Le frêne dimorphe est une endémique d’Afrique du Nord, présent en Algérie et au Maroc. Il pousse sur du calcaire ou de la silice et se développe bien dans des milieux ouverts et ensoleillés des régions arides et semi-arides. Il n’est pas exigeant en eau et peut supporter de longues périodes de sécheresse. La plante est traditionnellement utilisée pour traiter des maladies (usage médicinal). Ses fruits et graines sont également utilisés comme épices. L’arbre fournit aussi du bois de feu, du bois d’oeuvre et du bois de construction (perches et poutres). En Algérie, il pousse à des altitudes élevées (de 1 800 à 2 200 m dans certaines stations) avec une pluviométrie variante entre 400 et 600 mm/an. Il s’associe au chêne vert, au pistachier térébinthe, au pistachier de l’Atlas et aux genévriers de Phénicie et oxycèdre[1]. L’arbre peut atteindre 6 m de hauteur. Cette espèce est considérée comme étant en danger, en raison des pressions subies (déforestation, surpâturage, collectes abusives…)[2].
Au Maroc où l’espèce existe également, elle est surtout utilisée comme aliment pour le bétail[3]. Des communautés locales ont développé un mode très particulier de gestion de l’arbre. En effet, les habitants façonnent l’arbre en orientant sa croissance vers la production fourragère, consommée directement sur l’arbre ou destiné à la coupe pour être fourni ultérieurement aux animaux. L’arbre peut également être orienté vers la production de perches ou de poutres pour la construction des toits des maisons[4]. Les coupes des tiges pour le fourrage se font tous les quatre ans et n’exploitent qu’une partie des arbres en laissant les autres s’accroître. Les arbres coupés sont protégés par des murs en pierres sèches pour ne pas les laisser exposés au bétail et favoriser leur croissance en hauteur. Les coupes ont lieu entre les mois d’août et novembre pour fournir du fourrage aux troupeaux d’ovins et de caprins[5].
Un autre type de traitement des arbres consiste à laisser les tiges croître jusqu’à l’âge de huit ans pour avoir des diamètres exploitables aux fins voulues[6]. Les troncs issus de la régénération des arbres sont parfois sélectionnés (droits) et attachés les uns aux autres pour pouvoir fusionner par la suite (troncs anastomosés) pour former un seul tronc. Cette technique permet de favoriser le développement de l’arbre et la production de bois destiné aux constructions[7].
L’olivier de Laperrine est une sous-espèce de l’oléastre. Il est signalé ici pour son intérêt écologique et biogéographique. Il est endémique des montagnes du Sahara central. Il est connu du sud de l’Algérie et du Niger. Il est également signalé au Darfour (Soudan). Il peut atteindre une hauteur de 1,5 à 3 m, mais peut monter jusqu’à 7 m. Les pressions du pâturage ne permettent le plus souvent pas à l’arbre de monter au-dessus de 1,5 m. L’olivier de Laperrine vit en altitude, entre 1 400 et 2 800 m, où les précipitations annuelles varient de 50 à 100 mm. Cet arbre est coupé pour le bois de feu. Il constitue cependant une source potentielle pour la création de nouvelles variétés résistantes à la sécheresse de l’olivier[8]. En Algérie, la population est estimée à un ou deux milliers de sujets[9].
Le chêne zeen, ou chêne des Canaries est endémique du Maghreb et du sud de la Péninsule ibérique où les populations sont très disjointes[10]. Il est exigeant en eau et pousse dans des régions recevant plus de 800 mm de pluies par an. En Tunisie, il se trouve essentiellement en Kroumirie et au Mogods. Actuellement, les estimations de son aire de distribution situent sa couverture à environ 8 332 ha à couverture homogène et 13 721 ha en mélange avec le chêne liège et divers pins[11]. Les étendues couvertes de chêne zeen ne cessent de décroître au fil du temps, essentiellement à cause de la pression humaine. Son bois était utilisé dans la confection des traverses de chemins de fer pendant la période coloniale, mais cette pratique a cessé depuis en raison de ses propriétés physiques. Le chêne zeen est surtout débranché par les bergers en automne et en hiver (avant la chute de ses feuilles) pour les donner à consommer en forêt à leur bétail, ce qui défigure les arbres débranchés. Ces pratiques sont très visibles à proximité des agglomérations en forêt. Cette espèce a un rôle patrimonial et assure des services écosystémiques indéniables. En Algérie, le chêne zeen occupe 65 000 ha. L’espèce semble avoir une durée de vie allant jusqu’à 500 ans[12].
