Image : Nawaat

Jusqu’à la fin du mois d’octobre l’espace El Teatro à Tunis organise toute une programmation avec exposition d’oeuvres d’art, performances, pièce de théâtre, conférences et ateliers. Une programmation qui a pour titre ” Etre noir-e dans la verte ” et qui donne à réfléchir sur la place des Noirs Tunisiens au sein de la société. Un événement inédit et qui traite d’une valeur importante : la tolérance.

En passant la porte de l’espace El Teatro à Tunis, des autocollants en forme de traces de pas nous guident vers l’exposition. Ces empreintes sont blanches et dans leur centre la forme de la Tunisie est découpée. En arrivant en haut des marches de l’entrée les traces de pas s’arrêtent et laissent place à trois grandes photos d’identité collées au sol : trois portraits d’enfants noirs qui ont mis une main devant leur visage. Pour ne pas voir ? Pour ne pas être vu ? Ou peut-être pour se protéger ?

Quand on demande à Lotfi Ghariani d’expliquer son œuvre il retourne la question à son interlocuteur : « Et vous que voyez-vous ? » On voit des gens qui marchent sur ces enfants. Des enfants noirs et des pieds blancs. Est-ce une métaphore pour parler de ce qui se passe dans la société tunisienne d’aujourd’hui ? Pas de réponse. « On peut tout lire, moi je ne suis pas là pour interpréter mon œuvre. »

Par contre Lotfi Ghariani est là pour interpeller et faire réfléchir : « L’art est là pour provoquer, mais pas provoquer gratuitement, il doit donner à réfléchir sinon il ne sert à rien. » On peut lire ce que l’on veut dans la performance de Lotfi Ghariani. De bons ou de mauvais sentiments. Libre à nous. Reste qu’à la fin de l’exposition il faudra arracher ses photos du sol pour s’en défaire : « Et ce n’est pas moi qui le ferait » lance-t-il.

Ces trois portraits d’enfants collés au sol ouvrent l’expo, accueillent. Aux murs d’autres photos, des tableaux, des installations, toutes noires. La couleur noire est la thématique principale de cette exposition, les différents artistes invités l’ont interprétée à leur façon.

Des photos au sol : une oeuvre qui interpelle.

Le noir est partout. Mais il n’est pas une invitation à la mélancolie. Plutôt un appel à la réflexion : quelle place pour les citoyens Noirs Tunisiens aujourd’hui ?

Le titre de la programmation n’a pas été choisi par hasard : “Etre noir-e dans la verte”. La verte, c’est la Tunisie, surnommée ainsi du fait de sa flore. Pour le reste du titre il faut écouter la coordinatrice de l’événement, Maha Abdelhamid : « C’est un titre de Zeinab Farhat, la directrice de l’espace El Teatro. Quand elle l’a traduit en arabe elle l’a féminisé : Etre noire dans la verte, être une femme noire en Tunisie. Zeinab avait promis à une femme, agressée à cause de sa couleur, de traduire ses douleurs et ses problèmes en une création artistique. » C’est chose faite avec toute cette programmation.

« Depuis 2005 Zeinab Farhat avait envie d’organiser un tel événement. Mais plusieurs fois il a du être reporté. C’est donc un projet qui était en attente depuis longtemps et il a fallu attendre jusqu’à 2012 pour que ce rêve se réalise « explique Maha.

Cette exposition fait partie d’un programme qui s’étale sur deux semaines avec des ateliers et différents événements. Il y a ainsi eu un atelier intitulé « Black & White » sur les mots utilisés, les appellations qui blessent. « Beaucoup de gens sont venus parler de leur expérience et témoignager. C’était un atelier très émouvant. Il y avait de la douleur et du rire. Il y a eu un vrai échange. »

D’autres événements auront lieu jusqu’au 20 octobre : des conférences avec des associations qui soutiennent les Droits de l’homme et des minorités par exemple. Un début de travail de collecte de chants et musiques noirs traditionnels du sud tunisien avec l’aide d’une radio en ligne. Un coup de projecteur sera fait sur l’abolition de l’esclavage avec la présentation d’une création El Teatro : « C’est une première en Tunisie, explique Maha, cette pièce parle de la situation des esclaves et montre l’histoire dans sa vérité : les esclaves n’étaient pas que des esclaves noirs, il y avait également des esclaves blancs. »

Une programmation éclectique pour un sujet délicat. La tolérance qui doit être partout laisse souvent place au racisme et au dénigrement, dans la société d’aujourd’hui. “Etre noir-e dans la verte” est donc un événement artistique bienvenu. « C’est la première fois qu’il y a une manifestation culturelle et une célébration publique des Noirs Tunisiens. C’est très important ! On commence à voir les premiers signes de changement de la société tunisienne qui commence à dire : nous sommes multiples, nous sommes divers, nous sommes pluriels ! »

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