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Les changements climatiques représentent un enjeu majeur pour l’agriculture. D’autant plus que le secteur est non seulement affecté par la baisse des précipitations et la hausse des températures, mais aussi par d’autres phénomènes que nous exposerons par la suite. Comme le pays vit en situation de stress hydrique permanent (moins de 500 m3 d’eau par personne par an), le défi de ce secteur est de garantir une production suffisante pour nourrir la population. L’agriculture pluviale, c’est-à-dire celle qui dépend des précipitations annuelles, ne sera plus possible dans les régions où les volumes de pluie auront diminué sous le seuil en deçà duquel les rendements deviennent si faibles qu’ils ne valent pas d’être tentés. Ces régions sont surtout situées dans le centre et le sud du pays. Les principales cultures ciblées par ce phénomène sont les céréales et les cultures fourragères. Pour qu’une agriculture pluviale soit possible, une sélection de variétés moins exigeantes en eau et pouvant supporter de hautes températures est indispensable. Ce scénario est peu probable au rythme où vont les choses…

Agriculture pluviale en terrasses, Gafsa

Sélectionner des semences capables de supporter une sécheresse prolongée concerne pratiquement tous les types de culture. Nous avons le plus besoin de variétés culturales capables de s’adapter aux conditions changeantes de notre environnement. Continuer à recourir aux semences sélectionnées notamment par les multinationales revient simplement à la perte de toute capacité de résilience de notre système de production agricole.

Depuis quelques années, il y a eu en effet un retour aux semences qualifiées de locales. Ces semences sont tout simplement libres de tout droit de propriété intellectuelle, comme l’exigent les semenciers et l’UPOV (organisme chargé de défendre la propriété intellectuelle sur les semences). La multiplication de ces semences chez les producteurs permettrait de sélectionner des souches ou variétés capables de se maintenir dans des conditions de stress. Cet effort de sélection doit être présent dans les esprits pour garantir de bons résultats. Nous reviendrons sur ce sujet.

L’allocation des ressources hydriques

Si les projections futures prédisent un accroissement des besoins en eau pour l’agriculture, surgit directement une question : si ce secteur consomme aujourd’hui plus de 80 % des ressources hydriques, peut-on se permettre de lui accorder encore plus d’eau? La réponse est évidemment négative. D’ailleurs ce chiffre doit être revu à la baisse, simplement parce qu’une part de l’eau est destinée à des cultures gourmandes en eau et qui ne constituent pas une source principale pour notre alimentation. L’eau profite également aux cultures industrielles comme les tomates et le piment qui ne sont pas non plus des composants majeurs de notre alimentation. Il n’y a pas très longtemps, nous ne consommions pas autant de tomates en conserve, et il vaut mieux réduire notre consommation de ce produit.

Les agriculteurs disposant de l’eau pour l’irrigation ont tendance à croire que l’augmentation des volumes d’eau en irrigation pourrait compenser la baisse des précipitations. Or, l’augmentation de la température ne peut pas être compensée par l’eau. Lorsque la température dépasse un certain seuil, la chute de la production ne peut pas être compensée par un apport d’eau. Le facteur limitant de la production ne devient pas l’eau, mais plutôt la température.

Il est clair que le rendement de nombreuses cultures est appelé à diminuer sous l’effet des changements climatiques. Les céréales et la tomate, par exemple, verront leurs rendements diminuer avec la hausse des températures. Si on continue à utiliser les mêmes types de semences dans les mêmes conditions de production, nous ferons face à cette situation. Par conséquent, notre dépendance à l’importation de denrées alimentaires augmentera dans les prochaines décennies.

Si tel est notre sort, il vaut mieux anticiper et orienter nos efforts de production vers les denrées de base dont nous aurons besoin pour notre alimentation. L’année 2023 a été l’une des plus dures dans notre histoire récente, avec des pénuries graves en produits de base. Et la crise continue avec la baisse de la production de l’année passée et le retard des pluies d’automne. Le secteur de l’élevage a également été durement frappé surtout que les prix de l’aliment pour bétail ont sans cesse augmenté. Nous vivrons les conséquences de cette sécheresse des années durant, ce qui devrait nous inciter à changer d’orientation en matière de production agricole. Notre priorité doit être de satisfaire nos besoins et non de répondre aux impératifs des marchés mondiaux.

