Les changements climatiques sont une réalité en Tunisie comme dans le reste du monde. Leurs manifestations extrêmes sont observées un peu partout autour du globe. De temps à autre, des inondations frappent des pays, sur différents continents (Afrique, Asie, Europe, Amériques, Australie…). Les sécheresses déciment récoltes et bétail, laissant les populations qui en dépendent dans des situations déplorables. Ces effets sont aggravés par l’insécurité et les conflits. Les difficiles conditions de vie des populations les poussent à des migrations forcées (migrations climatiques).
La Méditerranée est considérée comme un point chaud des changements climatiques. En effet, les émissions des gaz à effet de serre sont transportées par les courants atmosphériques pour ne pas rester sur leurs lieux d’émission. Les pays émetteurs peuvent se voir épargnés par les impacts les plus négatifs des changements climatiques.
Autour de nous, des inondations ont frappé plus d’un pays et ont causé des dégâts innombrables et beaucoup de pertes en vies humaines (Libye, Algérie, Grèce…). Les sécheresses prolongées rendent la vie de plus en plus difficile aux agriculteurs et éleveurs de bétail. Nombreux sont alors ceux qui abandonnent leurs activités, tentent de diversifier leurs sources de revenus ou optent pour d’autres alternatives, comme la recherche d’emploi dans des régions voisines, l’exode ou la migration.
S’il est vrai que les changements climatiques se traduisent par une hausse des températures et une baisse des précipitations, ils affectent cependant tous les aspects de la vie dans les régions impactées. Si les zones rurales sont plus vulnérables aux impacts, les villes ne sont pas épargnées. En effet, des îlots de chaleur peuvent s’y former, rendant la vie difficile aux habitants pendant les périodes de canicule. Dans les cités, ce sont les pauvres, les enfants et les personnes âgées qui sont les plus vulnérables à l’impact des changements climatiques.
Pour résumer, disons que les changements climatiques affectent tous les aspects de la vie et touchent tous les milieux (marins, terrestres, environnements humains…). Dans cette série d’articles, nous traitons des différentes formes d’adaptation de l’environnement humain, des écosystèmes naturels et de l’agriculture, afin de faciliter la vie dans des conditions climatiques stressantes.
En milieu urbain
Les îlots de chaleur se forment dans les espaces urbains. Ils résultent des températures excessives, de l’absence de couvert végétal et de circulation de l’air. Pour limiter leurs effets, une solution simple devrait être adaptée, à savoir la plantation d’arbres dans les espaces non couverts. Les arbres plantés peuvent être en alignement ou en bosquets, pour constituer des mini-forêts.
Il a été démontré qu’un couvert végétal dense atténue la température de l’air. Les arbres plantés doivent donc fournir de l’ombre et avoir un feuillage le plus dense possible afin de couvrir le maximum d’espace. En Tunisie, rares sont les espaces urbains présentant un couvert végétal dense. Les arbres sont souvent espacés. Idéalement, la stratégie suivante devrait être adoptée :
- Planter des arbres rapprochés et les diversifier,
- Recourir à des espèces à longue durée de vie ne demandant pas beaucoup d’entretien,
- Opter pour des espèces locales ou bien acclimatées à nos conditions (besoins réduits en eau et n’ayant pas un caractère invasif).
Un changement des espèces plantées en milieu urbain devrait être adopté. En effet, des espèces largement distribuées et ne procurant que peu d’ombre devraient être changées. C’est surtout le cas des palmiers qui, nous l’avons vu, étaient vulnérables à l’introduction du charançon rouge, surtout lorsqu’ils sont plantés seuls (cas de plusieurs rues à la capitale ou à Bizerte). Le cas des Ficus est lui aussi problématique. Une espèce a été largement plantée un peu partout en Tunisie. Or un insecte défoliateur (s’attaque au feuillage) a commencé à se répandre et risque de décimer les Ficus surtout s’ils ne sont pas alternés avec d’autres espèces d’arbres.
Etrangement, les arbres d’alignement en Tunisie sont presque tous exotiques (Ficus, Jacaranda, palmiers, faux poivrier…). Ceci est probablement lié au fait que les anciennes villes ne contenaient pas d’arbres. Leur architecture (ruelles étroites et parfois couvertes) ne permettait pas la plantation d’arbres dans les rues. On le voit clairement dans les anciennes médinas (Tunis, Sousse, Kairouan…). Historiquement, les villes modernes ont émergé avec la colonisation, et les colons ont introduit des espèces européennes (comme le platane, le frêne ou encore le chêne vert à Tunis), mais aussi des arbres d’autres origines (eucalyptus, chêne soyeux d’Australie, margousier, mimosa, ailante, acacias, robinier faux-acacia…). Après le départ des colons, la tendance est demeurée pratiquement la même dans les villes et villages tunisiens. On note quelques exceptions, comme la plantation du bigaradier (introduit lui aussi) dans certaines villes ou aussi l’olivier devant les nouvelles maisons, notamment au Sahel. Rares sont les paysages où on voit des espèces locales orner les rues ou les rares jardins (comme les pins ou le micocoulier). A ce propos, une remarque s’impose, à savoir que les micocouliers, frênes ou ormes plantés dans quelques villes et villages (qui existent en Tunisie) pourraient avoir une origine étrangère !