Les deux dernières espèces endémiques se trouvant en Tunisie sont l’arich (Algérie, Tunisie et Libye) et l’azel (du Maroc à la Libye). Une troisième espèce du même genre, de plus large distribution, se trouve également au sud de la Tunisie. Ces trois espèces jouent un rôle écologique des plus importants dans les milieux où ils se trouvent : fixation des dunes mobiles, prévention de l’érosion, amélioration du contenu des sols en matière organique[13]… Dans notre pays, l’arich est connu des gouvernorats de Kébili et Tataouine[14]. On le trouve au sommet des grandes dunes. Il a un port arborescent pouvant atteindre 10 m de haut. Ses fleurs sont rouges[15]. À la fin du XIXe siècle, il était localement abondant, mais il s’est considérablement raréfié en Tunisie saharienne[16]. Son bois est très recherché pour le charbonnage[17]. Le statut spécifique de cette espèce a été confirmé par des études génétiques[18].
L’azel est un petit arbre ou arbuste de 2 à 3 m de haut qui colonise les grandes dunes et les espaces inter dunaires[19]. Il est connu de Tataouine et de Kébili[20]. Il est dépourvu de feuillesavec des fleurs blanches et des tiges succulentes (lorsqu’elles sont jeunes) et peut atteindre une hauteur de 5,5 m. Les tiges de l’azel sont souvent enterrées dans le sable, et les vieilles branches portent une écorce blanchâtre qui se décolle en morceaux[21]. Il subit d’énormes pressions dans son habitat naturel pour être utilisé comme combustible. Le même type de pression est exercé sur l’arbre en Algérie[22].
Conclusion
Il est normal que le nombre d’arbres endémiques présents en Algérie et au Maroc soit supérieur à celui des arbres endémiques en Tunisie. L’endémisme est prononcé à de hautes altitudes, absentes de la Tunisie. Ces zones constituent des refuges pour des espèces qui ont disparu des altitudes plus basses. Les facteurs spécifiques de l’environnement (altitude, températures basses et pluviométrie) agissent comme pressions sélectives ayant permis l’isolement géographique et la spéciation.
Il est un autre trait commun aux trois pays du Maghreb, c’est que l’action anthropique a accentué la dégradation des espaces forestiers et mis en danger des espèces qui continuent à subir des pressions énormes. Les modes de gestion des forêts, hérités de la période coloniale ont échoué à protéger des espèces pour lesquelles des mesures de conservation auraient dû être prises depuis longtemps. La création d’aires protégées n’a pas permis de protéger les espèces en régression. Il est dommage que des mesures urgentes ne soient pas prises pour les protéger effectivement.
Un autre fait mérite aussi d’être souligné, à savoir l’absence de tentative d’introduction de certaines espèces endémiques de la région, d’intérêt patrimonial ou fourrager en Tunisie, en dehors du cèdre. Même si leurs conditions de vie dans le milieu naturel ne sont pas réunies en Tunisie, de nombreuses espèces parmi celles citées plus haut auraient pu être multipliées dans notre pays. Le cas du cyprès du Tassili est un exemple à prendre en considération. En effet, cette espèce a été multipliée en France, à Montpellier (parc à cyprès). Elle aurait pu être multipliée dans notre pays et son patrimoine génétique préservé.
Si les changements climatiques en cours constituent une menace pour l’olivier, l’utilisation de l’olivier de Laperrine comme porte-greffe de l’olivier constitue une piste sérieuse à développer.