D’autres phénomènes liés à la production agricole sont attendus, comme l’avancement de la floraison de l’olivier. Cette précocité a été de 25 jours -enregistrée à Zarzis-, en plus de la diminution des rendements de cette culture. Il est aussi prévu un raccourcissement de la durée de la saison des cultures du blé et de la tomate.

Il reste un autre problème majeur auquel nous aurons à faire face : l’incapacité de certaines cultures de fleurir en raison des hausses de température. En effet, l’olivier, l’amandier et le pistachier ont besoin de quelques jours de froid pour pouvoir fleurir. Plus au sud de Sfax, ces besoins en froid risquent de ne pas être satisfaits tous les ans. Par conséquent, il a été recommandé de sélectionner des variétés pouvant produire dans les conditions locales de ces régions. Les zones d’altitude deviennent davantage favorables à ces cultures.

Il reste que la tolérance des cultures hyper intensives pratiquées un peu partout dans le pays devrait être revue. Ces cultures sont très gourmandes en eau et ne sont pas destinées à répondre aux besoins locaux. Leurs exploitants sont souvent des investisseurs (acteurs économiques dont les revenus sont indépendants de l’agriculture) et non des agriculteurs. Ce type d’agriculture est très vulnérable aux changements climatiques et au stress, simplement parce qu’il est basé sur la monoculture.

Xylella fastidiosa est une bactérie à laquelle l’olivier est sensible. Apparue il y a quelques années en Italie et en Corse, elle a poussé les autorités à arracher les oliviers infectés, pour arrêter la propagation de ce pathogène. Des travaux ont montré que cette bactérie est favorisée par les changements climatiques. Le problème lié à cette bactérie est qu’elle peut être présente dans une trentaine d’espèces, voire plus (tels que romarin, laurier rose, amandier, vigne, prunier…). L’introduction d’une espèce hébergeant cette bactérie peut provoquer sa dissémination, d’où la difficulté à la contrôler.

Les changements climatiques risquent de voir la propagation d’espèces qui pourront porter préjudice à la production agricole. Avec la mondialisation des échanges, des animaux ou plantes d’origine variable pourraient atteindre le pays et y proliférer, notamment dans les exploitations agricoles. Nous évoquons ici les espèces invasives dont le nombre ne cesse d’augmenter avec le temps. L’expérience a montré notre incapacité pour en venir à bout. La détection du charançon rouge et le plan de lutte qui lui a été réservé n’a empêché ni son expansion ni son maintien. De même pour ce qui concerne la cochenille du cactus dont l’étendue ne cesse de s’accroître malgré tout ce qui a été déployé pour la confiner… On ne peut tout simplement qu’espérer qu’un organisme chargé de détecter et suivre l’évolution de l’expansion des espèces invasives soit mise en place. La lutte contre ces espèces devrait être coordonnée pour pouvoir la mener à bien. D’ailleurs des espèces invasives existent déjà et sont en train de s’étendre aux dépens des agroécosystèmes, comme la morelle jaune, installée en Tunisie depuis des décennies.

Terrain agricole entièrement couvert par la morelle jaune, une espèce invasive, Sbikha

Le renforcement de la résilience des systèmes de production agricole passe en partie par la diversification des cultures au sein du même champ. Cette diversité confère au système une meilleure capacité de résistance aux agents stressants. A l’opposé, la monoculture est très vulnérable à la propagation des agresseurs. On le voit souvent dans les vergers où ne sont plantés qu’une seule espèce ou des espèces apparentées (cas du feu bactérien qui a attaqué les vergers de poirier en 2013).