Parmi les arbres, les espèces locales pouvant être plantées en alignement peuvent comprendre les pins (y compris le pin pignon), le gommier, le micocoulier, le houx, les chênes zéen, vert et kermès (sous forme arborescente), l’érable… Dans les régions arides, le gommier et le jujubier arborescent conviennent très bien. La seconde espèce est peu présente dans certaines villes et villages. Ceci pour dire simplement que dans notre patrimoine, il y a des espèces d’arbres pouvant être plantées en milieu urbain. C’est une façon de les valoriser et de les préserver.
Les mini-forêts sont de petits espaces plantés d’essences forestières, formées surtout d’arbres et d’arbustes sans agencement particulier. Ces petits espaces procurent plusieurs services, dont la conservation de la biodiversité, la production d’oxygène, l’ombre, comme ils peuvent constituer des espaces de jeux et de détente pour les habitants à proximité. Ces espaces peuvent être plantés en utilisant directement des graines et sans travailler les sols. Nous ne connaissons pas d’expériences particulières en Tunisie ou en Afrique du Nord, mais cette pratique s’est développée en Asie et en Europe.
Les toitures vertes permettent de réduire les températures des immeubles dont les toits sont couverts. Les plantes utilisées peuvent être de nature très diverse : espèces maraîchères, ornementales, aromatiques… Les toitures boisées sont pratiquées sur des immeubles disposant d’espace pour ce genre d’aménagement. Les sols placés au-dessus des toits ont un effet tampon et permettent de réduire la température dans les établissements ou habitations situés au dernier étage des immeubles. A ce niveau, de nombreuses expériences ont été menées autour du monde (Asie, Europe, Amériques). Les activités de jardinage en particulier permettent une socialisation surtout pour les enfants et le voisinage. Ils assurent le tissage de liens sociaux et établissent des relations de confiance entre des personnes qui habituellement s’ignorent. En outre, une nouvelle relation s’établit ainsi entre les citadins et le végétal.
Les immeubles verts constituent une nouvelle composante des paysages urbains dans certaines villes, notamment en Asie. Il s’agit en fait d’une intégration du végétal dans les constructions, surtout des immeubles. Le choix des espèces est déterminant dans cette situation. Il y a en effet des immeubles où les plantes installées n’ont pas pu tenir, simplement parce qu’elles étaient mal choisies, et car elles exigent des soins et surtout un apport d’eau d’irrigation. Ce genre de problème peut être contourné si les plantes peuvent résister à de longues périodes de sécheresse et n’ont pas besoin de beaucoup d’eau, comme les Crassulaceae (plantes grasses), les plantes à bulbes ou celles dont le cycle de végétation correspond à la saison des pluies (plantes annuelles).
Pour réduire les effets dévastateurs des inondations, plusieurs villes optent pour le recueil des eaux pluviales dans des bassins réalisés à cet effet. L’eau stockée peut servir à l’arrosage des jardins par exemple.
Les eaux excédentaires peuvent également être stockées dans des citernes. D’ailleurs, les anciennes villes en disposent, mais ces citernes devraient être réhabilitées après avoir été localisées. Il est difficile d’envisager une réutilisation des anciennes citernes, mais la construction de nouvelles devrait être envisagée.
Une cartographie des zones urbaines sensibles aux inondations est nécessaire pour envisager des interventions en amont, afin de réduire les risques et les pertes potentielles. Comme cela a été fait pour les zones côtières, une telle cartographie peut aider à la prise de décision en situation de crise ou encore à envisager des plans d’aménagement pour atténuer les conséquences des inondations.
La pollution de l’air en milieu urbain peut être atténuée en favorisant les transports collectifs aux dépens des transports particuliers. Il y a lieu de rappeler que le secteur du transport est l’une des principales causes d’émission des gaz à effet de serre. La Tunisie a accusé un grand retard dans ce sens, et est même allée dans le sens contraire de cette orientation. Pourtant, on sait depuis la Conférence de Rio (1992) que les transports collectifs peuvent contribuer à réduire les émissions de gaz carbonique… De grands efforts sont à consentir sur ce plan.
