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L’endémisme est défini comme étant la présence d’une espèce (animale ou végétale) dans un espace géographique restreint et qui le caractérise. Autour du monde, les zones d’endémisme sont qualifiées de « points chauds » (hotspots) de la biodiversité. Elles correspondent aux zones où le nombre d’espèces propres est élevé. Ces espaces correspondent, entre autres, aux forêts tropicales, zones montagneuses, îles, déserts… Dans ce qui suit, nous nous focalisons sur les espèces endémiques se trouvant en Tunisie, c’est-à-dire celles dont la distribution géographique globale est réduite et pour lesquelles la Tunisie assume une grande responsabilité pour leur conservation. Nous présentons également les espèces endémiques du Maghreb ou celles spécifiques à des régions voisines.

La Tunisie fait partie de l’espace méditerranéen, considéré comme un des points chauds de la biodiversité au niveau global. Le tableau suivant montre le nombre d’espèces endémiques du bassin méditerranéen[1].

Nous devons préciser d’abord que nous traiterons dans ce qui suit des Vertébrés terrestres vivant en Tunisie et se trouvant dans les pays voisins. Globalement plusieurs types d’endémismes peuvent être définis :

  • Des endémiques de la Tunisie,
  • Des endémiques algéro-tunisiennes,
  • Des endémiques maghrébines (du Maroc à la Libye),
  • Des endémiques de la Méditerranée occidentale (partagées avec des pays européens proches),
  • Des endémiques du nord du Sahara (entre l’Egypte et la Mauritanie).

Les endémiques tunisiennes

Elles sont peu nombreuses et comprennent uniquement deux espèces, décrites de la Tunisie : un Rongeur, la gerbille de James, connue d’une zone comprise entre Bou Ficha et Enfida[2] et décrite depuis 1967. La seconde est un Reptile, la vipère de Böhme, décrite en 2010 à partir d’un spécimen capturé à Beni Khedèche, au sud de la Tunisie[3]. Il faut remarquer tout de suite que ces deux espèces sont connues uniquement par ceux qui les ont décrites. Les stations de présence ne nous sont pas connues et à notre connaissance, aucun effort de recherche de ces endémiques tunisiennes n’a été entrepris. En outre, ces espèces ne semblent pas constituer un souci pour ceux chargés de la conservation dans le pays.

Les endémiques algéro-tunisiennes

Il s’agit de sept espèces comprenant uniquement des Amphibiens et des Reptiles. Deux espèces d’Amphibiens appartiennent à cette catégorie : le pleurodèle nébuleux et la rainette de Carthage. La première espèce est le seul amphibien disposant d’une queue chez les adultes. La seconde est la seule grenouille capable de grimper sur des supports verticaux. Les deux espèces sont essentiellement confinées dans les régions les plus pluvieuses du pays, à savoir le nord-ouest. Leur aire de distribution était plus étendue le siècle dernier, mais de nombreuses populations ont été décimées à cause de la destruction de leurs habitats (défrichements, extension urbaine, incendies…).

Pleurodèle nébuleux

Les Reptiles sont représentés par cinq espèces de lézards : l’agame de Tourneville, la tarente négligée (espèces sahariennes), l’acanthodactyle de Blanc, le seps de Mertens et le lézard ocellé d’Afrique du Nord. L’écologie de ces espèces et leur distribution sont variables, assez étendues pour certaines (acanthodactyle de Blanc, lézard ocellé d’Afrique du Nord), mais restreintes pour d’autres (seps de Mertens). Elles occupent globalement différents types d’écosystèmes naturels allant du désert de sable aux prairies pérennes. Le seps de Mertens en particulier est le plus vulnérable parmi eux, simplement parce que l’étendue des espaces qu’il occupe est faible et ses populations souvent disjointes.

Seps de Mertens

Les endémiques maghrébines

Le Maghreb est dans ce cadre limité entre le Maroc et la Libye. Les endémiques de cette région comprennent :

  • Parmi les Amphibiens, le crapaud de Maurétanie, une espèce à large distribution en Tunisie et à activité nocturne,
  • Parmi les Reptiles, cinq lézards, un serpent et une vipère. Trois espèces ne sont pas signalées en Libye, donc leur distribution est limitée au Maghreb central (Tunisie, Algérie, Maroc). Dans notre pays, deux espèces ont une distribution restreinte dont une n’est connue que du bassin minier. Les autres ont une distribution plus large dans le pays[4].
  • Des Oiseaux, huit espèces sont limitées à cette région du monde. Certaines ont acquis un statut spécifique après révision systématique des espèces avec lesquelles elles ont été confondues, comme la Chouette du Maghreb ou la Pie d’Afrique du Nord. Toutes ces espèces sont sédentaires, sauf le Gobemouche de l’Atlas qui est migrateur.
Gobemouche de l’Atlas

