui se passait en Tunisie découlait d’une volonté populaire. Je savais que Saied était un conservateur social et politique incapable de prendre des risques transformateurs. Et pourtant, j’ai avancé les arguments qu’il n’était pas intéressé par le pouvoir absolu. Je dois reconnaître avec amertume que j’avais tout faux.
J’ai longuement hésité avant de décider si j’allais voter lors de ce référendum. J’ai longuement hésité pour savoir si j’allais voter oui ou non. J’y ai vu un processus mis en place avec un manque de sérieux absolu, un dédain et une insulte à l’intelligence des Tunisiens.
Quand Saied lui-même a reconnu que son texte initial, paru dans le journal officiel de la république, contenait « plusieurs fautes », mon choix était définitif. Comment faire confiance à un texte fondateur bourré d’erreurs de toutes sortes. Faire quarante-neuf fautes dans n’importe quel examen n’est-il pas éliminatoire?
Mais les problèmes de forme ne sont rien comparés au contenu. Son texte nous montre tout ce qui ne l’intéresse pas. Un Etat civil et démocratique avec des pouvoirs clairement séparés, un Etat de citoyens libres et égaux en droit et en responsabilité. Un Etat qui protège les 52% de sa population que sont les femmes et qui regarde vers l’avenir pour installer la Tunisie dans le concert des nations modernes.
Au lieu de cela, il nous a ramené des combats que l’on croyait révolus. Il nous a replongés en 2012, pour reparler de sujets aussi toxiques et factieux que la place de l’Islam dans l’Etat et sa codification dans la société. Et tant pis pour le chômage, l’insécurité et l’hyperinflation. Il a effacé d’un coup de plume, plus de deux cents ans de l’histoire de la Tunisie pour sauter de 1861 à décembre 2010, et enfin à son 25 juillet 2021.
Monsieur Saied ne cesse de citer l’histoire, même si sa mémoire semble sélective et géographiquement très restreinte. Il est temps aujourd’hui de lui rappeler que s’il est au Palais de Carthage, c’est à nous, peuple tunisien, qu’il le doit. Il est surtout temps de lui rappeler que nous nous sommes portés garants pour lui, les jours qui ont suivi son coup de force personnel, il y a un an.
La président Bourguiba, père de l’indépendance a dit : « Du balcon du Maghreb, la Tunisie regarde l’Europe et l’Orient. Ses côtes hospitalières accueillent les hommes et les idées des deux rives. Mais la Tunisie est aussi une digue qui s’avance dans la Méditerranée quand s’élève le tumulte des hommes. »
Quand les jours de grand tumulte que monsieur Saied va irrémédiablement nous imposer seront là, nous saurons nous dresser pour lui rappeler qu’il a une dette envers nous. Cela s’appelle le droit et le devoir de résistance. Cela s’appelle le droit du propriétaire !
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