Dans notre région existe un patrimoine vivant indéniable, pouvant résoudre pas mal de problèmes s’il était valorisé. On a introduit beaucoup d’espèces d’origines très diverses (européennes, australiennes, américaines, asiatiques) et on n’a pas tenté d’introduire celles qui se trouvent naturellement en Afrique du Nord et absentes de notre pays. Quelque part, nous avons raté une voie…
[1] Hadjadj K., Benaissa M., Mahammedi M., Belkacem G. & Guerine L., 2020. Les peuplements à Fraxinus dimorpha (Oleaceae) dans les Monts des Ksour occidentaux (Sud ouest algérien): diversité phytocénotique, dynamique structurale et perspectives de conservation. Fl. Medit., 30: 155-165
[2] Hadjadj K., Guerine L. & Derdour A., 2021. Flore des populations de frêne dimorphe (Fraxinus dimorpha Coss.& Durieu) dans l’Atlas saharien (Monts des Ksours, Algérie Occidentale). Lejeunia N. s., 206: 1-21
[3] Taleb M. S. & Fennane M., 2010. Étude phytosociologique des groupements présteppiques du parc national du Haut Atlas oriental et ses bordures (Maroc). Revue d’Écologie, 65 (2): 97-128
[4] Genin D. & Alifriqui M., 2016. La forêt rurale du Haut Atlas: Terroirs fonctionnels et fonctions des paysages. In. Les terroirs au Sud, vers un nouveau modèle ? Une expérience marocaine. Marseille : IRD Éditions, pp. 69-84
[5] Genin D. & Alifriqui M., 2019. Les parcs agroforestiers à frêne dimorphe des Aït M’hamed (Haut Atlas central): une spécificité locale bien gardée. In. Aderghal M., Genin D., Hanafi A., Landel P. A. & Michon G. (eds.), L’émergence des spécificités locales dans les arrières-pays Méditerranéens. LPED, Marseille, pp. 31-51
[6] Genin D., M’Sou S., Ferradous A. & Alifriqui M., 2018. Another vision of sound tree and forest management: Insights from traditional ash shaping in the Moroccan Berber mountains. Forest Ecology and Management, 429: 180-188
[7] Fakhech A., Genin D., Ait-El-Mokhtar M., Outamamat E. M., M’Sou S., Alifriqui M., Meddich A. & Hafidi M., 2020. Traditional pollarding practices for dimorphic ash tree (Fraxinus dimorpha) support soil fertility in the Moroccan High Atlas. Land, 9: 334
[8] Harfouche et al. (2005).
[9] Belguerfi (2022).
[10] Oliveira Costa T. M., 2020. Quercus canariensis facing climate change: Genomics and niche modelling as tool for conservation. Master Univ. Porto, Portugal, 51 p.
[11] Mechergui K., Jaouadi W. & Ammari Y., 2022. Le chêne zéen (Quercus canariensis Willd.) en Tunisie: Écologie, production, état de dégradation et les pratiques d’aménagement. Rev. Mar. Sci. Agron. Vét., 10 (1): 148-156
[12] Messaoudène M., Tafer M., Loukkas A. & Marchal R., 2008. Propriétés physiques du bois de chêne zéen de la forêt des Aït Ghobri (Algérie). Bois et Forêts des Tropiques, 298 (4): 37-48
[13] Bannour M., Aouadhi C., Khalfaoui H., Aschi-Smiti S. & Khadhri A., 2016. Barks essential oil, secondary metabolites and biological activities of four organs of Tunisian Calligonum azel Maire. Chem. Biodivers., 13 (11): 1527-1536
[14] Gouja H., Garcia Fernández A., Garnatje T., Raies A. & Neffati M., 2014. Genome size and phylogenetic relationships between the Tunisian species of the genus Calligonum (Polygonaceae). Turk. J. Bot., 38: 13-21
[15] Dhief A., Guasmi F., Triki T., Neffati M. & Aschi-Smiti S., 2011. Natural genetic variation in Calligonum Tunisian genus analyzed by RAPD markers. African Journal of Biotechnology, 10 (48): 9766-9778
[16] Médail F. & Quézel P., 2018. État de conservation et menaces pesant sur la flore saharienne. In. Médail F. & Quézel P., Biogéographie de la flore du Sahara : Une biodiversité en situation extrême [en ligne]. IRD Éditions, Marseille. Pp. 251-283
[17] Abdelkefi A., Boussaïd M. & Marrakchi M., 1996. L’érosion génétique dans les milieux arides de la Tunisie. Courrier de l’Environnement de l’INRA, 27: 73-78
[18] Liu P.-L., Shi W., Jun W., Fayzullaevich S. K. & Pan B., 2021. A phylogeny of Calligonum L. (Polygonaceae) yields challenges to current taxonomic classifications. Acta Botanica Brasilica, 35 (2): 310-322
[19] Médail & Quézel (2018)
[20] Dhief et al. (2011)
[21] Gouja et al. (2014)
[22] Kaabeche M., sans date. Guide des habitats aride et saharien. PNUD, FEM, DGF, Alger, 59 p.
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