Le décès d’une femme après avoir été attaquée par son propre chien, mi-juillet, a défrayé la chronique. Et tout le monde a pris part au débat, parfois en relayant de fausses informations sur les particularités de certaines races de chiens.

Dans la foulée, la municipalité de Tunis s’est dépêché d’annoncer que les services municipaux ont abattu 276 chiens errants avec des tirs de chevrotine au cours du mois de juin. Cet abattage, considéré comme une pratique barbare, est décrié par les associations de protection des animaux.

C’est surtout une manière de surfer sur l’actualité en mettant en avant une politique inefficace. En quoi une tragédie ayant eu lieu dans un foyer a quelque chose à voir avec les chiens errants dans tel ou tel endroit”, lance Mehdi Esseghir, vétérinaire et président de l’association Ezzahra Pet’s Lovers. Son organisation œuvre pour la défense et la protection des animaux.  

La problématique des chiens errants refait surface à chaque agression médiatisée mettant en cause ces animaux. Et ce genre d’incidents sont récurrents. Ils déchaînent l’hostilité d’une partie de la population envers cette espèce. Certains internautes appellent ainsi à l’abattage systématique des chiens de rue.

Les conséquences sont dramatiques. Beaucoup de chiens sont massivement abandonnés par leurs propriétaires à la suite de ces agressions, constate le militant associatif. “On s’attend à faire face à une vague d’abandon des chiens de la race Akita, celle de l’animal accusé d’avoir tué récemment sa propriétaire à Hammamet”, a-t-il mis en garde.  D’après lui, ces abandons sont le nœud du problème.

Des chiens errants dans le centre ville de Tunis – Nawaat photos

La responsabilité des individus

En Tunisie, l’acquisition des animaux, en particulier les chiens, est répandue. C’est même devenu un phénomène de mode. Encore faut-il être capables de prendre soin d’eux. En effet, plusieurs propriétaires adoptent des chiens en ignorant leurs caractéristiques et s’ils correspondent à leur mode de vie, souligne le vétérinaire.

Des parents se procurent un chiot parce que leur enfant le désire. Petits, ces chiots ont tous l’air adorables. Et ça suffit pour certains parents pour succomber à la tentation de les adopter. Mais ils omettent de se renseigner davantage sur leurs caractères, la façon de les dresser, s’ils sont destinés à vivre auprès d’enfants en bas âge ou dans des appartements”, relève Mehdi Esseghir. Et d’ajouter :

En grandissant, ces chiens changent de caractère. Incapables de les gérer, certains de leurs propriétaires les chassent. Et cela fait augmenter sans cesse le nombre de chiens errants.

Le représentant de l’association Ezzahra Pet’s Lovers prend comme exemple le cas des chiens de la race Husky, victimes d’abandon. Ces chiens sont dociles et fidèles mais sont hyperactifs. Ils ont besoin d’exercices, d’espace. “Certains propriétaires n’arrivent pas à répondre à ce besoin d’activité et s’en lassent. Et ils s’en débarrassent”, explique-t-il, attristé.

La vente des animaux en Tunisie se fait aussi sans un véritable contrôle. Le souk Moncef Bey à Tunis fait office d’une foire de vente d’animaux. Des chiens de différentes races y sont exposés.

 Et le souk est réputé pour être un lieu de trafic d’animaux volés. Les gens en achètent sans se soucier de leur vaccination, regrette le militant associatif. L’absence de contrôle englobe aussi les animaleries et pages sur les réseaux sociaux destinées à la vente des animaux. Là aussi les chiens de race sont mis en avant au détriment des croisés, déconsidérés et massivement abandonnés.

L’Etat complice

En Tunisie, il n’y a pas de statistiques officielles sur le nombre des chiens. La politique de l’Etat se focalise sur la protection des humains en procédant à l’abattage de chiens, suspectés d’être des vecteurs de maladies, notamment de la rage.

Des chiens se reposent sur la voie publique (Tunis Metro Passage) – Nawaat photos

Au mois de février dernier, la responsable du laboratoire de la rage à l’Institut Pasteur de Tunisie, Mariem Handous, a annoncé une campagne d’abattage des chiens errants afin, selon elle, d’endiguer l’apparition de foyers de propagation de la rage chez les animaux. D’après elle, un chien errant a 50% de risques d’être contaminé par la rage.