Palmeraie en monoculture, Jemna

Techniques adaptées

La résilience des foyers dépendants de la production agricole passe par la création de nouvelles activités génératrices de revenus en dehors du secteur agricole en milieu rural. Ce genre d’objectif n’est pas facile à atteindre au vu de la capacité de l’espace rural à diversifier les activités économiques en son sein.

Concernant la production agricole en elle-même, plusieurs techniques peuvent être adaptées, telles que :

  • La promotion de l’agroforesterie dans les parcours et les terrains de culture, pour accroître leur résilience et avoir un effet tampon sur les extrêmes thermiques,
  • Une perturbation mécanique minimale du sol (zéro-labour ou labour minimum), associée à une couverture organique permanente du sol. Cette technique permet d’accroître la rétention de l’eau par le sol et la productivité des cultures,

Les engrais verts, comme les légumineuses (vesces, sulla…) permettent d’enrichir le sol en azote que ces plantes sont capables de fixer dans leur système racinaire à partir de l’air.

  • Favoriser la rotation des cultures. Une expérience au Maroc a montré que la rotation blé–pois chiche ou quinoa ont produit 230 % de plus qu’un système sans rotation,
  • L’élagage du bois de taille sous les arbres fruitiers (et de l’olivier) permet de réduire la fluctuation des récoltes et améliore la teneur en eau du sol. Il faut remarquer ici que le bois de taille devrait être broyé pour qu’il ne soit pas un foyer d’infestation pour les vergers où il est élagué,
  • L’utilisation de semences à cycle court et des ressources génétiques locales. Ceci permet de garantir la sélection chez le producteur de variétés locales résilientes,
  • La promotion des brise-vent, afin de réduire l’évapotranspiration des cultures (perte d’eau par évaporation et transpiration) …
Pâturage en milieu forestier. Remarquer l’absence de couverture du sol

L’adoption d’un système mixte élevage–culture assure une meilleure résilience du système de production. Il permet le recyclage de la matière organique, de diversifier la production agricole et d’utiliser les déjections animales comme source d’engrais pour le sol. Ce mode de production est « traditionnel » en Tunisie. Il est maîtrisé par les petits producteurs, mais a été abandonné dans plusieurs régions.

Comme indiqué, dans un article précédent, l’élevage extensif exerce une pression notable sur les parcours naturels et a abouti à leur dégradation. Les modes de gestion traditionnels des parcours ont été abandonnés, ce qui limite la capacité des milieux à se régénérer. Une amélioration pastorale accompagnée par une réduction de la pression et un contrôle des effectifs animaux peut assurer la durabilité des parcours et renforcer leur résilience aux effets négatifs des changements climatiques. Ceci exige une gestion concertée de ces espaces entre l’administration et les éleveurs, simplement parce que la plupart des terrains en question sont du domaine public.

La question de l’agroécologie, en tant que mode de production agricole alternatif, sera développée dans un article qui suivra.

Conclusion

Faire face aux conséquences subies des changements climatiques et prendre des mesures pour s’y adapter n’est pas un choix. Il s’agit d’une stratégie de survie. Le refroidissement de la planète passe par une réduction drastique des émissions des gaz à effet de serre. Cette option n’est pas acceptée par les pays du Nord dont l’économie est largement dépendante des hydrocarbures fossiles. Suite à la guerre en Ukraine, plusieurs pays ont annoncé le retour à l’utilisation du charbon, pourtant plus polluant que le pétrole ou le gaz. Des groupes d’activistes appellent à une planète sans énergie fossile. Mais cette option est loin d’être atteignable à court ou moyen terme.

Dans ce qui a été exposé plus haut, nous avons tenté de répondre à une question lancinante : quelles formes d’adaptation pourrions-nous adopter pour que notre agriculture soit la plus résiliente possible aux effets négatifs des changements climatiques ? Les pistes développées constituent des voies possibles et perfectibles que nous pouvons adopter et adapter à nos conditions. Dans notre patrimoine figurent plusieurs expériences que nous pouvons développer, à la lumière des connaissances et des contraintes actuelles.