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Les espèces exotiques et invasives posent des problèmes écologiques à l’échelle globale. Introduites de manière accidentelle ou délibérée, leur prolifération en dehors de leurs lieux d’origine génère des problèmes dont la gestion est souvent complexe. Face à l’amplification du phénomène, les pays optent pour leur suivi pour comprendre leur dynamique ou tentent de les éradiquer, notamment dans les aires protégées. Qu’en est-il de la situation en Tunisie où ce problème semble ignoré par les autorités chargées de la gestion de notre patrimoine naturel ?

Une espèce est qualifiée d’exotique lorsqu’elle est introduite en dehors de son aire de répartition naturelle. Elle est dite invasive quand elle se reproduit hors contrôle et tend à occuper les espaces naturels et à entrer en compétition avec les espèces autochtones. Souvent vigoureuses, ces espèces ont tendance à s’étendre aux dépens des espèces locales, à gêner leur développement, voire les éliminer et modifier le fonctionnement des écosystèmes naturels. Au fil du temps, le nombre d’espèces exotiques et invasives ne cesse d’augmenter, rendant leur contrôle de plus en plus difficile et coûteux. La plupart des espèces en expansion sont ornementales, originellement introduites délibérément par des humains.

Les introductions d’espèces exotiques fait partie de l’histoire des civilisations humaines. Celles qui ont été introduites en Tunisie par exemple, comprennent surtout des plantes cultivées notamment pour leurs fruits. A titre d’exemple, le mûrier, le grenadier ou l’amandier ont été introduits de longue date dans le pays sans que cela ne pose problème. Les Mauresques renvoyés d’Espagne ont introduit la culture du figuier de Barbarie, certains légumes dont le piment, les tomates, la pomme de terre, toutes d’origine latino-américaine[1]. Des plantes qui font partie de notre régime alimentaire « traditionnel » ont été introduites elles aussi, telles que le haricot, la lentille, le pois chiche ou encore la pastèque, le melon, les courges et courgettes, etc. Cependant, leur introduction n’a jamais posé problème simplement parce qu’elles sont considérées comme « utiles » et ne se sont pas disséminées dans les espaces naturels.

Les introductions pour des fins non alimentaires ont commencé pendant la période coloniale. Parmi les objectifs d’introduction de nouvelles espèces exotiques, il y a surtout l’ornementation (notamment en milieu urbain), la production du bois (en particulier cas des eucalyptus[2]), ou encore la fixation des dunes littorales (cas du pin pignon ou de quelques espèces d’Acacia). Certaines espèces ont été introduites pour l’ornementation ou la production d’huile, comme c’est le cas du ricin. La production d’huile de ricin semble perdue, mais l’arbre (origine tropicale) présente un caractère invasif. Il pousse surtout le long des cours d’eau, au bord des routes ou parfois même dans les champs de culture. On le rencontre un peu partout en Tunisie, du nord du pays jusqu’aux oasis.

Plantules de Ricin, germées au-dessous d’un arbre

Les raisons justifiant l’introduction du tabac glauque (ou arborescent) ne sont pas claires. Cette plante n’a en effet aucune utilisation connue en Tunisie. Cette espèce, souvent d’une hauteur de l’ordre de quatre mètres, est originaire du Mexique et du sud-ouest des Etats-Unis. On la voit un peu partout en Tunisie, du nord au sud. Elle pousse sur les décombres et les terrains en friches.

Le mimosa a été introduit durant la période coloniale à des fins ornementales. Il est surtout présent au nord-ouest de la Tunisie. Cet arbre a aussi été planté dans l’espace forestier, dans quelques localités (Tabarka, Aïn Draham, Nefza). Cet arbre peut dépasser les dix mètres de hauteur et se caractérise par sa croissance rapide. Son feuillage est persistant (espèce verte toute l’année). Ses fruits sont des gousses. Originaire d’Australie, elle pousse en particulier sur les sols sableux. La germination des graines est favorisée par le feu. Le caractère invasif de cette espèce s’est manifesté dans les espaces forestiers où il a été planté. La densité des pieds peut parfois dépasser les 100 au mètre carré, ce qui rend l’éradication de la plante potentiellement difficile. Il faut aussi remarquer que l’arbre produit énormément de graines qui sont souvent transportées par l’eau le long des ravins pour germer par la suite une fois que les conditions leurs sont favorables.

