Il y a quelques jours s’est tenue au département de Biologie de la Faculté des Sciences de Tunis (FST), une cérémonie d’hommage à la mémoire du Professeur Mohamed Habib Ghorbel, décédé il y a près d’un an des suites d’une longue maladie.
Cette rencontre, à laquelle ont assisté certains de ses proches, a été organisée à l’initiative de ses successeurs, par reconnaissance de ce qu’il leur a appris aussi bien sur le plan scientifique que sur le plan humain. L’ambiance au début était émouvante. Certains de ses disciples sont venus pour la circonstance, du fin fond du pays pour relater avec force d’émotion, parfois des larmes, des moments précis qui ont marqué leur vie au contact de ce grand homme de Science et d’humanisme, discret et affable, mais toujours à cheval sur certains principes.
Le jeune Mohamed Habib a fait partie de la dernière vague de Tunisiens qui, après un diplôme obtenu à l’Université tunisienne au début des années de l’indépendance, ont été envoyés en France avec une bourse, pour parfaire leur formation dans des laboratoires de recherche. En vue de préparer une thèse de Doctorat, puis revenir au pays pour, d’une part assurer un enseignement magistral, et d’autre part, construire les bases scientifiques dans les Institutions Universitaires d’accueil.
Après un court passage par un Institut de recherche forestière, Mohamed Habib s’est inscrit à l’Université de Montpellier pour suivre une formation de haut niveau en physiologie Végétale. Cette branche très importante de la Science “étudie le fonctionnement des organes et des tissus végétaux. Et cherche à préciser la nature des mécanismes grâce auxquels ces organes remplissent leurs fonctions”. Noble tâche qui, avec l’agriculture, est à la base de l’alimentation du règne animal.
De retour à Tunis, il a été recruté à la FST et s’est trouvé, comme la plupart des autres recrues de cette époque, face entre autres, à la tâche immense qui consiste à construire les premières structures de recherche en partant de locaux vides. Certains d’entre – eux se sont battus corps et âme et ont réussi au bout du compte à “monter” des laboratoires dignes de ce nom, c’est-à-dire capables de faire soutenir des thèses de Doctorat et de publier des travaux de haut niveau sans recourir systématiquement à l’assistance étrangère. Le mérite du défunt a été de croire en la nécessité de cette indépendance scientifique, qui est un gage de l’Indépendance Nationale. Ceci est attesté par le fait qu’une grande partie de la production de son laboratoire est purement tunisienne. C’est du reste ce qui a permis à pérenniser sa contribution, par le biais de ses nombreux disciples formés sur place.
L’un des axes principaux du Laboratoire est la recherche des mécanismes de défense de plusieurs variétés de plantes (tomate, piment, haricot, luzerne….) à la pollution métallique et à la salinité. Face à cette agression, la plante développe, comme les humains, des mécanismes de défense particuliers, car cette agression perturbe considérablement le cycle de son métabolisme azote, du coup pour satisfaire ses besoins en azote et conserver ainsi sa croissance, la plante développe des processus physiologiques qui permettent de garder l’équilibre Carbone/Azote endogène. Pour ce faire elle a recours (i) à des mécanismes de synthèse de métabolites spécifiques (ii) à l’activation des voies enzymatiques anti-stress et (iii) à l’induction de nouvelles formes d’enzymes spécifiques. Ces mécanismes ont été développés par l’équipe du défunt, sous sa direction, et certains résultats de haut niveau ont été publiés dans des revues à fort facteur d’impact. D’autres, par contre, méritent d’être développés pour être appliqués à la dépollution des eaux usées ou/et au nettoyage des sols contaminés par les métaux lourds. L’autre mérite du défunt est d’avoir associé dans des projets fédérateurs des chercheurs travaillant dans le domaine agronomique.
Plusieurs thèses de DE (Doctorat d’État) et NR (Nouveau Régime) ont été soutenues sous l’autorité scientifique de ce militant de l’ombre, dont une douzaine, directement encadrées par lui-même. Sans compter celles qui ont été encadrées par ses disciples. Et près de 80 publications, en grande partie Tuniso-tunisiennes ont pérennisé à jamais dans des revues internationales de haut niveau, le nom de l’institution qui l’a abrite pendant 37 ans. Ce bilan est sans commune mesure avec la “production scientifique” de certains Enseignants-Chercheurs recrutés a la même période, qui ont raté le train de la Science malgré leur passage par “l’âge d’or” de la Recherche Scientifique des années 90, conduit à l’époque de mains de maître, par Brahim Baccari et surtout par feu Med Moncef Elgaied.
Suite à ma proposition, la salle de réunions du département de Biologie de la FST, a été baptisée au nom du défunt. Il le mérite, il était en effet très généreux sur tous les plans. Mais par-delà cette reconnaissance bien méritée, force est de constater qu’à la fin de la cérémonie, l’ambiance était chaleureuse, faisant transparaître la personnalité du défunt. La parole était libre et la Science était à l’honneur (chose rare), ce qui semble avoir fait le bonheur de toute l’assistance qui s’est quittée dans une ambiance bon enfant.
iThere are no comments
Add yours