En 2019, Kais Saied, candidat outsider à la présidence de la République tunisienne, se fait élire en affirmant que « la normalisation est une haute trahison ». Cependant, son mandat a accéléré l’érosion du soutien à la cause palestinienne, tant au niveau officiel que populaire, une tendance déjà perceptible depuis la révolution. Alors qu’en janvier 2009, des centaines de milliers de Tunisiens avaient manifesté contre la première guerre israélienne à Gaza, les protestations contre la guerre de 2014 n’ont réuni que quelques centaines de personnes. Aujourd’hui, malgré une guerre génocidaire qui a causé des dizaines de milliers de victimes, la mobilisation est presque inexistante.

Paradoxalement, le retour à un régime autoritaire aurait pu raviver la cause palestinienne, jadis tolérée sous Bourguiba et Ben Ali comme un exutoire, d’autant plus que la politique de Saied envers la Palestine ne diffère guère de celle de ses prédécesseurs. Ce désengagement de la cause palestinienne, qui peut sembler paradoxal, s’explique principalement par deux facteurs : d’une part, la posture populiste et symbolique de Saied sur la question palestinienne, dénuée de réelle substance, et d’autre part, sa proximité avec la mouvance nationaliste arabe. Ce pilier traditionnel du soutien à la Palestine en Tunisie a choisi de privilégier le coup d’État de Saied au détriment de la cause palestinienne.

Cette conjonction a non seulement privé la Palestine d’un soutien historique, mais elle a aussi dépossédé la Tunisie d’une cause qui a souvent été un catalyseur pour ses mobilisations politiques et sociales. Le bilan du mandat de Kais Saied sur la Palestine met en lumière ces dynamiques complexes.


C’est l’histoire d’un coup de bluff magistral du candidat néophyte Kais Saied à l’élection présidentielle tunisienne de 2019, survenu durant le débat télévisé de l’entre-deux-tours face à son concurrent sulfureux, Nabil Karoui. Interrogé par le journaliste Chaker Besbès sur son soutien à l’ajout d’un article à la Constitution criminalisant la normalisation avec Israël, Saied avait répondu :

Le terme ‘normalisation’ est erroné, il s’agit de haute trahison. Nous sommes en état de guerre contre une entité colonisatrice. Celui qui traite avec une entité colonisatrice est un traître.

Kais Saied

Cette déclaration a indéniablement contribué au raz-de-marée électoral qui lui a permis de remporter l’élection présidentielle avec plus de 72 % des voix.

Malgré les inquiétudes suscitées par son conservatisme et son projet politique excentrique, la société civile tunisienne, historiquement très engagée en faveur de la cause palestinienne, espérait que cette déclaration soit suivie d’engagements et d’actions concrètes pour la Palestine. Personnellement, j’espérais que le « professeur de droit » autoproclamé ancrerait son engagement dans le droit international, afin de sortir la politique tunisienne à l’égard de la Palestine de la sclérose caractérisée, d’un côté, par une normalisation discrète qui ne dit jamais son nom, et, de l’autre, par un soutien purement rhétorique, souvent contre-productif, de la mouvance nationaliste arabe. C’est dans cet esprit que je lui ai adressé une lettre ouverte cosignée avec Richard Falk, professeur émérite de droit international à Princeton et Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme en Palestine entre 2008 et 2014, dans laquelle nous lui avons demandé « d’inclure dans le droit tunisien des dispositions rendant obligatoire l’exclusion des appels d’offres publics et privés des entreprises et des institutions financières qui commettent de graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme, y compris des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, ou en tirent profit ». Il ne nous a jamais répondu.

Malheureusement, les espoirs de millions de Tunisiens et de Palestiniens ont été déçus. Ses cinq années au pouvoir ont été marquées par la poursuite de la discrète politique de normalisation de ses prédécesseurs, déguisée sous un discours populiste pro-palestinien dont le ton martial ne masque que superficiellement la vacuité totale.

Sur la tombe du normalisateur suprême Anouar el-Sadate

On peut situer le début du reniement des engagements de Kais Saied envers la Palestine à sa visite officielle en Égypte en avril 2021. Ce fut un tournant dans l’histoire post-révolutionnaire de la Tunisie à plusieurs égards. Le faste ostentatoire déployé par le maréchal Sissi, arrivé au pouvoir en 2013 à la suite d’un coup d’État contre la démocratie issue de la révolution du 25 janvier 2011, pour accueillir son homologue tunisien, avait de quoi surprendre. La Tunisie, pays à l’origine du Printemps arabe, qui semblait à l’époque le seul à avoir préservé sa révolution, était la bête noire du régime égyptien.