De ce groupe, seule la Perdrix gambra a une distribution assez large dans la région ou en Tunisie, mais elle subit d’énormes pressions de chasse et de braconnage qui ont déjà décimé de nombreuses populations. Cette espèce a été introduite en Sardaigne et à Gibraltar. De même, l’Outarde houbara demeure menacée dans notre pays et dans la région, en raison de grandes pressions de chasse. L’espèce a d’ailleurs perdu de larges parts de son aire de distribution historique. En Tunisie, la Pie d’Afrique du Nord est très localisée au centre du pays (région de Kairouan). Elle ne subit pas de pression particulière, mais elle a perdu de grandes étendues de son aire de distribution connue il y a un siècle. La Chouette du Maghreb habite les massifs forestiers du nord et de l’ouest, mais peut être observée à proximité des installations humaines. Le Pic de Levaillant et le Gobemouche de l’Atlas sont des habitants des massifs forestiers du nord-ouest, même si la première espèce a une distribution plus étendue, atteignant les forêts de pin de la région de Kasserine. L’état de conservation des populations marginales et leur abondance ne nous sont pas connus. La Fauvette de l’Atlas est plutôt confinée aux zones montagneuses du centre-ouest du pays. Le Rougequeue de Moussier se reproduit dans la moitié nord du pays, mais se déplace en hiver vers des environnements plus doux au sud.

De l’ensemble de ces espèces, seule l’Outarde houbara suscite un intérêt pour les conservateurs.

Pie d’Afrique du Nord

Parmi les Mammifères, il y a la musaraigne de Whitaker, le rat à trompe, la gazelle de Cuvier, le rat rayé, le goundi de l’Atlas, le rat des sables, l’hérisson d’Algérie, la gerbille de Lataste[5].

Dans ce groupe, la gazelle de Cuvier est le plus grand Mammifère endémique de notre région. Elle est connue du djebel Chambi et de la Dorsale tunisienne. Elle a été introduite au cours des dernières années au parc de djebel Serdj où elle a réussi à se reproduire. L’hérisson d’Algérie est surtout présent au nord et au centre de la Tunisie. Il a cependant été introduit aux îles Canaries, aux Baléares, à Malte, en Espagne et en France. Les autres espèces ont surtout une distribution en Tunisie centrale et méridionale, occupant en particulier les zones présahariennes. Ils sont de petite taille et leur écologie est très mal connue (à l’exception du goundi de l’Atlas). Enfin, la musaraigne de Whitaker est surtout connue des pelotes de rejection des rapaces nocturnes, et sa distribution est très mal connue.

Goundi de l’Atlas, jeune et adulte

La gerbille de Lataste était connue pour être endémique de la Tunisie et de la Libye, mais elle a été aussi trouvée en Algérie[6], d’où son statut actuel.


[1] Mittermeier R. A., Turner W. R., Larsen F. W., Brooks T. M. & Gascon C., 2011. Global Biodiversity Conservation: The Critical Role of Hotspots. In. Zachos F. E. & Habel J. C. (eds.), Biodiversity Hotspots. Springer-Verlag, Berlin Heidelberg, pp. 3-22.

[2] Harrison D. L., 1967. Observations on some Rodents from Tunisia, with the description of a new gerbil (Gerbillinae : Rodentia). Mammalia, 31 (3): 381-389.

[3] Wagner P. & Wilms T., 2010. A crowned devil: New species of Cerastes Laurenti, 1768 (Ophidia, Viperidae) from Tunesia, with two nomenclatural comments. Bonn Zoological Bulletin, 57 (2): 297-306.

[4] Nous estimons inutile d’aller trop dans les détails, par la dénomination d’espèces (en latin), peu connues d’ailleurs pour un public non initié. Ceux qui cherchent à en savoir plus peuvent s’orienter vers la littérature spécialisée.

[5] La grande mérione du Maroc est considérée par certains auteurs comme une espèce à part, alors que d’autres le considèrent comme faisant partie de la mérione de Shaw. Voir à ce propos Stoetzel E., Cornette R., Lalis A., Nicolas V., Cucchi T. & Denys C., 2017. Systematics and evolution of the Meriones shawii/grandis complex (Rodentia, Gerbillinae) during the Late Quaternary in northwestern Africa: Exploring the role of environmental and anthropogenic changes. Quaternary Science Reviews, 164: 199-216 et Aulagnier & Thévenot, 1986. Catalogue des Mammifères sauvages du Maroc. Trav. Inst. Sci. Chérifien, 41: 1-163.

[6] Nicolas V., Souttou K., Gouissem K., Doumandji S. & Denys C., 2014. First molecular evidence for the presence of Gerbillus latastei (Rodentia, Muridae) in Algeria. Mammalia, 78 (2): 267-271.