Depuis plus d’un an, Siwar Bargaoui attend désespérément, dans une cellule de la prison civile de Manouba, le verdict final dans l’affaire dite de falsification des parrainages du candidat à la présidence Ayachi Zammel. Elle a déjà été condamnée, en appel, à quatre ans et sept mois de prison dans huit affaires, tandis que la justice n’a pas encore statué sur huit autres.

Avant septembre 2024, Siwar Bargaoui, âgée de 24 ans et diplômée de l’Institut de presse et des sciences de l’information, n’était pas connue du grand public, y compris des journalistes eux-mêmes. Mais une violente tempête l’a plongée dans les ténèbres des prisons, après avoir fauché la plupart de ceux qui avaient osé se présenter contre le président Kais Saied aux élections présidentielles de 2024. Elle a alors écopé d’une peine de prison équivalente à son âge.

En sus des procès auxquels elle a déjà fait face, Siwar Bargaoui comparaîtra de nouveau devant la justice le 30 octobre dans le cadre de huit nouvelles affaires.

Le chemin vers la prison

Siwar Bargaoui était membre de la campagne d’Ayachi Zammel et a participé à la collecte de parrainages nécessaires au dépôt de sa candidature à la présidence au nom du mouvement Azimoun, fondé en 2022. Mais, dès l’annonce des résultats des élections, on n’a plus entendu parler de ce mouvement, et les figures qui avaient animé sa campagne se sont tout d’un coup éclipsées, de peur sans doute de subir le même sort d’injustice, d’emprisonnement et d’oubli, qu’ont connu Ayachi Zammel et Siwar Bargaoui.

Le 2 septembre 2024, la Haute instance indépendante pour les élections a annoncé la validation définitive des dossiers de trois candidatures : Kais Saied, Zouhair Maghzaoui et Ayachi Zammel. Mais quelques heures avant cette annonce, ce dernier a été arrêté. En fait, l’arrestation d’Ayachi Zammel et de Siwar Bargaoui ressemblait davantage à un jeu du chat et de la souris. Le 16 août 2024, Siwar a reçu une convocation pour être interrogée à la suite de plaintes déposées par trois personnes affirmant que leurs parrainages avaient été falsifiés. Elle a été arrêtée le 19 août, avant d’être relâchée le 30 août de la même année. Elle a été remise en liberté sous contrôle administratif, avec interdiction de quitter la circonscription territoriale relevant du tribunal de première instance de Tunis 2, et obligée de se présenter quotidiennement au commissariat de police pour signer. L’affaire de Siwar Bargaoui, concernant la première série de plaintes l’accusant de falsification, a été reportée au 19 septembre 2024. Le jeu du chat et de la souris auquel se livrait la justice à l’encontre de Bargaoui et Zammel s’est poursuivi : quelques heures après la libération du leader du mouvement Azimoun, puis son arrestation à nouveau devant la prison, Siwar Bargaoui a reçu une convocation pour comparaître devant la brigade de la police judiciaire de Sidi Hassine, puis une deuxième convocation le 25 du même mois. Dans le même temps, Bargaoui a continué à soutenir le candidat du mouvement Azimoun, avant d’être arrêtée le 27 septembre 2024, alors qu’elle se rendait au commissariat pour la signature obligatoire. Trois jours après son arrestation, le tribunal de première instance de Tunis 2 l’a condamnée à douze ans de prison ferme avec exécution immédiate. Par la suite, la cour d’appel a réduit la peine à quatre ans et sept mois, dans un dossier contenant huit plaintes.

13 août 2023, Tunis – Siwar Bargaoui lors d’une rencontre féminine organisée par le mouvement Azimoun, à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel – Mouvement Azimoun

Interrogé par Nawaat, Me Sami Ben Ghazi, avocat de Siwar Bargaoui, affirme que le dossier de sa cliente comprend seize affaires. Elle a déjà été condamnée dans huit d’entre elles, à plus de quatre ans en appel, et une audience est fixée au 27 octobre prochain pour examiner ces dossiers. L’avocat ajoute :

Siwar Bargaoui est poursuivie pour les mêmes chefs d’accusation dans chacune des seize affaires, conformément à l’article 199 du Code pénal, à l’article 88 de la loi sur la protection des données personnelles et à l’article 161 de la loi électorale.

L’article 88 de la loi relative à la protection des données personnelles stipule textuellement : « Est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de dix mille dinars, celui qui porte une personne à donner son consentement pour le traitement de ses données personnelles en utilisant la fraude, la violence ou la menace. » Quant à l’article 199 du Code pénal, il prévoit des peines allant de six mois à deux ans de prison pour les délits de falsification.

Double peine

L’article 54 du Code pénal stipule que « lorsque le même fait constitue plusieurs infractions, la peine encourue pour l’infraction entraînant la peine la plus forte est seule prononcée. » Il est clair que, dans le dossier de Siwar Bargaoui, le tribunal qui l’a condamnée à 24 ans de prison n’a pas appliqué cet article, ni respecté le principe selon lequel une personne ne peut être jugée deux fois pour les mêmes faits. A ce propos, Me Sami Ben Ghazi explique :

Les dossiers n’ont pas été regroupés, et Siwar a été jugée pour trois chefs d’accusation dans chaque affaire de parrainage, soit huit dossiers au total, ce qui signifie qu’elle a fait face aux mêmes accusations dans chaque plainte déposée contre elle par des plaignants affirmant qu’elle avait falsifié leurs signatures. Pourtant, selon la loi, l’acte incriminé est unique et ces dossiers sont indivisibles.

