Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Entre héritages culturels, douleurs normalisées, enjeux de santé publique et urgences écologiques, parler des règles revient à interroger notre rapport collectif à la dignité et à la justice. Il est temps de repenser ce sang que l’on tait depuis trop longtemps.

Il existe, dans chaque famille, chaque école, chaque ville, un rituel invisible : celui par lequel on apprend aux filles à taire leur corps. À cacher la douleur. À dissimuler le sang. À réduire au silence l’une des fonctions physiologiques les plus fondamentales du corps féminin.

Les menstruations ne sont pourtant ni un détail intime ni une simple « histoire de femmes ». Elles sont un prisme : elles révèlent nos angles morts, nos tabous, nos inégalités. Elles racontent la manière dont une société traite le corps féminin et la manière dont elle choisit de ne pas le comprendre. Aujourd’hui, il est urgent d’ouvrir cette conversation, non pas uniquement pour parler des règles, mais pour parler de tout ce qu’elles contiennent : santé, dignité, justice, liberté.

Un héritage millénaire : la souffrance comme destin féminin. Depuis des siècles, les femmes entendent les mêmes phrases :« C’est normal d’avoir mal ».  « Sois forte ».  « Nous sommes toutes passées par là ».

Ainsi se transmet, de mère en fille, un héritage silencieux : celui de la souffrance menstruelle normalisée. Les douleurs deviennent un rite de passage. L’épuisement devient banal. Les fluctuations émotionnelles deviennent un motif de moquerie ou d’incompréhension. La honte devient un réflexe.

Cet héritage n’est pas biologique : il est culturel. Et il prive les jeunes filles d’un élément essentiel : l’accès à une information juste, complète et adaptée à leur âge. Comprendre son cycle, ses variations, ses douleurs, ses émotions n’est pas un luxe : c’est un droit. Lorsque l’information manque, la peur, la confusion et le sentiment d’isolement grandissent. Et le silence se transmet comme un fardeau.

La santé menstruelle : un angle mort de la médecine et de la société

La santé menstruelle est aujourd’hui reconnue comme un état de bien-être complet : physique, mental et social en lien avec le cycle menstruel. Elle englobe l’accès à l’information, à la dignité, à la sécurité, aux soins, à la participation sociale. Elle dépasse largement les seuls jours de saignement : elle traverse la vie entière.

Une femme sur dix souffre d’endométriose. Une autre sur dix vit avec un SOPK. Des adolescentes manquent l’école par manque de protections ou de conditions sanitaires adéquates. Des femmes organisent leur quotidien autour de leurs règles sans jamais qu’on leur demande si cela est normal.

Mais tant que le cycle menstruel restera entouré de silence, les douleurs seront retardées, les diagnostics manqués, et les femmes rendues responsables de symptômes qui ne relèvent pas de leur « courage », mais de leur santé. La stigmatisation menstruelle n’est pas un simple tabou : c’est un déterminant de santé.

Le corps émotionnel : un savoir que la société n’écoute pas

Le cycle menstruel est un phénomène biologique, mais aussi psychique, émotionnel et social. Les fluctuations hormonales influencent le sommeil, l’appétit, l’anxiété, l’énergie, la concentration. Mais la société a transformé ces variations en caricatures : « tu dois avoir tes règles. »

Les cycles deviennent alors des armes pour disqualifier les émotions féminines, au lieu d’être reconnus comme des rythmes naturels. La santé mentale et la santé menstruelle sont indissociables. Ignorer l’une fragilise l’autre.

Des conditions de vie et des infrastructures façonnent la santé. La santé menstruelle signifie aussi pouvoir prendre soin de son corps dans des conditions dignes : choisir des protections adaptées, se changer en sécurité, avoir de l’eau, de l’intimité, de l’hygiène, du confort.

Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, ce n’est pas seulement le quotidien qui est affecté : c’est l’éducation, le travail, la santé mentale et la participation sociale. Chaque protection utilisée, chaque toilette dans une école, chaque absence de poubelle ou de porte fonctionnelle raconte la manière dont une société traite les personnes menstruées.

Un enjeu écologique encore trop absent du débat public

Les protections menstruelles jetables représentent des tonnes de déchets plastiques chaque année. Leurs compositions en fibres synthétiques, agents blanchissants, perturbateurs endocriniens soulèvent des questions de santé et d’environnement.

Réinventer les protections menstruelles, encourager les alternatives réutilisables, questionner les matériaux en contact avec la vulve : c’est protéger la planète autant que les corps. C’est reconnaître que l’intimité féminine est aussi un sujet environnemental.

Un tabou qui n’est pas neutre : il sert un système

Pourquoi les règles sont-elles restées un sujet honteux ? Parce qu’un tabou est un outil de contrôle. Il limite la parole, invisibilise les besoins, retarde les soins, fragilise les droits.

Un environnement respectueux, familial, scolaire, médical, institutionnel est aussi important qu’un traitement médical. Il détermine l’accès à la connaissance, la confiance en soi, la capacité à demander de l’aide, la possibilité de participer pleinement à la vie sociale et économique.

L’éducation : le premier acte de justice menstruelle

On ne peut pas changer ce que l’on ne comprend pas. On ne peut pas guérir ce que l’on ne nomme pas. On ne peut pas transmettre ce que l’on a appris à taire.

L’éducation menstruelle est la clé. Elle permet d’accompagner les changements du corps, de dissiper les tabous, d’encourager l’autonomie, de soutenir la santé physique et mentale. Elle implique toute la société : les filles, les femmes, mais aussi les hommes, les garçons, les professionnels de santé, les institutions.

Un livre, une parole : reprendre possession du corps

La Révolution Menstruelle est née de cette urgence. Il ne parle pas seulement du sang mais de ce que nous en faisons. De ce que nous cachons. De ce que nous transmettons. De ce que nous pouvons transformer.

Il embrasse toutes les dimensions du cycle : biologiques, psychologiques, sociales, culturelles, historiques, symboliques, écologiques. Parce qu’on ne peut plus réduire les menstruations à un phénomène biologique isolé. Elles sont un langage. Un héritage. Un lieu de pouvoir.

Pour conclure : la révolution menstruelle est une révolution humaine. Reconnaître la santé menstruelle comme une dimension essentielle de la santé publique, c’est reconnaître que les menstruations touchent à tout : à l’éducation, aux droits humains, à l’économie, à la justice sociale, à l’égalité de genre, à la dignité.

Parler des menstruations, c’est parler de liberté. C’est refuser que la moitié de la population continue de vivre un phénomène majeur dans le silence. C’est revendiquer le droit à la connaissance, au confort, à la santé et à la participation pleine et entière à la société.

La révolution menstruelle n’est pas un slogan : c’est un projet de société. Un projet urgent, nécessaire et profondément humain.