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Les zones humides sont définies comme des espaces naturels, couverts totalement ou partiellement d’eau pendant une période déterminée ou durant toute l’année. Ainsi, on distingue de prime abord deux types de zones humides : les temporaires et les permanentes. En fait, il s’agit de dépressions fermées ou débouchant sur la mer, et dont la profondeur est souvent faible.

En Tunisie, les plus grandes zones humides comprennent les Chotts, les sebkhas et les barrages. Les autres zones humides sont constituées par les lacs et barrages collinaires, les cours d’eau, les sources, les estuaires, les salines, les bassins créés pour l’accumulation des eaux pluviales en milieu urbain… Les eaux de drainage des oasis peuvent former des zones humides permanentes, fréquentées surtout par des oiseaux d’eau.

Les zones humides sont connues pour leur effet régulateur des inondations, car elles absorbent les eaux des crues et les libèrent -après avoir été remplies- lentement sans provoquer de dégâts. D’ailleurs, des inondations enregistrées dans certaines cités sont en partie liées au fait que les zones humides adjacentes ont été totalement ou partiellement comblées pour diverses raisons. Par conséquent, ce qui persiste de ces zones humides, ne peut pas retenir les volumes d’eau reçus. L’eau s’écoule ainsi plus rapidement en surface, d’où les dégâts observés, surtout en milieu urbain.

Les zones humides peuvent contenir des eaux douces, comme les lacs et barrages, des eaux salées ou même saumâtres, comme les lagunes ; espaces séparés de la mer par un cordon littoral, comme au Cap Bon. La plupart des zones humides tunisiennes contiennent des eaux salées (sebkhas et chotts).

Petit lac de montagne

Un autre type de zones humides est peu représenté en Tunisie, celui des tourbières dont la plus connue est celle de Dar Fatma, à Aïn Drahem où une réserve naturelle du même nom a été créée. Malheureusement, après 2011, la clôture de la tourbière a été enlevée par les habitants et le site s’est transformé en pâturage pour les animaux. En outre, des déchets domestiques s’y accumulent. A terme, ce site d’une importance patrimoniale risque de disparaître si aucune action pour le préserver n’est entreprise.

Les zones humides constituent un important réservoir de biodiversité. La végétation qui les borde stabilise les berges (cours d’eau) et constitue un habitat pour de nombreuses espèces (notamment des oiseaux, les amphibiens et d’autres groupes). Nombreuses sont les espèces végétales ou animales qui sont associées à ces zones.

Parmi les espèces végétales ne poussant que dans un milieu humide, citons :

  • Parmi les arbres, l’orme champêtre, l’aulne glutineux, le laurier rose, les peupliers blanc et noir, la vigne non cultivée, le tamaris, même si ce dernier peut pousser loin de l’eau
  • Parmi les arbustes, citons les joncs, la canne de Provence, le phragmite, les typhas…
  • Des herbacées, comme les potamots, les lentilles d’eau, les prêles, scirpes, renoncules, fougères…

Parmi les arbustes et les herbacées, plusieurs espèces jouent un rôle écologique important comme l’épuration biologique des eaux. Certaines parmi elles sont utilisées à cet effet.

Renoncule occupant la surface d’une petite zone humide

De nombreuses espèces animales dépendent des zones humides pour accomplir une partie ou la totalité de leur cycle de vie. Les espèces qui ne vivent qu’en milieu aquatique comprennent les poissons, certains crustacés, les mollusques, les oiseaux d’eau, les amphibiens et certains mammifères. Celles n’ayant besoin d’eau que pendant une partie de leur cycle comprennent des insectes, certains reptiles…

Les espèces les plus connues pour fréquenter les zones humides sont les oiseaux d’eau. Ils sont présents en nombre pendant l’hiver, car ils comprennent un grand nombre d’espèces migratrices qui passent la saison froide en Tunisie. Les oiseaux d’eau qui se reproduisent dans notre pays sont dispersés le long des zones humides permanentes.

Parmi les oiseaux se reproduisant dans les zones humides tunisiennes, de nombreuses espèces fréquentent les salines. Cependant, certaines se reproduisent le long de certains cours d’eau (comme le Martin-pêcheur d’Europe), les retenues d’eau douce (telle que l’Erismature à tête blanche ou la Sarcelle marbrée), pour ne citer que quelques espèces dont le statut de conservation est préoccupant au niveau global.

Parmi les espèces intéressantes -en dehors des oiseaux- citons les poissons d’eau douce habitant les sources chaudes, notamment au sud de la Tunisie.

Nous ne savons pas si ces espèces existent encore ou pas, car plusieurs de ces sources ont tari.

Grèbe castagneux, une espèce assez commune

La loutre d’Europe est le seul mammifère qui habite nos zones humides. Elle atteint en Tunisie sa limite de distribution au Maghreb. Cette espèce qui se nourrit essentiellement de poissons s’est beaucoup raréfiée, en raison de la destruction de ses habitats et de la détérioration de leur qualité. En effet, la loutre a besoin de vivre dans un environnement peu perturbé, non pollué et d’une végétation bien fournie sur la bordure des milieux qu’elle habite. Elle a tendance à se confiner dans les retenues des barrages où la nourriture est abondante, mais elle est parfois piégée par les filets des pêcheurs.