L’offensive de charme égyptienne a été un franc succès, jouant un rôle crucial dans le démantèlement des verrous démocratiques entourant le président tunisien. Celui-ci déclara un an plus tard que le maréchal Sissi « a sauvé l’Égypte d’une période très dangereuse » et qu’il « a raccourci les délais, faisant ainsi gagner au peuple égyptien beaucoup de temps ». Cet état d’esprit l’a probablement inspiré à s’emparer de tous les pouvoirs dès le 25 juillet 2021, en abrogeant la constitution pour la remplacer par une nouvelle qu’il a lui-même élaborée, amorçant une ère marquée par l’érosion de la démocratie en Tunisie et une forte régression des droits humains et de l’État de droit.

L’influence néfaste de l’exemple égyptien sur le président tunisien Kais Saied ne s’est pas limitée à sa politique intérieure répressive ; elle s’est également étendue à sa position sur la cause palestinienne. En rendant hommage au maréchal Sissi et en louant son « sauvetage » de l’Égypte, Saied a non seulement trahi les aspirations démocratiques du peuple tunisien, mais il a également tourné le dos aux Palestiniens. Faut-il rappeler que le blocus inhumain de Gaza, en place depuis 2007 et ayant conduit au génocide en cours, n’aurait jamais existé sans la complicité du régime égyptien ? La visite de Saied en Égypte a marqué le début d’une double trahison : celle de ses engagements envers la Tunisie et la Palestine.

Kais Saied dépose une gerbe de fleurs sur la tombe du président Anouar el-Sadate le 10 avril 2021. Source : présidence de la République tunisienne

Durant sa visite en Égypte, Saied n’a pas daigné briser le blocus de Gaza en s’y rendant par le point de passage de Rafah, entièrement contrôlé par Sissi. En revanche, il s’est recueilli avec fierté sur la tombe du président Anouar el-Sadate, le traître suprême de la cause palestinienne, honoré à la Knesset en 1977 et signataire des accords de Camp David avec le chef de l’Irgoun Menahem Begin. Le communiqué de la présidence tunisienne indique que Kais Saied a déposé une gerbe de fleurs sur sa tombe et a récité la Fatiha pour son âme « pure ».

Le génocide de Gaza révèlateur de l’impuissance et la trahison

Depuis le 7 octobre 2023, Kais Saied a exprimé à plusieurs reprises le soutien total et inconditionnel de la Tunisie au peuple palestinien. « Il appartient à la Tunisie de se tenir aux côtés du peuple palestinien dans sa lutte pour la libération et le recouvrement de tous ses droits légitimes », a-t-il affirmé. Il a promis que l’aide apportée au peuple palestinien serait « concrète et efficace » et ne se limiterait pas à des déclarations d’indignation ou à des réactions ponctuelles. Le 3 décembre, la Tunisie a accueilli 39 Palestiniens, dont 29 blessés. Deux semaines plus tard, 53 blessés palestiniens et leurs accompagnateurs, ainsi que la Tuniso-Palestinienne Imen Khedher, sont arrivés d’Égypte. La présidence de la République a diffusé une vidéo de l’accueil indécent qui leur a été réservé. Les trois responsables qui les ont accueillis, dont le ministre de la Santé, sont montés à bord de l’avion dès son arrivée sur le tarmac, retardant l’évacuation des blessés. Ils ont été filmés en train de saluer les passagers, dont des blessés, qui encensaient le président de la République. Juste avant qu’Imen Khedher ne prenne la parole, une voix s’est fait entendre lui demandant de s’adresser au président. La pauvre femme, grièvement blessée et amputée d’une jambe, sortie du coma deux jours auparavant, a immédiatement obtempéré : après les remerciements d’usage au président, elle lui a demandé en larmes que son mari et son fils Hamza puissent la rejoindre. Quatre mois plus tard, l’enfant s’est adressé au président tunisien via les réseaux sociaux le suppliant de l’aider à rejoindre sa mère en Tunisie. Les dernières nouvelles montrent qu’il était toujours bloqué avec son père à Rafah à la fin du mois de mai, et il est très peu probable qu’ils aient été évacués depuis, le passage frontalier ayant été détruit par l’armée israélienne en juin.