Mimosa invasif, à la lisière d’une forêt

L’ailante est un arbre « urbain ». Il a été planté surtout en ville (Tunis, le Kef, Aïn Draham…). Il a un feuillage caduc (chute des feuilles en hiver). Il est originaire d’Asie (Chine et Taïwan). De croissance rapide, cet arbre peut atteindre 15 mètres de hauteur. Il présente un caractère invasif évident dans les régions citées plus haut. Il se multiplie surtout par graines, mais peut repousser après avoir été coupé. Cette espèce produit des substances qui empêchent la croissance de nombreuses autres plantes. En Tunisie, l’ailante a commencé à envahir l’espace forestier après avoir échappé des jardins où il a été planté, dans la région de Aïn Draham.

Ailante occupant un espace forestier

L’une des espèces d’eucalyptus présente un caractère invasif. En Tunisie, les eucalyptus ne se reproduisent pas dans les espaces où ils ont été plantés, notamment le long des routes. Le caractère invasif des eucalyptus se manifeste au nord-ouest où ils ont été plantés dans le milieu forestier. Cependant, ce caractère semble favorisé après le passage du feu. On peut facilement s’en rendre compte dans les régions comprises entre Sejnane et Aïn Draham.

Terrain incendié entièrement couvert d’eucalyptus

L’épine de Jérusalem est un arbre épineux, introduit comme arbre d’ornement. Originaire d’Amérique centrale et du Sud, il peut atteindre les huit mètres de haut. Son feuillage est caduc, et ses feuilles sont composées de petites folioles. Les branches portent des épines au niveau de chaque nœud et le fruit est une gousse. Cette espèce est invasive en Tunisie centrale et au Sahel.

Gros pieds d’épine de Jérusalem

La liste des espèces invasives ne s’arrête malheureusement pas à celles citées plus haut. Les arbres potentiellement invasifs comprennent le Margousier, certains Prosopis, le Robinier pseudo-acacia, l’Olivier de Bohème et bien d’autres. Une espèce pose déjà de gros problèmes, au moins pour les agriculteurs : la morelle jaune dont l’aire de répartition ne cesse de s’étendre sans qu’il n’y ait le moindre programme pour la surveiller afin d’empêcher son expansion.

Pour ce qui est des arbustes, la plupart des espèces invasives sont de type ornemental. Elles comprennent, entre autres, le Lantana, le Yucca, nombreuses Agave et espèces de cactus… Enfin, la liste des herbacées est beaucoup plus longue.

Pour conclure, disons simplement qu’un programme de surveillance et de suivi des espèces exotiques et invasives devrait être mis en place par les autorités en charge de la gestion de notre patrimoine naturel. Un tel programme pourrait mettre en place des stratégies de lutte contre les espèces installées, mais aussi interdire l’introduction d’espèces connues ailleurs pour leur potentiel invasif.


[1] Voir Le Floc’h E., Le Houerou H. N. & Mathez J., 1990. History and patterns of plant invasion in Northern Africa. In. di Castri F., Hansen A. J. & Debussche M. (eds), Biological Invasions in Europe and the Mediterranean Basin. Monographiae Biologicae, vol 65. Springer, Dordrecht.

[2] Sur l’introduction des Eucalyptus en Afrique du nord, voir en particulier l’ouvrage de Diana K. Davis, 2012. Les mythes environnementaux de la colonisation française au Maghreb. Seyssel, Champ Vallon, 332 p.