Une espèce mérite une attention particulière. Il s’agit du crabe d’eau douce, représenté en Tunisie par une seule espèce. Ce crabe revêt pour nous une certaine importance, puisqu’il s’agit d’une endémique maghrébine. En Tunisie, ce crabe vit le long de cours d’eau et dans des sources. Ses densités sont le plus souvent faibles. Connu dans le temps du nord de la Tunisie jusqu’à Gafsa, l’espèce semble voir son aire de distribution se restreindre, comme constaté au Maroc, par exemple. Elle est victime de la pollution de l’eau et de la détérioration de sa qualité.

Crabe d’eau douce

Un groupe intéressant est signalé à titre indicatif, celui des Triops. Il s’agit de petits crustacés d’eau douce vivant dans les mares temporaires. Ces animaux sont considérés comme des fossiles vivants, en raison de leur ressemblance avec des fossiles âgés de plus de 200 millions d’années. Ce sont des carnivores de petite taille, qui contribuent au contrôle des populations des larves de moustiques. Ces animaux disposent de trois yeux, d’où leur nom. Ils ont un mode de vie très particulier. En effet, comme ces animaux vivent dans des mares temporaires susceptibles de s’assécher, les œufs déposés par les femelles ont besoin d’être asséchés avant d’être immergés dans l’eau. Ils peuvent rester ainsi dans le sol pendant 20 ans pour éclore quand survient un événement pluvieux. En Tunisie, on a recensé trois espèces répertoriées au nord et au centre du pays.

Triops

Dépotoirs à ciel ouvert

Les agressions subies par les zones humides sont si nombreuses, qu’il est difficile de les inventorier de manière détaillée. Nous nous limiterons à quelques aspects affectant sérieusement le fonctionnement normal de ces étendues.

Il y a d’abord le colmatage et la réduction de l’étendue des zones humides, notamment par des dépôts physiques de nature diverse. En effet, les matériaux de construction par exemple sont déposés en quantité dans plusieurs zones humides, surtout celles proches des milieux urbains. Ces dépôts réduisent les espaces que peut occuper l’eau et réduit ainsi les volumes d’eau pouvant être retenus.

Des zones humides sont également utilisées comme dépotoirs pour les déchets domestiques par plusieurs municipalités. Ces dépôts causent une pollution visuelle ainsi que la pollution des nappes souterraines si le lixiviat parvient à les atteindre. Comme ces déchets sont déposés dans des canaux (en ville) ou des cours d’eau, ils finissent par s’accumuler en mer ou dans des dépressions fermées si le cours d’eau ne parvient pas à la mer. Une fois dégradés, ces produits contenus dans les déchets se retrouvent dans le régime alimentaire des espèces qui s’en nourrissent, notamment les oiseaux…

Certaines zones humides ont été drainées, soit pour la construction, mais également pour la mise en culture (dépressions, lits d’oueds…). Il en résulte le rétrécissement des lits d’oueds qui, en cas de crues, accroît la vitesse de l’eau et par conséquent les dégâts que ces dernières peuvent provoquer, surtout si les cours d’eau sont proches des agglomérations.

Cours d’eau charriant des eaux usées non traitées

Le drainage des zones humides provoque également la perte des espèces végétales qui ont besoin d’eau pour se maintenir, mais aussi les animaux qui y vivent. Ces pertes peuvent être irréversibles surtout si les espèces affectées ne sont représentées que par quelques populations ou parfois même une unique population…

La pollution la plus généralisée des zones humides est de nature biologique ou chimique. Elle est provoquée par les déchets liquides de certaines industries (agroalimentaire, textile). La pollution combinée, biologique et chimique provient des stations d’épuration qui rejettent parfois des eaux non traitées dans des cours d’eau qui parviennent parfois en mer. Cette pollution est assez étendue dans l’espace et il est difficile de la cerner dans sa totalité. Citons pour exemple la station d’épuration de Béja qui déverse ses eaux dans l’oued qui porte le même nom et qui finit par échouer dans le barrage de Sidi Salem. Le long du parcours de l’oued, l’eau a une couleur noire et, même si un couvert végétal dense couvre son parcours (Typha, tamaris), les eaux déversées ne sont pas totalement épurées et finissent par polluer le barrage.

Une autre forme de pollution est en voie d’extension, celle engendrée par les produits chimiques utilisés en agriculture. Ces produits sont de nature très diverse : insecticides, fongicides, herbicides… Nos agriculteurs ont tendance à en user et abuser sans se soucier de l’impact que peuvent avoir ces produits sur l’environnement et la santé humaine. Un fait semble être ignoré par les utilisateurs de ces pesticides, à savoir la multi-résistance des organismes biologiques aux molécules utilisées. En effet, certains insectes sont devenus résistants à plus d’une centaine de produits chimiques. Bref, les produits utilisés en agriculture fragilisent les écosystèmes et affaiblissent leur résilience face aux perturbations qu’ils peuvent subir. Ils finissent par affecter non seulement les animaux qui les ingèrent, mais peuvent également se retrouver dans notre nourriture. Comme ils s’accumulent le long des chaînes alimentaires, ils finissent par se concentrer dans le corps des animaux se trouvant au sommet des réseaux trophiques comme les humains. Et parmi les effets les plus graves recensés, on relève les cancers.

Pour résumer, les zones humides sont l’objet de plusieurs formes de pollution, dont certaines ne sont ni visibles ni prises en compte par les différents acteurs de l’environnement. L’absence de contrôle et de mesures régulières des taux de polluants dans les zones humides expose tous les organismes vivants à leurs dangers. Reste à espérer qu’une conscience citoyenne de ces enjeux puisse inciter à l’action, pour mettre fin aux agressions subies par notre environnement.