Entre le 7 octobre et 18 décembre 2023, date de l’arrivée du deuxième convoi de blessés à Tunis, 19453 Palestiniens ont été tués à Gaza et 52286 ont été blessés selon le ministère de la santé à Gaza. Depuis lors, la Tunisie n’a plus accueilli de blessés ni de réfugiés en provenance de Gaza, alors que le bilan s’élève au 12 août 2024 à 39897 morts, 92152 blessés et plus de dix mille disparus sous les décombres, des chiffres que tous les observateurs estiment largement sous-évalués.Les autorités tunisiennes, sous la pression de l’opinion publique demandant au moins le rapatriement de Hamza, peinent à justifier leur inaction et leur inefficacité, d’autant qu’elles ont largement amplifié le rôle du président dans le rapatriement de la mère du jeune homme, et la mise en place des deux convois.

La seule porte de sortie de Gaza est le passage frontalier de Rafah, qui est théoriquement sous contrôle conjoint du Hamas et de l’Égypte. Cependant, depuis l’instauration du blocus en 2007, Israël exerce un pouvoir considérable sur ceux qui sont autorisés à traverser. Depuis le 7 octobre, Israël a bombardé à plusieurs reprises ce passage et y a imposé un contrôle encore plus strict par l’intermédiaire de son fondé de pouvoir égyptien. Le 7 mai, l’armée israélienne a pris le contrôle direct du passage de Rafah, interrompant les livraisons d’aide humanitaire et les évacuations de civils.

Depuis des mois, l’entreprise égyptienne Hala Consulting and Tourism du controversé homme d’affaires Ibrahim al-Arjani, profite de la situation pour extorquer des sommes d’argent aux personnes qui essaient d’échapper à l’enfer de Gaza. En collusion évidente avec les autorités égyptiennes, cette entreprise exige 5000 dollars pour les plus de 16 ans et 2500 dollars pour les moins de 16 ans, afin de sécuriser leur sortie par le passage frontalier de Rafah, y compris l’obtention de la nécessaire autorisation de l’armée israélienne. Certains jours, elle réussit à faire passer jusqu’à 500 personnes. On dit que même les organisations humanitaires sont obligées de recourir à ses services.

Comme tous les Gazaouis, Imen Khedher sait que le sort de son fils Hamza et de son mari dépend du bon vouloir des autorités égyptiennes. Elle espérait que le président tunisien userait de ses bonnes relations avec le maréchal Sissi pour faciliter leur évacuation. Malheureusement, sa requête est restée vaine à ce jour. Au-delà du cas humanitaire de cette famille tuniso-palestinienne, des milliers de Gazaouis ayant réussi à fuir l’enfer de Gaza sont actuellement bloqués en Égypte, parmi eux plusieurs artistes, universitaires et étudiants.

La Tunisie, ayant souvent été une terre d’accueil pour les réfugiés, a le devoir moral d’accueillir des réfugiés palestiniens fuyant le génocide de Gaza, au-delà de l’accueil symbolique des 83 blessés, et de leur ouvrir ses hôpitaux, ses écoles et ses universités.

Comment le président et ses alliés nationalistes arabes ont échoué au test de normalisation

Des partis nationalistes arabes soutenant le coup d’État de Kais Saied ont déposé une proposition de loi criminalisant la normalisation, qui s’est transformée en une crise ouverte du régime. Le texte initial, déposé en juillet 2023, reprenait une ancienne proposition soumise à l’Assemblée des Représentants du Peuple en 2020. Cependant, il a été considérablement durci en commission et son examen a été accéléré après le déclenchement de la guerre à Gaza. Le projet prévoit des peines de six à douze ans de prison pour toute « communication, contact, propagande, conclusion de contrats ou coopération, directe ou indirecte, par des personnes physiques ou morales de nationalité tunisienne avec toutes les personnes physiques et morales affiliées à l’entité sioniste, à l’exception des Palestiniens de l’intérieur ». Les peines vont jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité en cas de récidive.

Plusieurs voix, y compris parmi les partisans du principe de pénalisation de la normalisation, se sont élevées pour dénoncer un texte dangereux qui pourrait menacer les Tunisiens. En plus des juifs tunisiens qui ont des liens familiaux avec des Israéliens, un étudiant tunisien à l’étranger suivant un cours d’un professeur ayant la nationalité israélienne, ou un militant tunisien pour la cause palestinienne ayant des contacts avec des Israéliens opposés à la colonisation, pourraient tomber sous le coup de cette loi. Par contre, elle est totalement inoffensive à l’égard des entreprises internationales complices de la colonisation, qui sont pourtant fortement implantées en Tunisie, comme Carrefour et Sodexo (Pluxee).