En 2023, l’Institut Pasteur a examiné plus de mille échantillons d’investigation sur la rage, issus de plusieurs régions du pays. Les analyses ont révélé la contamination par la rage de 28% de l’échantillon, dont 19.51% touchant des chiens.

Durant la même année, 40 mille personnes ont été victimes d’attaques d’un animal suspecté d’avoir la rage. Six personnes sont décédées en contractant cette maladie, a indiqué la responsable du laboratoire de rage à l’Institut Pasteur.

L’État tunisien offre gratuitement aux citoyens le vaccin dans les 362 centres de vaccination antirabique répartis sur tout le territoire. Et cela lui coûte 6 millions de dinars par an, a relevé Mariem Handous.

Pour lutter contre la rage, les associations défendant le bien-être animal plaident pour la vaccination en masse des animaux se trouvant dans la rue. “La vaccination, la castration et la stérilisation permettent de neutraliser l’éventuelle dangerosité des chiens, leur reproduction, et de prévenir les maladies”. Elles sont surtout beaucoup moins cruelles que l’abattage. Ces opérations dépendent de la bonne volonté des autorités municipales et des moyens dont elles disposent.

Nawaat a contacté la municipalité de Tunis pour se renseigner sur sa politique en la matière. Elle n’a pas répondu à notre sollicitation.

Le président de l’association Ezzahra Pet’s Lovers garde, quand même, espoir. “Il y a une certaine prise de conscience de l’importance d’un traitement humain des animaux dans certaines municipalités. Et ce, en mettant à la disposition des associations des locaux pour procéder à la vaccination et à la stérilisation des animaux”, se félicite-t-il. Pour amortir le coût de ces opérations, il plaide pour la signature de conventions entre les autorités municipales et des vétérinaires.

Plusieurs municipalités ont d’ailleurs ouvert des centres de stérilisation et de vaccination des chiens errants comme à l’Ariana, à la Marsa ou encore à la Goulette.

Des actions ponctuelles sont menées par les autorités dans ce sens. Elles appliquent la méthode du TNR (Trap-Neuter-Release “capture, stérilisation, retour”). Mais ces initiatives demeurent sporadiques faute d’une stratégie nationale sur cette question.

Pour le moment, les associations de défense des animaux comptent énormément sur les dons des particuliers pour mener ses actions, note Mehdi Esseghir.

Des chiens abandonnés dans le jardin de la place Brahmi (Tunis, Lafayette)

Au jardin de la place martyre Mohamed Brahmi (centre ville de Tunis), trois chiens, ayant été pucés, dorment paisiblement. Ils se fondent dans le décor. Six autres chiots sont à leurs côtés. Ils sont beaucoup moins apaisés. “Ils ont été séparés de leur mère à leur naissance”, témoigne Mayssa, une visiteuse habituelle du jardin.

 La jeune femme vient chaque soir les nourrir. Un homme s’en charge le matin. Désemparée, elle ne sait pas vers qui se diriger pour les mettre à l’abri. “On m’a dit que le centre d’accueil d’animaux de Sidi Thabet est saturé. Et je n’arrive pas à joindre la municipalité de Tunis”.

D’autres chiens et chats fouillent dans les ordures entassées près du container poubelle. Et pourtant ce jardin reste bien entretenu par la municipalité par rapport à d’autres coins de rue à Tunis et ailleurs.

Foyers de propagation des maladies aussi bien pour les animaux que pour les humains, ces montagnes d’ordures restent parfois des journées avant d’être ramassées par les municipalités. Mais les autorités préfèrent l’approche sécuritaire ciblant les chiens, à l’éradication du problème à la racine.

Toujours dans le jardin de la place Brahmi, des jeunes garçons s’amusent à provoquer deux chiens sur place. En courant dans tous les sens et en aboyant, ces chiens font peur à quelques passants.

Affamés, chassés, abandonnés et maltraités, ces animaux sont les victimes des comportements agressifs et de l’incivilité de certaines personnes.

En théorie, ces agissements devraient être sanctionnés. Le Code pénal tunisien condamne la maltraitance des animaux domestiques dont sont coupables leurs propriétaires ou une tierce personne. Mais comme beaucoup de lois dans le pays, celle-ci reste lettre morte.