La mise en place de systèmes d’alarme précoces sur les risques encourus par les populations en raison des changements climatiques (canicules, inondations, incendies) est une nécessité. Ces systèmes d’alerte peuvent concerner plus d’un secteur (installations humaines, agriculture, santé…). Ils sont d’une grande importance pour éviter des drames, comme c’était le cas en Libye en septembre 2023 lors des inondations qui ont affecté l’Est du pays.
Il reste encore des pistes à creuser en lien avec les différents impacts des changements climatiques sur les citadins, notamment en matière de santé, de transport, d’énergie…
En milieu rural
Cet espace est encore plus vulnérable que l’espace urbain. Le manque de services de qualité et la détérioration de la qualité de la vie de ses habitants les poussent à l’exode voire même à une migration forcée. Depuis quelques décennies, le solde migratoire des zones rurales est négatif. Cette migration est une dynamique enclenchée avant que le discours sur les changements climatiques ne prenne place. On ne peut pas laisser les ruraux en situation de vulnérabilité. Il est clair que l’amélioration de leurs conditions de vie est susceptible de les maintenir dans leurs lieux de vie.
Dans des conditions de sécheresse extrême et de hausse des températures, l’assurance de conditions de vie décentes est la condition pour éviter l’exode ou la migration. On ne peut pas envisager un espace rural vidé de ses habitants.
Bref, un accès à l’eau potable, à l’électricité et aux services, constituent les conditions minimales permettant aux populations rurales de rester dans leurs régions. Or le problème majeur de l’espace rural est qu’il est mal pourvu en services minimaux.
L’accès à une énergie propre (solaire) peut améliorer la résilience des foyers aux effets de la chaleur (accès à la climatisation et réduction de la facture énergétique). L’énergie solaire est exploitée dans plusieurs zones rurales en Tunisie. Elle est surtout utilisée pour le pompage de l’eau en agriculture. La gratuité de l’énergie est à l’origine de nombreux excès. En effet, les exploitants agricoles disposant d’énergie solaire ont tendance à pomper l’eau en continu et l’utiliser en irrigation. Il en est résulté une surutilisation de l’eau avec ses conséquences sur le rabattement des nappes. L’excès d’eau ne bénéficie pas évidemment aux cultures, car il a été constaté que des cultures périssent par excès d’eau, notamment dans certaines oasis.
L’accès à l’eau devrait être garanti, notamment par l’assainissement de la situation administrative et financière des GDA (groupements de développement agricole) qui gèrent les réseaux d’eau potable en milieu rural. Les dysfonctionnements des GDA ont éclaté au grand jour dès 2011, date où leur couverture politique a disparu. Les coupures d’eau se sont alors multipliées et ont été à l’origine de plusieurs mouvements sociaux. La situation s’est par la suite apaisée sans que les habitants soient à l’abri de nouveaux problèmes d’approvisionnement en eau. Parmi les conséquences de la non-disponibilité de l’eau en milieu rural, figurent l’apparition des marchands de l’eau et le recours des populations à des sources non conventionnelles d’eau potable. L’utilisation des eaux non contrôlées a été à l’origine de la contamination des usagers par des germes provoquant des maladies, en particulier l’hépatite A. Cette maladie s’est parfois propagée dans le milieu scolaire. Chose qui a poussé les autorités à fermer les écoles touchées. Ces complications peuvent facilement être évitées si l’eau consommée était exempte de germes.
Une autre alternative pour l’eau potable est la construction d’une citerne dans les foyers. Son principe est simple et fait partie de nos traditions. D’ailleurs, la plupart des foyers en disposent, dans les régions arides. C’était aussi la règle en milieu urbain avant la généralisation des réseaux de distribution. La construction des citernes dans l’espace urbain semble circonscrite dans la ville de Sfax et au sud de Mahdia. Dans ces régions, le recours aux citernes ne semble pas poser un problème d’hygiène. Par contre, des travaux ont montré qu’en milieu rural, dans la région de Kairouan, la plupart des citernes analysées sont contaminées par des microbes pouvant affecter la santé de ceux qui consomment leurs eaux. Autrement, si on opte pour la généralisation du recours aux citernes pour la collecte des eaux pluviales, on doit vulgariser les techniques de décontamination de l’eau, pour éviter l’apparition de maladies liées à la consommation d’eau contaminée.
En milieu rural, l’ombre est une nécessité dans les espaces d’activités et de repos. Planter des arbres à longue durée de vie et procurant de l’ombre est une sage stratégie qui devrait être adoptée par les habitants. Habituellement, les ruraux plantent des arbres à côté de leurs maisons. Cependant, les habitations de ceux qui pratiquent l’élevage en sont souvent dépourvues. Des efforts devraient être fournis pour que les arbres soient une composante dominante de l’espace habité en milieu rural.
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