« Nous votons d’abord, puis nous prenons le temps de l’étudier et de l’amender », répondaient les soutiens du texte à l’Assemblée et au sein de la société civile, rappelant que Kais Saied s’est fait élire en affirmant que « la normalisation est une haute trahison ».  Le malaise était perceptible chez certains ministres concernant l’impact d’un tel dispositif législatif sur les intérêts de la Tunisie. Les députés, croyant au soutien du président, ont entamé l’examen du texte le 2 novembre 2023. Le président du Parlement, Brahim Bouderbala, a parlé à l’ouverture des travaux d’une « parfaite harmonie entre le Parlement, le président et l’opinion publique » sur ce projet. Mais en fin de journée, alors que les deux premiers articles avaient déjà été votés à une large majorité, il a suspendu la séance sur ordre de Kais Saied. Elle ne reprendra jamais. Il a déclaré avoir été « informé par le président Kais Saied que le projet de loi incriminant la normalisation avec l’entité sioniste porterait atteinte à la sécurité de la Tunisie ».

Voulant apaiser l’incompréhension des Tunisiens et atténuer l’embarras qui l’a affecté, ainsi que les députés à l’origine du projet de loi, Kais Saied s’est exprimé à la télévision dès le lendemain. Son discours était encore plus Orwellien que de coutume. Après avoir « assuré que, pour lui, le terme normalisation n’existe pas », Saied a proposé d’amender l’article 60 du Code pénal, qui sanctionne la trahison en temps de guerre, pour y inclure la trahison à l’encontre du peuple palestinien, bien que la Tunisie n’ait officiellement jamais déclaré la guerre à Israël. Cet article prévoit la peine de mort. Le discours révélant soit une totale inconscience, soit une volonté de berner les Tunisiens, était ponctué de déclarations guerrières telles que « Nous n’accepterons que la victoire ou la mort en martyr pour la Palestine » et « La souveraineté appartient au peuple tunisien. Celui-ci aspire à libérer l’intégralité de l’État occupé… La lutte armée jusqu’à la libération totale de la Palestine ».

Comme à son habitude, Saied n’a pu s’empêcher de recourir à la théorie du complot et de blâmer ses prédécesseurs. Il a même critiqué l’ancienne Constitution qu’il a abrogée, prétendant qu’elle avait été dictée par le polémiste français Bernard-Henri Lévy.

Le droit international : une véritable voie de soutien à la Palestine sciemment délaissée par Saied

En novembre 2023, l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti ont saisi le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) pour demander une enquête sur les crimes de guerre israéliens commis à Gaza. Bien que la Tunisie soit signataire du Statut de Rome de la CPI, Kais Saied a délibérément choisi de ne pas s’associer à cette initiative. Il a adopté la même position concernant la plainte déposée quelques semaines plus tard par l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice (CIJ), accusant Israël de violations de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans sa guerre à Gaza.

En revanche, sur instruction présidentielle, la Tunisie a présenté, le 23 février, un exposé oral avec 48 autres États sur la demande d’avis consultatif de la CIJ concernant les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Les partisans de Kais Saied ont défendu les deux abstentions précédentes en affirmant que la Tunisie ne reconnaît pas Israël. Le professeur Slim Laghmani, qui a soutenu le coup d’État de Saied avant de se distancier, et qui a été chargé par ce dernier de plaider à la CIJ dans la troisième affaire, considère cette justification comme juridiquement valable. Cependant, le Bangladesh, les Comores et Djibouti, qui ne reconnaissent pas non plus Israël, ont bien saisi le procureur de la CPI. De plus, bien que l’Afrique du Sud ait dû prouver l’existence d’un litige avec Israël en présentant des échanges diplomatiques dans sa plainte à la CIJ, la Turquie a récemment soumis une déclaration pour intervenir dans ce même litige sans mentionner aucune communication préalable avec Israël.

Les jugements de la CIJ dans les deux affaires représentent une avancée majeure pour le droit international en Palestine et infligent une sérieuse défaite juridique à Israël. Dans son ordonnance du 26 janvier, concernant le litige opposant l’Afrique du Sud à Israël, la CIJ a estimé qu’il est plausible qu’Israël soit en train de commettre un génocide à Gaza et a ordonné des mesures conservatoires en conséquence. Puis, le 24 mai, la Cour a ordonné à Israël de cesser « immédiatement » son offensive militaire à Rafah. Enfin, le 19 juillet, la CIJ a rendu un avis consultatif affirmant que la présence continue d’Israël dans les territoires palestiniens occupés (TPO) est illégale, qu’Israël doit y mettre fin dans les plus brefs délais, évacuer tous les colons, et réparer les dommages causés. L’avis stipule également que « tous les États ont l’obligation de ne pas reconnaître comme légale la situation résultant de la présence illégale d’Israël dans les TPO et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation ». Les conséquences juridiques potentielles de cet avis sont considérables et commencent déjà à se faire sentir.