Maître Ben Ghazi précise que l’article 55 du Code pénal souligne le caractère unique de l’infraction, laquelle entraîne la peine la plus forte. Il ajoute qu’il existe, par ailleurs, un texte juridique spécifique, à savoir la loi électorale, qui devrait être seule appliquée, dans l’hypothèse où il y a réellement eu infraction. 

Le jugement de première instance condamnant Siwar Bargaoui à vingt-quatre ans de prison a fait l’objet d’un pourvoi en cassation. Le 10 janvier dernier, la cour d’appel a rendu son verdict, la condamnant à quatre ans et sept mois de prison. Sa défense a ensuite fait appel de cette décision.

Dans une déclaration à Nawaat, Yousr Bargaoui, sœur de Siwar, affirme que sa sœur fait face à des accusations de falsification, de manipulation de données personnelles, ainsi que d’offres et de promesses de cadeaux et d’argent aux électeurs en échange de leur parrainage en faveur d’Ayachi Zammel. Elle ajoute :

La police a perquisitionné notre domicile et n’a trouvé aucune somme d’argent. Les expertises techniques effectuées par la police ont montré que les signatures sur les parrainages qui auraient été falsifiées n’étaient pas de la main de ma sœur. De plus, une personne a affirmé avoir parrainé Kais Saied, mais son téléphone montrait qu’il avait en réalité parrainé Ayachi Zammel. Après vérification de ses assertions, il s’est avéré qu’il n’avait parrainé aucun candidat aux élections.

Juillet 2022, Tunis – Les deux membres emprisonnés du mouvement Azimoun, Ayachi Zammel et Siwar Bargaoui, présents aux travaux de l’académie politique des jeunes du mouvement. – Mouvement Azimoun.

Evoquant l’impact de l’emprisonnement de sa sœur sur sa famille, Yousr Bargaoui explique que celle-ci avait coupé tout contact avec le monde extérieur depuis la première arrestation de Siwar. L’inquiétude de la famille s’est accrue après sa libération, vite suivie d’une nouvelle incarcération, car Siwar leur avait fait part des mauvais traitements qu’elle a subis, affirmant avoir même été battue. Notre interlocutrice raconte :

Lors de la libération de ma sœur le 30 août dernier, nous avons constaté des traces de coups sur son corps. Elle nous a raconté avoir vécu des conditions pénibles pendant près de dix jours de détention, où elle a été agressée par des agents de la prison civile de Manouba. Elle a été tirée de sa cellule nue et battue, puis de l’eau froide a été versée sur son corps pour effacer les traces des coups. Elle a été privée de nourriture et n’a reçu qu’un morceau de pain qu’une autre détenue lui a donné en secret. Elle a dû le cacher soigneusement par crainte d’être dénoncée et de subir éventuellement une autre punition, et elle en mangeait chaque fois dans les douches. Mais après quelques mois, elle commençait à avoir droit au même traitement que les autres détenues, ce qui a permis à ma sœur de s’adapter aux conditions de la prison. Elle sait bien communiquer et cherche à préserver son intégrité dans les épreuves difficiles. Elle a compris qu’elle devait se créer son propre univers en prison, et elle est devenue notre source de force et de patience.

En réalité, Siwar Bargaoui n’a pas été la seule victime de la course à la présidentielle. Cette compétition a également fourvoyé des candidats dans des poursuites judiciaires, comme Abdellatif Mekki, Nizar Chaari, Adel Daou et Néji Jalloul, accusé de falsification des parrainages lors des élections de 2019. En revanche, personne ne sait ce qui est advenue de la plainte déposée en septembre 2024 par un groupe de citoyens de la région de Chorbane, dans le gouvernorat de Mahdia. Ils attestaient qu’une personne avait utilisé leurs données personnelles mentionnées sur leurs cartes d’identité, qu’ils avaient fournies dans le cadre d’un projet de création d’une société communautaire. Ces données auraient été utilisées à leur insu, et sans leur signature, pour parrainer la candidature de Kais Saied, alors président sortant.

Siwar Bargaoui n’est pas la seule détenue dont l’engagement politique lui a valu d’être jetée derrière les barreaux après le coup d’État du 25 juillet 2021. La plupart des familles politiques comptent aujourd’hui des prisonniers poursuivis pour divers chefs d’accusation. Cependant, Siwar fait partie des rares prisonnières qui n’ont pas eu droit à une mobilisation sur les réseaux sociaux pour protester contre l’injustice qu’elles subissent et réclamer leur libération. Le mouvement Azimoun a presque entièrement disparu, dès le lendemain des dernières élections présidentielles, et est aujourd’hui éloigné des projecteurs malgré les persécutions dont il a été victime. Hormis quelques communiqués de presse publiés par de rares organisations de défense des droits humains, qui tirent des bribes d’informations auprès de la défense, Siwar n’est plus au cœur des préoccupations des cercles politico-humanitaires engagés dans le combat contre la médiocrité et l’autoritarisme.