Après avoir justifié la décision de Saied de ne pas soutenir l’Afrique du Sud dans son litige contre Israël concernant le génocide à Gaza, Slim Laghmani a consacré la quasi-totalité de sa plaidoirie devant la CIJ concernant l’avis sur la colonisation à la question de la guerre à Gaza, un choix très surprenant qui ne répond que très partiellement aux questions posées. Ayant dédaigné ma critique sur sa plaidoirie à l’époque, il a récemment exprimé des réserves sur l’avis historique de la CIJ, qualifiant l’argument selon lequel le génocide n’était pas abordé dans cet avis de « très faible ». Le choix peu pertinent de Laghmani se distingue particulièrement lorsqu’on le compare à la plaidoirie magistrale de la Professeure Monique Chemillier-Gendreau, mandatée par l’Organisation de la coopération islamique dans la même affaire.

Le procureur de la CPI a demandé des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Yoav Gallant pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis à Gaza depuis le 8 octobre 2023. Ces demandes représentent une avancée significative, bien qu’elles n’honorent guère le procureur Karim Khan qui avait auparavant gelé ce dossier pendant des années, avant de se voir contraint d’agir finalement.

Les décisions de Kais Saied de ne pas associer la Tunisie à deux des trois principales affaires concernant l’application du droit international en Palestine révèlent non seulement sa conception douteuse de la primauté du droit, mais aussi le caractère creux de ses déclarations de solidarité avec la Palestine.

Djerba 2024 : le Salon de l’aéronautique et de la défense comme reflet du renversement des valeurs sous Saied

« La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force », écrivait George Orwell dans 1984. Le mandat de Kais Saied incarne parfaitement ce renversement des valeurs, caractéristique des régimes totalitaires. Dans cette logique, la Tunisie s’apprête à accueillir la troisième édition du Salon international de l’aéronautique et de la défense (IADE) du 20 au 24 novembre 2024 à Djerba, en déroulant le tapis rouge à des fabricants d’armes et des armées responsables de crimes de guerre, dont probablement l’armée de l’air américaine, qui pourrait y exhiber les avions de combat et drones utilisés par l’armée israélienne pour bombarder Gaza depuis plus de dix mois. La participation des États-Unis aux deux premières éditions, en 2020 et 2022, marquée par la présence du secrétaire d’État adjoint aux affaires politico-militaires, souligne l’importance qu’ils accordent à cet événement. Bien que la troisième édition ait été initialement prévue pour le printemps 2024, les autorités tunisiennes ont préféré la reporter à novembre, après l’élection présidentielle, espérant probablement que la guerre serait alors terminée. Un rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm révèle qu’entre 2013 et 2022, 68 % des armes d’Israël provenaient des États-Unis. Ce soutien s’est intensifié depuis le début de la guerre à Gaza, avec la fourniture continue de bombes anti-bunker de 900 kg, entre autres équipements. En avril 2024, le Congrès américain a approuvé un programme d’aide militaire de 14 milliards de dollars, renforçant encore l’appui militaire à Israël. Malgré la complicité évidente des États-Unis dans la guerre génocidaire menée par l’armée israélienne à Gaza, les autorités tunisiennes n’ont pas jugé nécessaire de remettre en question la tenue de ce salon.

Conclusion : seuls ceux qui croient en la liberté et en la justice peuvent véritablement les défendre

Alors que la guerre génocidaire à Gaza suscite une vague de solidarité sans précédent, notamment dans les universités occidentales, le soutien à la cause palestinienne en Tunisie, tant officiel que populaire, s’est dramatiquement érodé sous le mandat de Kais Saied. Cette érosion fait écho à la détérioration alarmante des droits fondamentaux en Tunisie, qu’ils concernent les citoyens ou les migrants subsahariens. Le principal enseignement de ces cinq années est clair : celui qui ne respecte pas la primauté du droit chez lui ne peut pas la défendre ailleurs. En d’autres termes, seuls ceux qui croient réellement en la liberté et en la justice peuvent les défendre de manière significative. L’Afrique du Sud en est un exemple éloquent. Nelson Mandela affirmait : « Nous savons très bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens ». En miroir, tant que nous, Tunisiens, ne serons pas libérés de l’oppression qui nous asservit, nous ne pourrons pas apporter une contribution significative au mouvement pour la libération de la Palestine.